L’écriture par Sophie Sendra
Parler des écrivains, c’est bien entendu parler de l’écriture, sujet sérieux, profond. Permettez-moi de l’être…un peu.
Parler des écrivains, c’est bien entendu parler de l’écriture, sujet sérieux, profond. Permettez-moi de l’être…un peu.
Souvenir
Écrire sur l’écriture, étrange comme situation. Comment expliquer l’écriture en passant par ce sujet devenant objet d’observation(s), de description(s) et d’analyse(s) ? Peut-être par le biais du souvenir. Il y a déjà quelques années, lorsque je passais par cette étrange expérience qu’est le Capes, un sujet de dissertation nous était proposé : Penser et Parler. Sans autre explication, il fallait que nous réfléchissions, « écrivions » sur ce sujet. Temps limité à six heures de « production ». Expérience des plus déconcertante. Le point de ralliement de ces deux termes n’était-il pas celui de l’écriture ? J’ai écrit pendant six heures et je ne me souvient pas du contenu de cette dissertation. Sans doute parce que l’écriture n’était pas, à l’époque, mon activité préférée. La timidité élève parfois l’écriture au rang de nudité, de dévoilement. Il faut une dose d’affirmation de soi pour montrer et se montrer au travers de l’écriture, c’est une étape. On écrit pour soi, sur soi, puis, par étapes, de soi (par touches) pour les autres, mais elle est souvent difficile. Après cette difficulté, le plaisir. Il finit par exister un besoin
irrépressible. Désormais, je dois écrire. Cette phrase évoque le besoin. Le « je dois » est à la fois cette notion qui « impose » l’action et cette forme particulière du besoin. L’écriture est donc ce qui s’impose à l’écrivain et ce dont l’écrivain à besoin.
Traduction
L’action qui précède l’écriture est la pensée. Cette dernière est cette parole interne, cet enchevêtrement d’images, de sons, de mots que l’on doit « traduire » en sigles par un « système de communication fait de signes conventionnels, stabilisés permettant d’identifier des messages analysables ». D’un point de vue anthropologique cela se tient, mais du point de vue de celui qui écrit, il faut l’admettre, cela n’est pas très poétique.
Notre image commune de l’écriture est romantique. Elle allie parfois ce romantisme à la douleur de l’écrivain solitaire, torturé voire frénétique qui se lève en pleine nuit pour « traduire » ce qu’il pense, rêve, imagine. C’est parfois le cas, mais au-delà de la simple écriture il existe cet « hypertexte », ce langage intraduisible qui se trouve dans un ailleurs, par-delà le sigle, le système, le signe. Il s’agit, comme le disait Jacques Derrida, de cet « essentiel de la langue (qui est) étranger à la langue ». Il est difficile de dire et de « traduire » cet essentiel par le langage, le sigle, le système, le signe. Il existe un au-delà du langage et de l’écriture qui pousse l’écrivain à « produire » (1), au travers de cette « action », cet « allongement » de la pensée. C’est sans doute ce qui pousse celui ou celle qui écrit à écrire encore. C’est sans doute de cette douleur de l’intraduisible dont il s’agit lorsque l’image commune de l’écrivain torturé pointe le bout de son nez.
Il est vrai qu’il est bien question, dans l’écriture, de tout ou partie de cela : traduire. Pouvons-nous associer cette « traduction » à la « transcendance » ? « Passer au-delà », « surpasser » ce langage
interne, ce bouillonnement interne d’images, de sons, de pensées qui assaillent celui qui veut, qui doit écrire, voilà ce qu’est sans doute cette douleur, mot bien trop fort auquel je préfère celui de « difficulté » d’écrire.
Page Blanche
La problématique de « la page blanche ». Recette : de l’angoisse (2), une pincée de sentiment d’étroitesse, un soupçon d’oppression et une lichette de malaise. Recette bien particulière où l’on goûte à ce ressenti, celui d’être totalement « lost in translation ». Il faut traduire ce qui se passe dans nos pensées (3). Le plat est parfois très amère. Avant de passer à l’acte, il faut peser, juger toutes les manifestations de notre conscience. Nos idées, nos sentiments
sont là et rien ne se passe… mais rien c’est quelque chose, c’est parfois là qu’il faut chercher, là où il semble ne rien y avoir. C’est parfois de ce petit rien (4) que vient l’essentiel, celui-là même dont parlait Derrida.
Il faut également ajouter à ce rien une cuillerée d’inspiration. Cette inspiration qui vient du monde extérieur à nous et à notre intime. L’inspiration est cette grande bouffée d’air qui nous aide à respirer. Elle est également ce réflexe qui se manifeste lors du soulagement, de la satisfaction.
L’inspiration est alors double : il faut la pratiquer avant et après l’écriture. S’inspirer du monde, de ces petits rien pour allonger sa pensée, veiller à ne pas s’étrangler, et inspirer une dernière fois lorsque l’accouchement est terminé.
Je n’ai pas parlé de ces poussées lorsque l’écrivain ferme les yeux dans une grimace de douleur, pensant ainsi faire jaillir une idée, une phrase qui manque, un mot introuvable…oui je sais tout ceci est un déchirement de repenser à ce genre de moments désagréables.
Mais être perdu en traduction…quel bonheur n’est-ce pas ? Écrire encore…malgré tout, pour ce tout qui nous échappe sans cesse.
S’il fallait conclure…
Ici vient le malaise. Comment conclure cet hommage ? Faut-il réellement le faire ? Peut-on conclure un tel sujet ? Est-il convenable de conclure un hommage ? Je ne sais pas. Comment traduire tout cela en signes, sigles, système de communication ? Je vois se profiler non pas la « page blanche », mais la « conclusion blanche ». Je vais sortir m’inspirer du monde et penser à vous…écrivains.
1 . Le mot « production » vient du latin productio qui veut dire « allongement » et de procedere, « faire avancer ».
2 . Du latin angustus qui veut dire « étroit », « serré », mais également de angere, « oppresser », « étrangler ».
3 . Du latin pendere, « peser », ou pensare, également « peser » mais aussi « juger ».
4 . qui vient du mot res, qui veut dire chose.