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Philippe Dessertine  » Ceci n’est pas une crise »

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Partagez l'article !Philippe Dessertine est professeur à l’université de Nanterre et directeur de l’Institut de haute finance à Paris. Il publie régulièrement des tribunes dans les journaux nationaux (Le Figaro, Le Monde, Libération, La Tribune), intervient en tant qu’expert dans de nombreuses émissions télévisées (Mots croisés, C dans l’air, Questions d’actualité…) et est un invité […]

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Philippe Dessertine est professeur à l’université de Nanterre et directeur de l’Institut de haute finance à Paris. Il publie régulièrement des tribunes dans les journaux nationaux (Le Figaro, Le Monde, Libération, La Tribune), intervient en tant qu’expert dans de nombreuses émissions télévisées (Mots croisés, C dans l’air, Questions d’actualité…) et est un invité récurrent sur RMC, France Inter, RTL et Europe 1.
Il travaille à Paris mais vit à Bordeaux.
1/ Sur le titre du livre « Ceci n’est pas une crise »

« Ceci n’est pas une crise » est une façon de répondre à l’interrogation incrédule que peuvent avoir les citoyens et les gens de la rue, qui se disent « On nous parle sans arrêt de cette notion de crise mais dans mon quotidien je n’en vois pas toujours les conséquences ». L’idée était de dire que vous n’en voyez peut être pas encore les conséquences mais un phénomène beaucoup plus important est en train de se passer qu’une simple crise économique. C’est la deuxième dimension de ce titre, ceci n’est pas une crise normale, ceci n’est pas qu’une crise ordinaire. C’est un phénomène extraordinaire que nous sommes en train de connaitre, historique, la fin d’une période qui est le démarrage de la mondialisation. La mondialisation a produit des effets absolument extraordinaires dans la totalité des pays du monde et a conduit à un mécanisme de fonctionnement qui tout à coup tourne à vide. Cette crise est un tournant de l’histoire. Nous sommes en train de redéfinir le monde qui va naitre de l’organisation mondiale de l’économie.

2/ Sur la cause première de la crise

Le problème majeur que l’on peut considérer comme à l’origine de cette situation, si on devait le décrire en terme technique, c’est le problème de la dette constante de l’Occident. Si on essaie de le comprendre, ça veut dire que l’Occident, les grands pays riches, les Etats Unis, l’Europe, le Japon, ont vécu pendant des années, en particulier pendant les 7 ou 8 dernières années, au dessus de leurs moyens. Ils ont dépensé plus qu’ils ne gagnaient, c’est aussi simple que ça. Cela vaut autant pour les pays que pour les individus, c’est le problème majeur auquel nous nous heurtons aujourd’hui. Cela veut dire que tout le monde a accumulé une dette gigantesque, pas seulement aux Etats Unis, qui correspond à cette approche beaucoup trop ambitieuse de la consommation que pouvait avoir les peuples des pays riches par rapport à leurs capacités d’aujourd’hui.


3/ Sur le mode de fonctionnement de l’économie avant la crise

Ce mécanisme de l’Occident et des grands pays comme les Etats Unis qui vivent au dessus de leurs moyens, comment est-ce arrivé ? Ces grands pays ont pu s’appuyer sur des pays pauvres mais en très fort développement, dont le premier d’entre eux est la Chine. Pendant cette période, les américains ont consommé énormément et se sont endettés. Quand ils consomment et s’endettent, ça doit logiquement aboutir à un choc monétaire. Ici, nous ne sommes pas arrivé à ce choc monétaire parce qu’en même temps, les Chinois produisaient mais ne consommaient pas. En échange de leur production, ils prenaient de la dette américaine. On était avec un mécanisme inouï, le fait que les Américains se trouvaient dans une situation où ils s’endettaient pour consommer et le fait que les Chinois reprenaient cette dette pour produire les biens dont avaient besoin les Américains. On était dans une situation incroyable au point de vue historique, qui a permis une surconsommation pendant des années, et qui a crée des conditions extraordinaires qui ont conduit à une explosion extraordinaire.

4/ Sur l’endettement des individus et des Etats

Nous venons d’évoquer le cas américain. Le cas américain ne doit pas être considéré comme isolé. Vivre au dessus de ces moyens a été sensible aux Etats Unis, on a vu toute la population devenir propriétaire de son logement. C’était même une loi votée par le gouvernement Clinton. Mais nous avons vu le même problème dans d’autres pays riches, en particulier en Europe, en particulier en France. Là ce sont les Etats qui se sont endettés de manière extrêmement forte, qui ont été en déficit constant
pendant des années, ce qui les a conduit de la même manière à ce que leur population ait des services publics au dessus de ses moyens, au dessus de ses capacités à payer ce service public. On avait donc une dette extraordinaire du citoyen américain, et une dette de plus en plus forte des grands Etats, et en particulier des Etats Européens, qui procèdent de la même idée. Nous dépensons ce que nous n’avons pas.

5/ Sur l’existence des bulles et les raisons de leur éclatement

Ce mécanisme qu’on vient de décrire se traduit par une accumulation dans les pays riches d’une dette absolument faramineuse. Ça veut dire que par exemple, le prix des maisons, les prix de l’immobilier, va être confronté à une demande de plus en plus forte. De plus en plus de gens peuvent emprunter pour acheter. Plus vous avez de gens qui peuvent emprunter pour acheter, plus le prix de l’immobilier va augmenter. Il y a une tension entre l’offre et la demande. La demande explose parce qu’elle est alimenté par la dette. Les banquiers disent que vous pouvez emprunter davantage et donc acheter. Tout le monde le fait et les prix augmentent. Si vous le faites partout dans l’économie, si tous les consommateurs et les entreprises peuvent emprunter, on crée des bulles. La bulle est cette idée qu’on commence à avoir une enveloppe distendue. La valeur des choses devient absurde, elle monte et monte alimentée par de plus en plus de consommateurs qui peuvent emprunter au fur et à mesure de l’augmentation des prix. Une bulle finit par éclater. Ce système absurde, aberrant, finit par éclater. C’est exactement ce qui se passe au milieu de l’année 2007 quand tout à coup les prix de l’immobilier commencent à se stabiliser voire à diminuer aux Etats Unis. Tout d’un coup la bulle éclate et c’est l’effondrement généralisé de l’économie mondiale.

6/ Sur le processus de gonflement et de rupture de la bulle immobilière

On a tendance à penser, lors qu’on est dedans, « Je suis propriétaire d’une maison et je vois de plus en plus d’acheteurs, donc je vais vendre ma maison et en racheter une autre parce que je peux emprunter». L’idée est de se demander si tout ça va avoir une fin. N’a-t-on pas trouvé la solution pour vivre de plus en plus riche avec de plus en plus de biens ? A un moment donné, le bon sens rattrape le mode de fonctionnement économique. A un moment donné, on se dit « Comment la valeur de la maison devient tellement folle, comment est-ce qu’avec la richesse que l’on produit va-t-on pouvoir rembourser cette dette ? ». C’est ce qui explique l’éclatement de la bulle immobilière et de toutes les bulles qui s’était accumulées dans l’économie mondiale. Tout d’un coup, on se pose cette question, on se demande comment on va pouvoir assumer le système que l’on a contribué à créer. En clair, mon salaire n’augmente pas suffisamment vite pour rembourser ma dette. Pendant longtemps, la garantie des maisons permettaient de compenser les salaires défaillants. Mais si les maisons n’augmentent plus assez ? Si je commence à avoir un léger problème de remboursement ? Quand on revient sur terre, quand on est sorti de ce moment euphorique où tout allait tellement bien que l’on croyait que nous étions dans la croissance éternelle, au moment où nous sortons de ce moment euphorique et où nous commençons à avoir un peu de lucidité, brutalement, les choses peuvent s’effondrer. Cela s’est déjà produit dans l’histoire, cela s’est produit avec une force extraordinaire en 2007 et 2008, parce que nous avons permis une augmentation extraordinaire de la valeur des choses, par une dette que l’on n’a jamais connue auparavant.

7/ Sur les responsabilités des individus dans la constitution des bulles

Il faut être bien clair. Nous évoquions des mécanismes généraux. On doit revenir à l’individu. Ce problème de l’excès de dette, de consommer au dessus de nos moyens, on l’a tous vécu au quotidien. On a commencé à acheter un bien immobilier, un petit appartement ou une maison, financée à 100% par les banques. Et même si nous n’avons pas les moyens de s’acheter une maison, les voitures sont devenues des éléments produits par la dette. Regardez les publicités sur les voitures. On vous fait
des publicités sur des montants de loyer mensuel, quelque chose que vous allez payer en continu et qui correspond à une dette perpétuelle que vous allez avoir sur l’automobile. Lorsque je vais vouloir m’abonner à une chaine de télévision, on va me proposer six mois gratuits, on me fait un crédit que je vais devoir assumer et payer tous les mois. Sans cesse, nous avons des mécanismes comme ceux là, les forfaits téléphoniques, les forfaits internet, tout ça a été une accumulation de dettes par l’individu. Vous, moi avons tous fonctionné comme ça. L’éclatement, c’est quand à un moment donné vous faites l’addition de tout ce que vous devez et des dépenses normales que vous allez devoir assumer pour déjeuner, diner, vous vêtir, envoyer vos enfants à l’école. Tout d’un coup on est dans des proportions qui n’ont plus rien à voir avec les revenus de la personne. Au moment où on se pose ces questions, ça
explose. On peut aller voir le banquier en lui disant qu’on a du mal à finir les fins de mois. Il va peut être vous accorder un découvert, mais le découvert se rajoute encore à l’addition. Le jour où il vous dit qu’on est allé trop loin, c’est là que ça explose. Ça explose pour les individus, pour les Etats, et cette fois ci ça a explosé sur l’économie mondiale. Ça ne s’était jamais vu.

8/ Sur les responsabilités de la sphère financière

Nous venons de dire à quel point les individus et leur mode de fonctionnement est à l’origine de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Les individus ce sont les personnes, les organisations, les entreprises qui ont vécues elles aussi sur la dette et bien entendu toute l’industrie financière. L’industrie financière est le lieu où se concentre la dette. L’industrie financière est le lieu où elle a été émise et gérée. L’une des causes de cette explosion, l’une des causes de sa gravité et de sa durée, est le
fait que l’organisation financière mondiale avait été organisée pour permettre à la dette folle de se créer et de se développer. La sphère financière mondiale était devenue sans contrôle, sans règle, avec une approche dans laquelle le risque pris par celui qui prête de l’argent, et qui doit regarder si la personne ou l’organisation en face peut le rembourser, a complètement disparu du spectre technique dans lequel fonctionnaient les financiers. La crise se produit parce que la finance a été organisée pour que la notion de dette disparaisse en tant que danger du mode fonctionnement des économies mondiales.

9/ Sur le déclencheur de la crise actuelle

Dans le déroulement de la crise, il y a un moment qui cristallise les tensions et la manière dont la crise s’est produite. Il s’agit du week-end où le secrétaire d’Etat au trésor américain, qui s’appelait à l’époque Hank Paulson, accompagné du président de la FED, Bernanke, qui est toujours en place, et du chairman de la FED de New York, l’une des grandes banques centrales américaines, qui s’appelle Tim Geithner, et qui est aujourd’hui au pouvoir, décident qu’il faut faire un exemple. Il faut faire un exemple vis-à-vis de ces dettes, vis-à-vis de ces structures financières qui ont fonctionné sans aucun contrôle. Attention, elles ont fonctionné sans aucun contrôle parce que les autorités politiques et notamment américaines le voulait. Il apparait que leur culpabilité est telle qu’il faut faire un exemple, sanctionner une sorte d’emblème, une banque tellement connue et importante que quand elle va tomber, cela va rappeler à l’ordre l’ensemble des banquiers du monde. Cette banque est Lehman Brothers. C’est quelque chose qu’il faut envisager de manière brutale. Tout d’un coup, on décide que Lehman Brothers va pouvoir faire faillite. Cette faillite va avoir des conséquences en cascade tellement incroyables que l’on va craindre, et passer à deux doigts de la catastrophe absolue de l’économie mondiale, que tout d’un coup toutes les banques du monde fassent faillite les unes après les autres. Quand les banques font faillites, l’électricité s’arrête, les transports ne sont plus payés, les citoyens ne reçoivent plus leur paie à la fin du mois, les comptes sont bloqués. La structure fondamentale de nos sociétés dans le monde entier est grippée. Nous sommes passés juste au bord de ce moment là en laissant tomber Lehmann Brothers. Les autorités américaines ne se sont pas rendues compte du risque absolu qu’elles faisaient courir à leur propre économie et à l’économie mondiale. C’est une sorte d’emblème de cette crise, l’emblème de la gravité des évènements, mal mesurée au départ, tellement extraordinaire qu’ils laissent tout le monde désemparé. Nous n’avons plus de repère par rapport à une situation comme celle là. C’était en octobre 2008, c’était hier. Aujourd’hui, tout le monde est encore traumatisé et considère que cet évènement restera dans l’histoire du monde comme l’un des plus graves que nous ayons connus du point de vue économique et peut être même du point de vue de l’équilibre mondial tout court.


10/ Sur les plans de relance et les politiques actuelles en réponse à la crise

Nous sommes dans une telle situation aujourd’hui, une telle spirale, que la machine semble folle et ne semble plus obéir à aucun contrôle. Les citoyens, vous et moi, sommes complètement désemparés par rapport à la situation. Le politique doit à tout prix apporter une réponse à cela. Sa réponse est des plans de relance. Des plans de relance, c’est dire aux gens que les politiques comprennent la détresse dans laquelle ils sont et qu’ils essaient de les accompagner dans ces moments là. Le plan de relance ne doit pas être compris comme autre chose qu’un accompagnement de la difficulté dans laquelle se trouvent des personnes qui sont touchées par le chômage, qui vont se trouver très lourdement touchées par des difficultés techniques. Tout d’un coup, dans la vie quotidienne, tout devient plus compliqué. Cela étant, est-ce que ces plans de relance porte bien leur nom ? Le but n’est pas encore la relance mais de casser la spirale, empêcher l’accélération des difficultés qui pourraient aboutir à ce mot que l’on redoute parmi tous, qui s’appellerait la dépression. C’est un mot que l’on redoute, qui renvoie à ce spectre absolu de 1929, où les gens sans logement et sans argent pour se nourrir ou se vêtir se retrouvaient par millions aux Etats Unis ou en Europe dans les rues à mendier ou à mourir de faim. C’est ce risque là qu’on veut absolument enrayer. Aujourd’hui, pour pouvoir espérer un jour repartir dans une économie harmonieuse, il faudra avant tout purger le système financier. Le premier impératif est de remettre le système financier en ordre de marche. Cela va couter tellement cher que tous les plans de relance du monde ne seront rien comparés à ce que devront dépenser les grands Etats pour pouvoir remettre à plat le mode de fonctionnement du système financier. Au niveau politique, ce n’est pas parlant, ce n’est pas porteur que de dire au gens qu’il va falloir investir massivement dans les banques pour éliminer cette dette folle que nous avons accumulée. Cela revient bien souvent à parler un langage que les gens ne comprennent pas. « Moi j’ai d’autres problèmes au quotidien, je perds mon emploi, je vais avoir du chômage dans mon
entourage. Ce n’est pas ça le premier impératif ? ». Évidemment les politiques doivent répondre à cette question mais ils doivent se souvenir qu’ils n’arriveront à rien tant qu’ils n’auront pas résolu cet aspect gigantesque qui est la dette absurde du système financier. Nous sommes dans cette situation aujourd’hui, nous avons une sorte d’ambivalence des discours, avec à la fois des discours qui doivent rassurer les populations et la recherche de solutions techniques d’une complexité folle, qui vont couter une somme incroyable jamais vue dans toute l’histoire humaine pour simplement remettre les choses à zéro. Le but est de toucher le fond du lac. C’est l’idée de l’intervention des pouvoirs publics par rapport aux systèmes financiers, d’arriver à purger de toute cette dette absurde le système économique dans son ensemble.


11/ Sur les difficultés d’apporter une réponse politique équilibrée

Ces deux approches des plans de relance, ce sont les oscillations que nous avons pour chaque personne qui comprend que l’hyper consommation est une folie et en même temps redoute de ne plus pouvoir vivre normalement. Dans le discours économique et politique, nous sommes sans arrêt dans les deux. Lorsque l’on va dire qu’il faut essayer de revenir à une approche normale, la crainte de l’individu est de se dire « Pour revenir à cela, est-ce que le prix à payer à un moment donné n’est pas de me trouver dans des difficultés telles que je ne pourrais plus vivre normalement ? ». Sans arrêt, nous sommes entre ces deux aspects, qui peuvent se représenter par le fait de diminuer sa dette et le fait de ne pas être au chômage. Finalement, lorsque l’on consomme moins, l’industrie ne fonctionne plus et va mettre des milliers de gens au chômage. Quand ces gens sont au chômage, ne sont-ils pas dans une situation intolérable ? Cette crise nous pose le problème du retour à l’équilibre. Lorsque la barque mondiale commence à tanguer, il est très difficile de la remettre à plat en eaux calmes. Cela prends beaucoup de temps et le mouvement semble tellement fort que l’on a peur qu’il ne renverse la barque d’un côté ou de l’autre.

12/ Sur les différents scénarios face à l’avenir Dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, on peut envisager deux types de scénarios pour l’avenir. Le premier est le scénario noir, celui de l’enchainement défavorable, qui est une menace que l’on a senti planer à partir du mois d’octobre avec la faillite de Lehman Brothers, et qui est toujours présente aujourd’hui. Un autre scénario, d’un pessimisme raisonné, est un scénario gris, dans lequel nous allons peu à peu voir émerger les pousses qui vont nous permettre d’espérer la création d’un monde nouveau, équilibré.
Regardons tout d’abord le scénario noir. Le scénario noir part de la purge du système
financier, l’élimination de milliers de milliards de dollars. Nous sommes dans des proportions incroyables ! Eliminer ces milliers de milliards de dollars de dette folle que les Occidentaux, les Américains, et les Européens avons crée pendant des années est une telle dépense que les Etats ne peuvent l’assumer. Eliminer la dette, cela veut dire que les banques se retrouvent avec des préteurs qui ne les remboursent plus. Les Etats doivent compenser ces prêteurs. La banque risque de faire faillite et de licencier, de perdre tous ses actifs. Les Etats veulent empêcher cela et donc prêtent à la banque en question. La question qui se pose et le risque sombre qui plane aujourd’hui sur l’économie mondiale est que les Etats ne puissent pas répondre à l’ensemble de ces dettes. Pour que les Etats puissent assumer ce risque, il va falloir qu’ils empruntent jusqu’au même point où l’on va se demander s’ils ont la capacité, si les individus qui les composent et paient des impôts ont la capacité de rembourser ces dettes un jour. Si cette questions se pose, le fait d’exprimer la chose risquerait de faire prendre conscience qu’il existe un risque. Nous serions là dans la possibilité de dépression. Les Etats se trouveraient dans la situation où eux-mêmes sont dans l’incapacité de répondre à leurs dettes, se retrouvent eux même en faillite, ne peuvent plus payer leurs fonctionnaires. Les hôpitaux, la police, les pompiers, les écoles, tout ceux là se retrouvent non payés. C’est le scénario noir sombre de la dépression où l’ensemble de la structure ne fonctionne plus, où toute la communauté humaine est paralysée. On est dans ce que l’on avait pressenti en 1929, la disparition de l’Etat et le retour à un Etat naturel des communautés humaines dans lequel nous n’avons plus toute cette organisation connue jusque là. C’est quelque chose qui est presque impensable lorsqu’on fonctionne au quotidien. Nous sommes dans une grande ville, un grand pays come la France. On a du mal à simplement oser imaginer cela. Pourtant c’est possible, c’est le scénario le plus terrible que l’on envisage lorsque l’on parle de la dépression. Ce mot aujourd’hui commence à être prononcer dans les journaux américains. On commence à avoir peur de la dépression. Nous avons eu un prémice avec les difficultés de la Californie, l’Etat le plus riche des Etats Unis, à payer ses fonctionnaires à la fin du mois il y a quelques semaines. Le gouverneur Schwarzenegger a du faire appel à la finance publique fédérale pour payer ses fonctionnaires en Etat de Californie. Cela signifie qu’il faut que l’Etat fédéral puisse le faire. Si l’Etat fédéral a tellement à payer pour essayer de refinancer ses banques, on
peut se trouver dans une faillite en cascade, non plus des entreprises mais de toutes les entités, y compris les Etats les plus riches. Nous sommes là dans la pire des perspectives dans l’évolution de la crise.

13/ Sur la guerre

Evidemment, quand nous sommes dans cette partie sombre, dramatique, de ce que l’on peut envisager pour l’économie, il y a un moment où l’économie ne va plus parler. On l’a connu dans le passé et l’on sait qu’après la dépression de 1929, il y a eu sa suite naturelle, la guerre mondiale. Nous avons dans ce pire scénario cette ombre qui aujourd’hui, on le sent, menace la terre et la planète, le fait de revenir à une ère de conflits qui ne soient plus des conflits régionaux mais des conflits généralisés. C’est une hypothèse qui est évidemment envisagée aujourd’hui et qui doit nous conduire à réfléchir à la manière dont il faut éviter que cet enchainement économique dramatique puisse se mettre en place. Je pense que cette idée du risque de la guerre ne doit pas nécessairement être tue, puisqu’elle doit nous permettre de réfléchir à la manière raisonnable, par forcément drôle, et forcément difficile qui doit nous permettre d’éviter
ce scénario catastrophe. Ce scénario le plus raisonnable, on ne va pas l’appeler le scénario rose, puisqu’il n’existe pas de scénario rose dans la situation où nous sommes. C’est un scénario gris, en ayant conscience qu’il correspond, si l’on doit utiliser une image, à une sorte de crise d’adolescence que connait la globalisation. L’adolescence est un moment obligé de la croissance d’un individu. La globalisation, la planète qui marche ensemble, doit passer par ce moment que l’on connait aujourd’hui. C’était une illusion que de croire que l’on pouvait passer directement de l’enfance à un âge adulte formidable où tout irait bien. Il faut bien concevoir cette crise comme un moment nécessaire, difficile comme toutes les crises d’adolescence, dangereux, mais si elle est gérée correctement, elle va permettre de sortir sur un adulte fondé sur des choses fortes, solides et harmonieuses.

14/ Le scénario gris

Ce scénario gris quel serait-il ? Il est de dire que nous devons purger. Les Etats vont devoir purger cette dette absurde que les Occidentaux ont crée dans l’illusion qu’il leur serait possible de consommer toujours plus et de vivre toujours mieux grâce à la richesse produite par les pays pauvres. Ce n’est pas possible. Aujourd’hui les grands Etats Occidentaux, nos populations, devront comprendre que cette ère de la consommation folle est terminée. Cela signifie que cette sagesse va être imposée par les Etats, qui vont devoir assumer les pertes. S’ils assument les pertes, ils ne pourront pas assumer autre chose, ils vont imposer une sorte de rigueur. On utilise souvent ce terme en politique économique et c’est ce que nous risquons de connaitre.
C’est l’ensemble du fonctionnement de l’Etat et de l’économie qui doit aussi payer pour l’effort de l’Etat. Quand l’Etat paye pour les pertes, cela signifie que le contribuable va devoir payer l’Etat ensuite, le contribuable en tant que personne et entreprise. Le président Obama l’a déjà annoncé, cette idée circule de plus en plus y compris dans des pays comme la France. Si la fiscalité augmente, nous assumons le fait que l’Etat va devoir sauver le système. Après une longue période, pendant laquelle nous épurons l’économie et éliminons cette dette, nous allons nous retrouvons au fond du lac, sur un fond plat. C’est ce fameux scénario d’une courbe que l’on appelle en U. Nous sommes dans la descente. Il y a un moment plat. Mais attention, il y a aussi un moment où les choses peuvent repartir. Le scénario gris est gris parce que nous sommes dans le moment où ce n’est pas drôle, celui où ça baisse. Mais il se termine
par la possibilité de repartir ensuite. Une fois que le système financier sera totalement épuré par l’action de l’Etat, par le fait que les Etats auront assumé les pertes liées à la de la dette, nous serons dans les conditions où une croissance harmonieuse pourra se mettre en place.

15/ Sur les solutions à apporter à la crise

Ce moment que nous sommes en train vivre, il va falloir gérer la descente et la crise pendant un bon moment. C’est un moment pendant lequel nous devons repenser tout ce qui n’a pas fonctionné, ce qui a manqué à cette économie mondiale telle qu’elle est. Il a manqué principalement une organisation, une concertation internationale, qui intègre évidemment les pays riches, qui ont tendance à ce concerter mais pas tant que ça, et les pays pauvres, qui ont été totalement à l’écart dans toute la période que l’on a vécue. Aujourd’hui, l’urgence est de réfléchir à l’architecture d’une gouvernance mondiale économique, qui fonctionne de manière plus cohérente que la gouvernance géopolitique. L’ONU de la finance ne suffira pas. On ne peut pas se permettre d’avoir un blocage. On voit aujourd’hui avec une crise financière ce que signifie une gouvernance qui ne marche pas. C’est immédiatement un coût tel que ce sont des
éléments qui ne sont pas envisageables d’un point de vue économique. Il est très intéressant de voir les idées qui remontent aujourd’hui. Le FMI deviendrait une sorte de banque mondiale qui assumerait la dette excessive, empêcherait que cette dette excessive puisse réapparaitre dans le futur. Ce FMI est une idée de l’après guerre mondiale de 1945, lors du grand sommet de Bretton Woods, en 1944. On en parle
encore parfois aujourd’hui en se disant qu’il faudrait un nouveau Bretton Woods sans savoir exactement à quoi l’on fait allusion au niveau historique. Bretton Woods était l’idée de poser les bases d’une économie mondiale après la guerre, pour que ne puisse revenir le spectre de 1929. En 1944, nous étions exactement dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui. « Nous avons fait beaucoup de bêtises, nous comprenons à quoi ont abouti ces bêtises, nous ne voulons pas que cela se reproduise. Comment faire ?». Nous avions à l’époque un génie de l’économie, qui avait proposé d’organiser l’économie mondiale. Il s’appelait Keynes, il était Anglais. On lui a donné tord au moment de Bretton Woods. On lui a dit que c’était quelque chose de trop compliqué, de trop utopique, qu’il valait mieux s’appuyer sur une puissance extraordinaires qui était en train d’émerger, les Etats Unis. Finalement Keynes n’était pas si utopique que cela. Il était le conseiller du président des Etats Unis et lui-même un financier averti. L’utopie de Keynes est en train de refaire son apparition. Pour la crise, pour qu’elle ne se reproduise pas, pour que cette dette folle ne soit pas recréée par les Etats ou d’autres Etats dans les pays émergents, il faut une organisation mondiale, un contrôle dont la manière dont la dette en général va pouvoir être créée. Nous en avons les prémices. Le G20 commencent à tourner autour de cette question. Nous aurons besoin que tous les acteurs acceptent de s’asseoir autour de cette table pour commencer à constituer cette organisation. Les acteurs sont les Européens, les pays émergents, et ce n’est pas encore gagner. Les Chinois ne sont pas encore prêts à s’assoir sur la chaise, ils sont derrières. Les Américains ne sont même pas encore dans la pièce. Ils ne sont pas prêts non plus à réfléchir à un système où il ne serait plus la superpuissance. En tant que superpuissance, ils accepteraient qu’une sorte d’organisation au dessus d’eux puisse les contrôler et les chapeauter. Nous en sommes à ce moment de bascule où il faut définir cette architecture qui permettra d’envisager d’hors et déjà un système dans lequel la crise que nous avons connue ne se reconstitue pas.
Evidemment, ce système global peut sembler un peu artificiel, un peu lointain des préoccupations de chacun. Le mode de fonctionnement de l’économie mondiale va devoir aussi changer. Nous sommes en train de dire qu’un système général va contrôler, empêcher les Etats de créer de manière absurde de la dette. Qu’est-ce que ça veut dire pour les citoyens des pays riches et de la France en particulier ? Cela veut dire qu’il va falloir réfléchir à la manière de consommer moins. Nous avons devant nous un défi que la crise a soudain rapproché. On en parlait sans cesse parce qu’il y a avait le réchauffement climatique, parce qu’on se rendait compte que notre système économique avait beaucoup de points absurdes lorsqu’il s’agissait de le généraliser. La mondialisation, on concevait qu’elle nous menait à une impasse. Si tous les Chinois, tous les Indiens, tous les habitants d’Afrique ou d’Amérique Latine commençait à avoir une voiture, ou deux, une télévision… On allait très vite avoir des difficultés insurmontables du point de vue des ressources de la planète. Tout ça semblait lointain et relativement théorique. Le jour où le problème se posera, on cherchera à le résoudre. La crise économique nous a rapprochés de cette incohérence, d’un modèle de fonctionnement qui chez nous déjà ne fonctionne pas. La crise nous révèle
que nous ne pouvons fonctionner de cette manière que parce que nous nous sommes surendettés. Cela signifie que tout un chacun est avant toutes chose les jeunes générations, les personnes qui sont en train de finir leurs études, les jeunes gens qui sont en train d’arriver dans la vie, doivent se dire « Le système qui doit être le nôtre et un système qui doit évoluer. Les références doivent changer. Je n’ai pas le choix. Si je veux à tout prix conserver le mode de vie de mes parents, ou le mode de vie au début de ma période d’activité, je risque d’entrer dans un mur ». Le scénario noir ne doit jamais être oublié, il est extrêmement douloureux.


CECI n’est pas une crise de Philippe Dessertine aux Editions Anne Carrière

ISBN : 978-2-8433-7539-2
Code barre : 9782843375392
Nombre de pages : 176
Parution : 11 février 2009 / RUN 506
Prix : 13,50 €

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