Nouvelles têtes par Eddie Williamson

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Pour ce numéro spécial “Nouvelles”, je suis allée chercher très loin dans ma petite tête pour vous proposer une chronique spéciale… nouvelles têtes. Oui ben on fait ce qu’on peut, hein ! Voici donc 5 premiers albums, un français, deux états-uniens, un suédois et un canadien, qui ont traversé les écrans de mon radar ces dernières semaines et qui méritent largement que vous y prêtiez deux oreilles attentives.

Crystal Antlers – Tentacles

Les garages de Californie doivent pas être fait pareils que chez nous. Ou peut-être leurs cheminées. Ramoneurs de profession (sans déconner), les Crystal Antlers ont suivi le parcours désormais classique de tout groupe indé qui se respecte : quelques titres en écoute sur MySpace, des dizaines et des dizaines de concerts dans tous les garages, clubs, piscines ou festivals de bikers du coin, deux maxis, un EP et un premier album. Treize vagues de distortions et de réverb sur lesquelles surfe le hurleur-bassiste-ramoneur maison, qui martyrise ses cordes avec la tendresse d’un bûcheron sous amphét’. Le son des Crystal Antlers est une juxtaposition d’influences prog, psyché et garage digérées et recrachées avec une rage qui ne peut que vous pétrir les tripes à en hurler de bonheur. On est tenu en haleine tout au long de l’album par l’orgue électrique hypnotisant qui assure la couverture de réverb’ nécessaire sur laquelle peuvent s’ébattre les riffs propulsifs de Andrew King qui ne s’est vraisemblablement toujours pas remis de sa découverte des pédales à effets. Les Crystal Antlers jouent fort, vite et bien. Que leurs mélodies noise-pop aux arrangements parfaits soient mollestées par des rafales électriques tonitruantes comme sur “Dust” ou “Tentacles”, qui possède un jenesaisquoi de “21st Schizoid Man” de King Crimson et l’époustouflant “Until the Sun Dies (Part 1)” (la Part 2 se trouvant sur leur EP) ou qu’elles servent la voix parfois trop incompréhensible de Jonny Bell (”Glacier”), elles tiennent ensemble un album étonnamment consistant pour des mecs habitués aux salles de concerts de la taille d’un appartement étudiant. Cela peut s’expliquer par la participation à la production de leur EP de Ikens Owens, le clavier de The Mars Volta. Les Crystal Antlers livrent là un premier album éblouissant et jouissif, fidèle à leurs prestations scéniques dantesques.

Sortie le 7 avril chez Touch & Go.

Handsome Furs - Face Control 
Face Control est un disque d’époque : les Handsome Furs ont voulu brosser le portrait d’une société déshumanisante, grise et froide, dont on se dit qu’elle est réminiscente de l’Empire Soviétique (cf : le chien de garde flippant de la couverture rouge sang du disque) et puis on se dit que cette société est peut-être la nôtre. Les méthodes ont changé, mais nous sommes toujours constamment sous surveillance, pire, nous accordons à d’autres un droit de regard impudique sur notre vie. Puces GPS implantées un peu partout, Facebook, blogs, caméras de surveillance dont les grand-mères se félicitent… D’un contrôle forcé à la soviétique, nous sommes passés à un contrôle de plein gré à la Facebook. Bref, une extension du Malaise dans la civilisation de Freud, si vous voulez (hé, moi aussi je lis des livres, ‘faut pas croire). Que Face Control se situe en Europe de l’Est, j’ai du mal à m’en convaincre. J’ai vite zappé ce concept là au profit de la complémentarité de Boeckner et Perry, mon couple canadien préféré. Il y a tout au long de ce disque un romantisme sous-jacent qui contraste avec son apparente froideur qui pourrait d’ailleurs vous effrayer à la première écoute. Ce romantisme se matérialise une seule fois de manière éclatante sur “All We Want, Baby, Is Everything”. Oubliez donc les concepts politiques chiants, et adoptez celui d’un couple amoureux, perdu dans une société qui les effraie, qu’ils ne comprennent pas, dont ils veulent s’échapper pour vivre librement leur amour (ça paraît un peu niais comme ça, je sais). Musicalement, les influences sont à aller chercher du côté du post-punk, de la cold wave, de New Order (c’est plus qu’évident sur “All We Want…” qui fait délibérément référence à “Temptation”), de The Cure, Arcade Fire… La grande, GRANDE chanson se trouve à la toute fin du disque, elle se nomme “Radio Kaliningrad”, véritable hymne romantique moderne, 5 minutes d’un lent crescendo électrique intense. Sombre et éblouissant, concept album ou pas, le deuxième album des Handsome Furs sonne comme une confirmation de l’excellence de leur démarche artistique entamée avec Plague Park, leur premier album, et comme l’un des grands disques de cette année. prestations scéniques dantesques.

Sorti le 10 mars chez Sub Pop

Fever Ray – ÉPONYME
Mon dieu que ce disque est glacial. Tétanisant même par moments. La première piste, qui va se retrouver dans tous les tops singles de 2009 – en tout cas le mien – est une entrée en matière impressionnante. Le rythme de la chanson vous martèle la poitrine, les choeurs vous donnent l’impression d’être dans une de ces cérémonies mortuaires africaines, celles où des danseurs portent des masques à vous faire pisser dessus de terreur si vous le croisez dans une ruelle sombre. Ce disque réveille les morts, et je suis presque sûre que je pourrais dire ça au premier degré. Avec des percussions ultra-présentes et qui confèrent au tout un caractère tribal très new-wave, époque à laquelle les rythmes africains étaient largement utilisés pour faire danser les foules de jeunes aux coupes de cheveux en mulet. Mais si l’on peut danser sur la suédoise Fever Ray, c’est comme danser sur les anglais de Joy Division. C’est se laisser embarquer dans cette musique apocalyptique qui relève plus de l’expérience chamanique que d’autre chose. Le chant de Karin Andersson est assez spécial dans son genre, rempli de cassures, de virages impromptus, de descentes en enfer et de remontées triomphales, elle se permet tout, portée par ce synthpop ambient, ces rythmes métronomiques qui vous donnent envie de presser votre casque sur vos oreilles pour les ressentir au maximum. Comme tout OVNI musical, ce disque a besoin de quelques écoutes pour pouvoir se faire un avis et je dois vous avouer que je ne suis pas encore très sûre de ce que je viens d’écouter. Fever Ray nous peint des scènes de films d’horreur dans la tête, sans aucune effusion de sang, sans monstres, vampires, assassins, juste un décor : nous et nos angoisses. On a aucune idée de pourquoi l’on se sent tout à coup amenés dans un territoire qui nous repousse mais que l’on se plaît à expérimenter, tenus par la main par Karin Andersson, l’hôte des lieux. Toutes les chansons ne se révèlent pas complètement à la première écoute, il m’en a fallu plusieurs pour me laisser embarquer et surprendre par “Nows The Only Time I Know” ou “I’m Not Done”. À écouter fort, dans le noir, les cages à miel grandes ouvertes et les yeux fermés.

Sorti le 16 mars chez Cooperative Music

JOSEPH LEON – HARD AS LOVE
Joseph Leon n’a pas une grande voix. Ce n’est pas un Cat Power au masculin, ce n’est pas une copie d’Antony Hegarty. Il possède une voix que j’ai peur de caractériser sans avoir l’air péjorative (je vais l’être à un moment de toute façon). En fait j’ai un problème avec cette voix. Elle est douce, pas très assurée, sans ampleur… En fait elle n’a rien de particulier, et ça m’emmerde un peu. La voix de Nick Drake, influence évidente de Leon, a quelque chose d’aérien, de suspendu dans le temps et l’espace. Les voix de Leon et Drake ont cela en commun qu’elles ne sont pas particulièrement “colorées”, il n’y a pas de fortes émotions à aller y chercher, pas de mimiques vocales énervantes… Ces voix vous accrochent pourtant et c’est les histoires qu’elles racontent qui vous bouleversent. Comme si vous tombiez sur le journal intime de quelqu’un que vous ne connaissez absolument pas, que vous le lisez dans votre tête, sans intonations particulières, sans chercher à vous mettre dans sa peau, mais en vous laissant simplement embarquer dans ses histoires. Hard As Love est une ainsi une collection d’expériences, d’émotions, dePars vite et reviens tard, À nos amours ou autre Le Code a Changé. Oui, bon, je n’aime pas le cinéma français. Et les textes de Joseph Leon ont vraiment du mal à me parler. Conflit de générations ? J’ai 21 ans, il en a 33 ans… je sais pas. Par moments aux niveau des textes, ça coince, et j’ai l’impression que le journal intime que j’écoute est celui d’un emo de 15 ans. Je n’aime pas mettre ça en lumière parce que certains vont croire que toutes les chansons sont du même acabit et ce n’est pas le cas, et puis après les textes on s’en fout, etc, mais moi ça m’a emmerdé et je ne peux pas vous le cacher (observez mon inconfort quand il s’agit de dire “du mal”). Musicalement c’est vraiment un album très réussi, très agréable, ça glisse dans l’oreille comme une douce et mélancolique brise matinale. Les mélodies sont elles aussi réminiscentes de Nick Drake ou Townes Van Zandt, mais elles sont bien plus travaillées. Les arrangements sont excellents, jazzy, tout en douceur, comme de la folk de chambre si vous voulez. On imagine bien Joseph Leon chanter accoudé à un balcon dans le Marais à Paris, rêvant de l’Amérique dont il se dit habité et qui se traduit par des ballades americana comme “San Francisco Bay”. Ne passez tout de même pas à côté de ce disque dont les histoires ne manqueront peut-être pas de vous toucher. Et si vous aimez les bouquins de Marc Lévy alors là…

Sortie le 26 mars chez Diese.

THE PAINS OF BEING PURE AT HEART – ÉPONYME
TPOBPAH (c’est presque plus long à écrire en abrégé qu’en entier…) produisent une musique qui n’a rien de révolutionnaire, la plupart des pistes n’ont rien de particulièrement original pour l’auditrice avertie, les mélodies se ressemblent un peu toutes, la voix nasillarde de Kip Berman me fait penser à une douzaine d’autres chanteurs, la pochette du disque a sûrement été faite avec Paint, et si je n’avais aucun coeur je m’arrêterai là en vous disant d’aller réécouter Animal Collective parce que eux ils sont originaux. Mais mon coeur et ma raison m’empêchent tous les deux de vous laisser passer à côté de cette perle de noise-pop toute fuzzy soit-elle. The Pains of Being Pure at Heart ont des influences claires comme l’eau de roche. Ils vont pêcher des mélodies qui existaient déjà dans les années 80, y ajoutent des guitares bruyantes et shoegaze toutes droit venues des années 90 et de groupes post-punk ou shoegaze dont je suis fan absolue (Sonic Youth, The Jesus and Mary Chain, My Bloody Valentine), et recouvre le tout d’une couche de modernité toute indie-rock, ces paroles qui parlent à tous ceux et toutes celles qui ont un coeur et qui s’en servent (avec une mention particulière pour “This Love Is Fucking Right!”). Leurs mélodies pop ne sont pas originales (et ils en sont conscients : “The only ‘experimentation’ we do on tour is with various chocolate bars and gummi candies”, dixit Kip, le chanteur) mais dieu qu’elles sont imparables. Et passées à la moulinette fuzz (qui, pour les néophytes, est l’utilisation pour les guitares électriques d’une pédale à effet de saturation) et shoegaze (et ça c’est le style associé à l’utilisation des pédales à fuzz et à distortion) ça donne quelque chose d’absolument irrésistible et jouissif pour peu que vous ayez un goût à la fois pour la pop et pour le rock qui vous fait vriller les tympans. Il y a donc 2 écoles lorsqu’il s’agit de critiquer ce disque, et c’est un peu comme le conflit israélo-palestinien, et je préfère ne pas continuer la comparaison. Les uns se contentent de dire qu’il n’y a aucune originalité dans ce disque et qu’il ne faut dire que ça. Les autres le concèdent et mettent exergue le fait que : ON S’EN BRANLE !
Vous l’avez compris, je suis de la deuxième école.

Sorti le 3 février chez Slumberland.

Sélection réalisée par Eddie Williamson
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