C’est l’amour de la littérature dans son grand mouvement, c’est à dire des matériaux mots et du matériau langage. J’ai tourné dans cet univers du livre. J’ai fait des études très complètes de littérature. J’ai travaillé en librairie, à la BNF lorsque j’étais étudiante. Puis en organisant un prix de poésie pour les étudiants, je me suis découvert une passion pour l’édition lorsque nous avons publié le lauréat. Et je me suis rendue compte que l’édition était un métier où l’éditeur est dans l’arène au service du texte et de l’auteur. Pour moi, l’édition est un métier de producteur d’artiste.
Quels sont les raisons principales qui vous poussent à refuser des manuscrits?
Le sentiment d’avoir déjà lu est rédhibitoire pour que je décide de publier un texte. Mais je ne cherche pas la perfection car c’est l’académisme en germe. Je peux accepter un manuscrit incertain mais je ne le publierai pas en l’état. Il faudra très certainement le travailler. C’est une sanction lourde de refuser un manuscrit.
Qu’est ce qui vous séduit dans un projet littéraire?
Je veux être séduite par le texte ! Puis je m’intéresse aux langues de demain car je ne peux plus supporter le français écrit qui s’éloigne de la langue orale. Il y a une grande mutation de la littérature de la post-modernité et elle joue sur trois choses; la mixité totale de genres et des imaginaires. Puis, j’ai besoin d’une voix qui soit contemporaine même si elle est incertaine. Enfin, il faut que je sois embarquée dans une histoire avec un début, un milieu et une fin. La puissance narrative est un atout indéniable.
Si vous aviez un conseil à donner aux auteurs qui cherchent à publier mais sans succès?
Adressez le manuscrit à l’éditeur que vous aimez lire ou sinon flânez dans une librairie et renseignez-vous sur les lignes éditoriales. Par question de correction, lisez les livres des éditeurs qui vous intéressent. Il faut aussi beaucoup de temps pour faire un écrivain et une voix. Ainsi, il y a un chemin qui est long, avec de nombreuses années de travail et de perfectionnement. On ne peut pas économiser ce temps-là. A mon sens, il est aussi important de se tester à la publication via une multitude de canaux.
Et enfin, la mise à distance avec son propre texte car il est important de prendre du recul sur son écriture.
Publiez-vous en majorité des manuscrits que vous aimez ou des textes que le public apprécie particulièrement?
Au Diable, nous publions 20 à 25 titres par an, basé sur un axe éditorial qui comprend la création littéraire issue de la pop culture, de la culture de la modernité ou de la post-modernité. Je refuse de bons textes pour travailler sur des coups de coeur monumentaux, ces textes qui feraient que je ne pourrais pas vivre si je ne les publiais pas. Au Diable, nous sommes très sélectifs mais c’est le seul moyen de contrôler sa production. Il est vrai qu’il y a une différence entre le plaisir de lecture et la construction d’un catalogue. Car nous nous voulons une maison de catalogue et nous publions des auteurs, que nous pensons incontournables. Et nous ne pouvons nous permettre au Diable de publier des textes commerciaux car nous restons fidèle à notre catalogue. Et puis nous ne savons pas le faire même si nous aimerions ! Nous sommes une maison très littéraire, créative voire iconoclaste selon certains.
Pensez-vous que des auteurs de talents peuvent-ils être oubliés lorsque que leur manuscrit arrive par la poste?
Oui bien sûr mais comme généralement les bons auteurs envoient leurs manuscrits à de nombreux éditeurs, il est difficile de croire qu’ils seront oubliés toute la vie et par tout le monde. Mais les éditeurs sont des êtes humains et il peut nous arriver de mettre du temps à lire un texte. Au Diable, nous en recevons 10/15 par jours donc il est difficile d’être très réactif.
Marion, quel regard portez-vous sur l’édition numérique?
Je pense qu’il faut s’en réjouir. Plus il y a de moyen de mettre en relation les auteurs avec leurs lecteurs, mieux c’est. Le métier d’éditeur est un métier provisoirement lié au papier. Car il y a de nombreux moyens de vendre des textes. Et le rôle de l’éditeur est de diffuser ses auteurs à un public large dans le monde entier. Donc on orchestre différentes incarnations du livre. La première est le format du papier en librairie. Après il y a la lecture à voix haute, le livre audio, les formats MP3. En tant qu’outil de travail, je souhaite le format numérique pour travailler confortablement. En tant qu’éditeur, je m’intéresse à l’auteur, au texte et au lecteur, et en aucun cas, je ne suis un marchand de papier. Au Diable, nous nous préparons au numérique depuis notre création et de surcroît avec notre positionnement géographique (la maison est installée dans un petit village du Gard, Vauvert). Car le numérique et internet nous permettent de toucher nos lecteurs dans le monde entier.
Parlez-nous de la dernière publication au sein de votre maison ?
C’est le prochain livre de Régis Sa Moreira qui s’appelle “ Mari et Femme” qui sortira en septembre. Je n’arrête pas d’y penser tellement je suis heureuse de le publier. Je sais que Régis Sa Moreira deviendra un grand auteur et son prochain texte est le plus beau roman d’amour que j’ai lu, tout simplement. C’est un texte extrêmement drôle qui porte sur le divorce d’un couple. Pour moi, c’est un tour de force de littérature, une performance stylistique et littéraire extraordinaire.