La grande évasion

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La littérature américaine a ceci de particulier qu’elle suscite, à sa simple évocation, une image mentale de grande évasion. Dire d’un auteur qu’il est américain, sans pour autant l’avoir lu, donne déjà l’impression qu’il parle de grands espaces, que tout va être démesuré. Les villes, les personnages, les routes, les aventures. C’est avant toute chose, prendre la tangente.
Pour mieux comprendre, il faut revenir aux sources. Prenez Walt Whitman et ses Feuilles d’herbes. Découvrez une poésie dont les paysages vous transportent. Des descriptions de terres à n’en plus finir, des couleurs improbables qui font rêver. Mais l’Amérique c’est aussi un champs, des champs de couleurs et de coton. C’est l’univers de Toni Morrison dans Beloved (1). Femme, noire, Prix Nobel de Littérature en 1993 et c’est le grand voyage.

On the Road

C’est la traversée dans ces voitures des années 40 et 50 d’un Jack Kerouac épris de musique, de mots, de poésie et de femmes. En toile de fond, la musique de Charley Parker, 239° Chorus de Mexico City Blues (2). Certainement plus poétique ces Clochards Célestes que ceux que l’on rencontre dans les grandes villes. Parlons-en de ces grandes villes. New York, univers fétiche de Woody Allen dans L’erreur est humaine (3), et dans dans tous ses films. Encore et toujours le jazz.
Les dimensions ne sont pas les mêmes ici bas. Là-bas, tout est Haut. De cette arrivée des bateaux d’où l’on voit, au loin, les lumières scintiller, celles de Manhattan. Ces premiers arrivants de l’exil dont tous les possibles emplissaient le cœur. Car il s’agit bien là de tous les possibles. Au-delà du politique, il y a des voyages pour comprendre ceux qui sont à la fois si loin et si proches. Les voyages de Tocqueville, ses carnets, sa correspondance sur la Démocratie en Amérique. Les peintres Léger, Pollock, Basquia et les autres. Tous bouleversants et bouleversés.

I have a dream

Figures emblématiques du cinéma américain reflétant cette atmosphère si particulière: Dustin Hoffman et Robert Redford jouant les journalistes traqueurs. Al Pacino, les avocats, mais aussi ces acteurs d’un Paris-Texas. Et puis, plus lointain encore, les Westerns, les feux de bois, les chevaux, le Grand Canyon, le rouge, les Peaux-rouges massacrés. J’ai fait un rêve, me transporter jusque là, voir le décor et l’envers du décor. Les buildings et les undergrounds, ces Indiens que petite je croyais méchants et que l’on parque désormais. Ilots sectoriels, comme des cicatrices béantes dans l’histoire. J’ai un rêve, celui d’enseigner peut-être à Berkeley, Californie, ou à la School Of Arts de New York, un grand écart certes, mais quand on aime on ne compte pas les kilomètres. Je ne compte pas non plus les fois où j’ai été en colère contre mon rêve. Les politiques souvent aberrantes, les croyances obsolètes, les films à la gloire des sauveurs du monde, l’univers de Wall Street et d’un Michael Douglas plus vrai que nature. Une culture où il faut paraître le visage repassé comme un linge, ne manquer de rien, avoir tout sans avoir l’air « désespéré ». Elle se réveille ridée avec de gros besoins : manger, dormir, travailler. On meurt au milieu de la salle d’attente d’un hôpital dans l’indifférence générale. Pas d’argent, pas de soin. Un film ou deux de Michael Moore et la poésie américaine retombe.

Célébration

Le défaut de la « vieille Europe » c’est qu’elle vous célèbre lorsque vous êtes mort. Les américains tentent de le faire de votre vivant. C’est pour cela que ce continent attire les artistes, les cerveaux, les évincés du système académique. Ce qui peut faire avancer est pris en compte. Malgré tous ses défauts, elle a cette qualité que nous n’avons pas. Il en a fallu du temps pour comprendre que contrairement aux croyances, les différences de couleurs n’étaient pas affaire d’âme. Les Indiens et les noirs n’étaient pas censés en avoir une, justifiant ainsi l’esclavage ici et ailleurs. Les USA ont élu un certain B. O., comme la Bande Originale d’un film historique. En espérant que la bande annonce soit aussi prometteuse que le long-métrage lui-même. La prochaine production d’anticipation serait d’élire ici ou là, une femme Sino-Indo- Suédoise de confession bouddhiste, née en Afrique du Nord. Pendant longtemps on a aussi cru que les femmes n’avaient pas d’âme. La boucle serait bouclée et ce serait une révolution.

Read It

Vous voulez rire par ces temps de crise et découvrir un auteur américain de talent ? Lisez La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole (4). « Petite » diatribe sur l’américain moyen (voire l’Amérique profonde). Histoire d’un personnage cynique et attachant, collection de portraits au vitriol. Amour de cette Amérique qui fait parfois grincer des dents.

Additif

Il y a quelques mois de cela, j’ai parlé des Relations épistolaires. Style de communication perdu dans les méandres d’Internet. Suis-je en phase avec les grands intellectuels de ce monde ? N’allons pas jusque là, même si mon ego serait flatté par l’affirmative… mais quand même…
A la suite de la rentrée littéraire, j’ai parlé également des tourments existentiels de Michel Houellebecq et de la sortie de son film La possibilité d’une île, tiré de son roman. J’ai parlé, il y a encore quelques mois du travail de Bernard-Henri Lévy et du croisement intéressant qu’il opère dans ses ouvrages pour comprendre la condition humaine. Philosophe que je qualifierai de Transgenre.
A l’occasion de la sortie d’ Ennemis Publics (5), j’ai été soulagée de constater que la correspondance n’était pas morte au profit des courriels rapides et informatifs. On y découvre deux personnages complètement différents et qui finissent par se «ressembler ».
J’avoue avoir été surprise par l’écriture de Houellebecq et par la différence entre le personnage qu’il nous présente sur les plateaux Télé et l’homme. Je ne pensais pas pouvoir apprécier ce personnage de la littérature française. Et pourtant… Très réaliste, d’un cynisme touchant, formidable « peintre » de la campagne irlandaise où il vit désormais.
BHL dont on regarde ici plus l’Être que le reflet du miroir qu’il présente, lui aussi, habituellement. Façade obligatoire contre effeuillement graduel.
Une correspondance qui commence par « Cher Bernard-Henri Lévy » et « Cher Michel Houllebecq » et qui, chemin faisant, devient plus intime oubliant les
« Chers » pour Bernard-Henri et Michel.
Deux auteurs honnêtes dans ce livre atypique. Politique, histoires de famille,conversations littéraires, tout y est. Une curiosité à ne pas rater puisqu’en général, les relations épistolaires se lisent une fois que les protagonistes ne sont plus.

Sophie Sendra

1 . Prix Pulitzer en 1988 pour Beloved. Numéro 2378, Collection 10/18.
2 . Christian Bourgeois Éditeur.
3 . Éd. Flammarion, 2007.
4 . Il se croyait un auteur raté, il se tua en 1969 et comble du comble, il obtint en 1981 le prix
Pulitzer. Numéro 2010, Collection 10/18.
5 . Flammarion/Grasset et Fasquelle, Paris, 2008.

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