putsch-mag

Interview de Philippe Claudel

Partagez l'article !

Partagez l'article !Comment expliquez-vous votre éclectisme ; ce « besoin » (si c’en est un) de multiplier les supports (cinéma, livres, théâtre) pour vous exprimer ? Je trouve cela en fait très naturel : j’ai toujours eu le besoin de m’intéresser à différentes approches artistiques : la peinture, la musique, la danse, la photographie, le […]

propos recueillis par

Partagez l'article !
Comment expliquez-vous votre éclectisme ; ce « besoin » (si c’en est un) de multiplier les supports (cinéma, livres, théâtre) pour vous exprimer ?
Je trouve cela en fait très naturel : j’ai toujours eu le besoin de m’intéresser à différentes approches artistiques : la peinture, la musique, la danse, la photographie, le théâtre, la littérature, le cinéma, le design, l’architecture, et j’en oublie, font partie de mon quotidien et de mon être. Lorsque je crée quelque chose, j’essaie de trouver la forme la mieux adaptée pour exprimer ce que je veux faire passer.

Cela doit demander une grosse organisation. Comment travaillez-vous ? Par périodes (quelques mois consacrés au cinéma, quelques mois réservés à la rédaction d’un roman, etc.) ou menez-vous plusieurs projets de front ? Comment se déroulent vos journées ?

Je suis en fait très paresseux. Je me laisse aller dans les projets comme un corps dans un liquide. J’aime faire plusieurs choses à la fois. C’est comme cela que j’arrive à les faire. Et puis je n’ai jamais l’impression de travailler puisque c’est le désir qui me fait avancer.

Ne craignez-vous pas, dans un pays où l’on aime poser des étiquettes sur les gens, que cet éclectisme, voire cet «éparpillement » diraient certains, ne vous soit reproché ?
Ceux qui veulent me reprocher quelque chose trouveront toujours le moyen de le faire. Je ne me soucie pas de leur avis. Cela ne m’intéresse pas. J’essaie d’être sincère dans ce que je fais. Je ne cherche pas à suivre des modes, des courants, ou des attentes. Je veux rester moi-même et faire, en matière de création, ce que j’ai envie quand j’en ai envie.

Que ce soit en littérature, au cinéma ou au théâtre, tout ce que vous réalisez connaît le succès. Avez-vous un secret ?

Je vous arrête tout de suite : depuis quelques années, ce que je fais rencontre les faveurs du public. Mais je sais que cela ne durera pas. Parfois, les créateurs sont en phase avec un public, mais ces intimes connections se prolongent rarement. Je suis persuadé qu’un jour, proche ou lointain, je ne serai plus très lu, et ce que je ferai en cinéma ou théâtre n’intéressera plus personne, mais j’aurai toujours la nécessité intérieure et impérieuse de le faire.

Pour en venir à « Parle-moi d’amour », comment cette pièce est-elle née ?
D’un désir d’écrire une pure comédie, de me faire rire moi-même et éventuellement de faire rire les autres. Je voulais explorer le thème de la scène de ménage : peut-on tenir toute une pièce sur une simple scène de ménage ? En fait, on peut tenir beaucoup plus… ! Je vous rassure, cela n’a rien d’autobiographique !
Par le biais d’une querelle conjugale, vous faites aussi une critique en règle de notre société…
Oui, vous savez, tout se mêle et s’amalgame. J’ai beau me dire : « Tiens, je vais écrire un simple vaudeville, sans prétention aucune et sans arrière-plan » eh bien, malgré moi, des thèmes s’invitent, des allusions, des clins d’œil. Je suis, tout comme vous, dans le monde, et le monde se reflète dans ce que je fais.

Est-ce que par cette pièce, drôle mais aussi « vacharde » avec quelques grossièretés (amusantes d’ailleurs, dans la bouche de la femme) vous n’avez pas cherché d’une certaine manière à « casser» votre image d’écrivain « grave » ?
Non, pas du tout. Celles et ceux qui me connaissent savent que je suis plutôt très joyeux dans la vie. J’adore les plaisanteries. Je suis resté très potache. Et puis, vous savez, mon image, comme vous dites, ne me préoccupe absolument pas. Les grossièretés dans la pièce sont celles de notre époque. Le thème de la vulgarité, notamment de celle des mots, sa critique, était déjà présent dans un roman comme « J’abandonne », paru en 2000. Par ailleurs, notre pays aime mettre les créateurs dans des tiroirs, avec des étiquettes précises. Il est difficile de m’enfermer dans un de ces tiroirs. Je suis souvent à l’étranger depuis cinq ans pour les traductions de mes livres, et depuis cette année pour les sorties de mon film, et je constate que le public et les journalistes que je rencontre se préoccupent beaucoup moins de savoir quelle place exacte m’assigner. Ils s’intéressent à ce que je fais, c’est tout. Ils jugent simplement sur le travail créatif.

Vous êtes actuellement aux USA pour votre film « Il y a longtemps que je t’aime ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Après d’autres pays où le film est déjà sorti et où il connaît un gros succès, je fais ici une tournée importante : beaucoup de villes, d’avant-premières, d’interviews. J’ai la chance que mon film soit distribué aux USA, ce qui n’arrive pas toujours, et le soit par Sony Classics qui est un très bon distributeur. Ces gens aiment le film et le défendent : il y aura d’ici un mois environ 125 copies présentées sur tout le territoire, ce qui est énorme pour un film français. Cela me donne l’occasion de beaucoup de parler de Nancy et de la Lorraine. Je le fais depuis des années avec les tournées pour les traductions de mes livres, mais là, comme le film montre la ville et la région, c’est encore plus fort. Je m’amuse car les journalistes ici notent la forme avant-gardiste du film, alors que je leur explique qu’elle est en fait très classique, mais mon film est tellement à contre-courant des modes, que cela les étonne. Nous avons eu une presse incroyablement enthousiaste, et tous les journalistes écrivent à propos de la possible nomination de Kristin pour l’oscar du meilleur rôle. C’est assez amusant. Elle vient de recevoir lundi dernier l’Award de la meilleure actrice de l’année au Hollywood film festival, et recevra aussi dans quelque temps le même Award donné par le Santa Barbara festival, tout cela pour son rôle dans « Il y a longtemps que je t’aime », qui a remporté aussi il y a quinze jours le prix du public au festival de Vancouver. Nous avons passé du temps ensemble ces dernières semaines, et je suis allé la voir, il y a dix jours à Broadway où elle interprète Arkandina dans « La Mouette » de Tchekov : elle est aussi extraordinaire sur les planches que devant une caméra.

Travaillez-vous à un nouveau projet ?
Ici, beaucoup d’agents et des producteurs voulaient me convaincre de venir travailler à Los Angeles : je leur ai répondu que je préférais largement écrire et travailler à Hollywood-sur-Meurthe ! J’ai des projets en tête, dont un avec Kristin encore. Nous avons envie de retravailler ensemble. Il me faut maintenant attendre une vie plus calme, dans quelques mois, une fois que j’en aurai fini avec la carrière internationale du film, pour me remettre sereinement au travail.

Dernière question : quel « support » que vous n’avez pas encore exploité, aimeriez-vous utiliser à l’avenir : écrire des chansons, des scénarios de bandes dessinées, essayer un autre mode d’expression… ?
Tout m’intéresse, mais il y a beaucoup de formes d’expression où je n’ai aucun talent. Cela ne m’empêche pas de les pratiquer, comme la guitare électrique, mais heureusement, je garde cela pour moi, car sinon le public n’aurait pas assez de tomates et d’œufs pourris pour saluer mes prestations
catastrophiques ! En fait, vous savez, mon désir le plus cher aujourd’hui, serait d’aller à la pêche avec ma fille, me promener en forêt avec ma femme, passer de longs mois à Dombasle, sans jamais prendre un avion ni un train !

Propos recueillis par Olivier Quelier

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à