Avant tout, je suis créateur, au sens large, avec le désir d’utiliser plusieurs outils, plusieurs matériaux, plusieurs supports : Le matériau « image », qu’il soit pictural ou photographique, voire vidéographique…
Le matériau « mot », la narration, qui se prolonge ou s’entremêle avec un travail exigeant de la langue. La narration seule ne m’intéresse pas. Il me faut ciseler, et faire sonner. Pour en venir à votre question, je ne suis pas « venu à l’écriture »… je suis venu à la création. Cet ardent désir de fabriquer des objets, des objets à rêver, des objets à émouvoir.
Il se trouve que ce sont des livres. Parfois mes livres offrent des mots, juste des mots. Parfois des images, juste des images. Et parfois les deux. Mots se mêlent à l’image, ou plutôt se répondent. Et mon luxe est de ne pas choisir, de ne pas me spécialiser. Mon luxe est d’osciller. Parfois l’un. Parfois l’autre. Parfois m’arrêter entre l’un et l’autre. Parfois mixer et cela pourrait s’appeler alors roman graphique.
Faire publier son premier livre, facile ou difficile, au regard de votre expérience ?
Le temps de mon premier livre remonte à loin… Autres temps, autres mœurs. Mais, en fait, il me faut dire que publier un livre, premier ou cinquantième, est toujours difficile quand ses maîtres mots sont : exigence, invention, remise en question. Et vous avouer que j’ai toujours l’impression, quand je propose un projet à un éditeur, que c’est mon premier livre, puisque je ne veux jamais prendre la même route.
D’après vous, qu’est-ce qui fait la différence pour séduire un éditeur ?
La différence ! Pardon pour la pirouette… Mais tel que je conçois ma création et ce métier, oui, pour moi, c’est de proposer autre chose. Des météorites, des pépites, des objets bizarres non identifiés, non identifiables…
Comment expliquez-vous toutes les difficultés que rencontrent les auteurs méconnus pour publier ?
L’avalanche. L’avalanche de textes ou de projets arrivant dans les boîtes des éditeurs. L’avalanche de livres s’entassant dans les cartons des librairies. Le terrible manque de place dans les rayons pour éponger cette crue. Le temps, infime, ridicule à pleurer, qu’un livre a pour faire ses preuves sur les étals. Alors les éditeurs, gros et moyens, écrèment cruellement. Quant aux petits éditeurs, ils ont de moins en moins de chance de passer entre les mailles.
Quel est le ou les conseils que vous donneriez à nos lecteurs qui cherchent à être publiés sans succès ?
… être opiniâtre. Avoir un bon ciré et tenter de passer le cap Horn.
Que diriez-vous à nos lecteurs pour les inciter à lire votre dernier roman « Grains de beautés » aux Editions Actes Sud ?
Si vous aimez les meubles à secrets… Si vous aimez les labyrinthes et autres jeux de l’oie…Si vous aimez les cabinets de curiosités…Si vous considérez que la curiosité est un précieux défaut… Si vous aimez les cartes du Tendre, délicatement crues et tendrement cruelles… Si vous avez des penchants à préférer et à dénicher les livres non formatés…
Si vous recherchez les chemins de traverse, les passages non cloutés et le mélange des genres… Alors oui, vous viendrez demander, étincelle dans l’œil, au comptoir de votre libraire, quel est ce drôle de petit recueil de « minuties d’un collectionneur de mouches » chez Actes Sud ?
Quel est cet opuscule qui cache si bien son jeu, ses malices et ses fantasqueries derrière un grain de beauté ? Et puis, oserais-je citer la chute d’un des articles qui furent publiés sur « Grains de beautés » dans LE MONDE DES LIVRES « L’écriture baroque, fantasque et sulfureuse de Frédéric Clément est un authentique régal. Ce roman miniature est un bijou. » … parce qu’en une phrase, il résume mes intentions de créateur : Régaler ! Régaler le lecteur de surprises. Régaler par mes inventions. Régaler par mes choix de mots, que je soupèse comme des ingrédients précieux, avec quelquefois des grains de sable ou de poivre ou de piment ( voilà pourquoi, il faut déguster ces « Grains de beautés » lentement, avec prudence et précaution, car on ne sait jamais ce sur quoi la dent peut tomber… ). … et bijou parce que j’aime enchâsser des cailloux. Faire de vulgaires petits cailloux d’histoires qui traînent dans ma tête et mes tiroirs, des bijoux. Bijoux de papier, inusables à l’épreuve du temps… et des avalanches.