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Frédéric Ferney  » J’étais trop littéraire, trop happy few! »

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Partagez l'article ! Frédéric, vous êtes écrivain et critique littéraire. Qu’est ce qui vous a amené à cette passion pour la littérature et les livres ? L’ennui. Je me suis beaucoup ennuyé dans mon enfance jusqu’à l’âge de douze ou treize ans. C’est une forme de la paresse, l’ennui: comme un charme, qui glace le […]

propos recueillis par

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Frédéric, vous êtes écrivain et critique littéraire. Qu’est ce qui vous a amené à cette passion pour la littérature et les livres ?
L’ennui. Je me suis beaucoup ennuyé dans mon enfance jusqu’à l’âge de douze ou treize ans. C’est une forme de la paresse, l’ennui: comme un charme, qui glace le temps, une rêverie enchantée, qui vous rend libre, accueillant, disponible, à votre insu. Je crois que toutes ces longues heures vides et solitaires ont été une expérience préalable à tous les plaisirs. Un terreau.
J’ai tout découvert en même temps: la masturbation, les copains, les filles, les Beatles, le cinéma ( Ben Hur, West Side Story, les westerns, John Ford), le sport (le judo et l’équitation, à l’époque).
Un jour, j’ai ouvert un livre par hasard: c’était le Robinson Suisse- une version familiale, un brin calviniste, de Robinson Crusoé – de Johann David Wyss, j’ai adoré. Je me souviens très bien de la sensation d’abandon, de vide, après. Horrible! Je l’ai relu trois fois d’affilée, ensuite il a fallu que je comble le manque. J’ai dévoré Stevenson, Dumas, les OSS 117″ et les « Bob Morane ». Je n’ai lu le « Robinson Crusoé » de Defoe que beaucoup plus tard !
L’écriture, c’est plus bizarre: ce n’est pas une drogue comme la lecture; c’est plutôt une maladie chronique, avec des crises qui parfois se transforment en livre. Pas toujours. Je n’écris pas forcément pour être publié. Je prends mon temps. Pas d’urgence. C’est la seule différence avec la critique. Sinon, la critique, c’est pareil, en abrégé. C’est toujours de l’écriture.

Vous animiez «Le Bateau-Livre» sur France 5. Et puis comme tout le monde le sait, cette émission a été supprimée du PAF. D’après vous quelles sont les raisons principales de cette «mise au placard» ?
Demandez-leur ! J’imagine qu’après treize ans, ils avaient envie d’une nouvelle tête – et pas une tête de lard dans mon genre! Aujourd’hui, la télé, tout est divertissement, tout est spectacle. En mai 2008, au moment des travaux de la Commission Copé, quand la direction de France-Télévisions était sur des charbons ardents, j‘ai mis un peu d’huile sur le feu: qu’on veuille au sommet de l’Etat redéfinir les missions du service public, cela ne me paraissait pas une mauvaise idée. On me l’a reproché. Mais mon sort était déjà scellé: trop littéraire, trop happy few ! Cela dit, je pensais me faire virer plus tôt,j’ai quand même résisté treize ans, un bail !

Depuis, vous avez lancé votre blog, «Le Bateau Libre». Et votre premier post a été « Mon seul dessein sera de partager avec vous des émotions intimes» … «la haine de la littérature sévit un peu partout en France, pas seulement à la télévision. Il faut donc se battre ª. Aujourd’hui, à votre avis, où en est-on de «cette haine de la littérature» ?
J’ai trouvé un espace insoupçonné, intime. En effet, je suis libre de lire et d’écrire ce que je veux, de correspondre avec qui je veux – car le blog relève du genre épistolaire.
Mon dessein n’est pas de séduire le plus grand nombre: encore, l’audience n’est pas pour moi un objectif, c’est un
résultat. J’ai atteint jusqu’à 5000 connections par jour sur mon blog: c’est peu et c’est beaucoup.
Parmi les fidèles, il y a des gens comme moi: pas forcément des intellectuels, contrairement à ce qu’on croit. Des lecteurs!
Les lecteurs, c’est une secte, et sur le web, c’est une secte qui grandit. Ils sont exigeants, réactifs, passionnés.
Combien sont-ils potentiellement? Vingt mille, cinquante mille, je ne sais pas. C’est à ceux-là en tous cas que s’adressera la web-télé littéraire que je crée au mois de mai prochain. Je suis dans ma niche!
Paradoxalement, on n’a jamais autant parlé de livres à la télévision mais on instrumentalise un peu les écrivains, on leur pose des questions idiotes, on les maltraite. La littérature, exige du tact, de la patience, de la précaution. Il faut du temps. D’abord lire le livre, puis s’approcher de l’auteur comme d’un oiseau qui risque toujours de s’envoler. Aujourd’hui, à la télévision, si vous n’êtes pas connu, si vous ne faites ni dans le sentimental ni dans le sociétal, ni dans la polémique, vous avez toutes les chances de rester sur le carreau en tant qu’auteur.

Frédéric, pensez-vous qu’en France, à l’heure actuelle, on fait tout pour sensibiliser tout un chacun aux livres ?
Contrairement à ce qui est dit, il n’y a pas une véritable politique du livre à la télévision, la lecture n’est pas une priorité. En revanche, l’Education nationale, certaines instances comme le CNL ou la Maison des Ecrivains, font de leur mieux. C’est une tâche immense et ingrate. Aujourd’hui, certaines entreprise privées s’engagent dans
la bataille. On ne peut pas tout attendre de l’Etat; il y a d’immenses ressources dans la société civile qui peuvent être relayées.

Quelle est la chose que vous regrettez le plus depuis l’arrêt de votre émission «le Bateau Livre» ? Une rencontre, un échange, un moment particulier ?

Aucun regret. Des souvenirs. Et un projet exaltant: une web-télé littéraire (littéraire, pas « culturelle »!) où les écrivains auront la parole. Si j’ai envie de passer une heure à parler avec Martin Amis ou Jay MacInerney en anglais, de me promener bras dessus bras dessous avec Pascal Quignard ou Pierre Michon, qui va m’en empêcher? Le Lancement est prévu fin mai.
On a crée une association « Les Amis du Bateau Libre », (avec un «b»!), qui rassemble déjà quelques centaines d’adhérents, C’est un début. Pour en savoir plus, rendez-vous sur mon blog: fredericferney.typepad.fr.

Quel est votre regard aujourd’hui sur les émissions littéraires diffusées à l’antenne ?
Quelle est ma crédibilité? Vous ne croyez tout de même pas que je vais tomber dans ce piège!

Vous avez eu une phrase très intéressante lors d’une interview accordée à nos confrères de Nice Matin : «Je ne vois pas l’intérêt de me porter à la rescousse du succès ! A ce titre, pensez-vous que l’audimat génère le succès ou le succès engendre l’audimat pour un livre ?
Si la recette était si simple, on le saurait. Non, c’est beaucoup plus subtil, plus mystérieux. C’est une étrange alchimie, le succès. Ce que je voulais dire, c’est qu’une bonne émission littéraire n’est pas forcément une émission « people » et que le job, en tous cas le mien, c’est de faire découvrir des auteurs encore inconnus. Les critères d’évaluation d’une émission littéraire sont pour moi les mêmes que ceux d’un écrivain: qualitatifs, et non pas quantitatifs. En outre, quoi de plus triste qu’un best-seller qui ne se vend pas!

A la différence d’une émission littéraire, qu’est ce qui vous plaît dans le blog ? Le format, la lisibilité, la visibilité, l’interaction avec les internautes ?
Je m’y sens libre. C’est un média «Èlitaire pour tous», ce qui est une bonne définition de la littérature. C’est plus confidentiel et plus ouvert à la fois.

Que peut-on trouver sur votre blog, Frédéric ? Et ce (ceux) que l’on n’y trouvera jamais ?
Lisez-le !

Vos envies, vos espoirs ou vos objectifs à l’orée de l’année 2010 ?
Réussir à battre mon ami Carl au tennis et redonner le sourire à mon banquier!

Propos recueillis par Nicolas Vidal

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