putsch-mag

Marc-Olivier Amblard

Partagez l'article !

Marc-Olivier Amblard est libraire à la librairie
Labbé à Blois – France

“Je laisse à ces « académies » sauvages que sont devenus certains médias et certaines institutions figées l’orgueil d’exercer une critique bordée, copine voire même avertie des livres“

propos recueillis par

Partagez l'article !
Pourquoi avoir choisi de devenir libraire?
Par vocation ! Après avoir tâté des études d’Histoire de l’art , j’ai passé le concours d’année spéciale d’IUT métiers du livre de Bordeaux via une passerelle bac+3. L’été précédent ce cursus professionnel, j’ai débuté dans une petite mais dynamique librairie à St Pierre d’Oléron la librairie des Pertuis (dont le fondateur ancien de l’iut est décédé en 2007; je lui rends ici un légitime hommage). Et ça dure depuis 17 ans en passant par Bordeaux, Nice et Blois, au sein de librairies de tous types : médiastores, France Loisirs et grande distribution, responsables de toutes sortes de rayons : universitaire, pratique, poche, pour enfin m’épanouir au sein d’une grande librairie générale indépendante régionale la librairie Labbé, en charge en particulier de la littérature. J’écume depuis mon enfance ces lieux de perdition que sont les librairies, bibliothèques, maisons de presse, musées, bouquinistes, soldeurs ; j’y furetais pendant des heures ; tout était bon pour assouvir ma curiosité et ainsi parfaire ma future connaissance éditoriale. Et, en voyage, je visite toujours les librairies locales. Déjà la bibliothèque paternelle chez ma grand-mère – que je mettais à bas pour mieux admirer les couvertures ! – où les étagères au grenier de mon grand-père maternel étaient mes cibles favorites ! J’ai toujours eu une relation privilégiée au livre. De savoir, de contact et d’esthétique. Mon père militaire dans l’armée de l’air et photographe-imprimeur à l’école de l’air de Salon de Provence m’a sans nul doute créé ses affinités électives…

Quel est votre travail au quotidien?
Ouhla ! Le mythe de Sisyphe en gros ! Ranger les livres reçus, les nouveautés et le réassort des titres vendus (ouf!), retourner les invendus (hélas…), guider les clients et dialoguer avec eux si l’on peut, voire débattre, s’en faire des complices et/ou des passeurs au mieux (ils nous (in)forment aussi!). Recevoir les représentants des maisons d’éditions, nos interlocuteurs indispensables pour suivre le fil pléthorique de la production, mais aussi des mises en avant – les fameuses « campagnes »! – d’une collection, d’un événement, d’un auteur… Faire des vitrines à thèmes ou à l’impro, courir, parler, porter, accueillir, faire vivre ! Bref animer au sens de anima, donner une âme…

Qu’est ce qui vous paraît le plus passionnant dans ce métier
De découvrir une pépite littéraire, une émotion esthétique, en nous ou chez l’autre et la faire partager au plus grand nombre ou, même à une seule. Transmettre plaisir et connaissance, guider et connecter un livre et son lecteur, quelque soit le genre ou l’éditeur. Rencontrer les auteurs enfin, et, là aussi, partager des enthousiasmes et des affinités, débattre encore, avec humilité surtout. Etre un étudiant perpétuel éveillé et curieux.

En tant que libraire, vous êtes amené à critiquer les livres. Quels sont vos critères d’analyse et de jugement?
Mes critères « d’analyse et de jugement » sont éminemment
subjectifs et passionnés car les écrivains, les auteurs, sont les véritables créateurs. Nous, nous restons des passeurs, surtout pas des gardiens. Je laisse à ces « académies » sauvages que sont devenus certains médias et certaines institutions figées l’orgueil d’exercer une critique bordée, copine voire même avertie. A défaut de verve ces chapelles ont la fâcheuse tendance à étiqueter à tort et à travers. Nous ne parlons que de livres que nous aimons et défendons ! Il faut brasser pour trouver la bonne alchimie ! Il faut aussi arrêter le mythe, double, du « grand éditeur » forcément accoucheur de talent, par sa notoriété et son ancienneté, dont le nom ce confond avec la marque, mais aussi du « petit éditeur » dénicheur de génies, forcément ! Les deux éditent de l’excellent et du navrant, et font vivre le marché ! Avec près de 900 000 livres disponible sur Dilicom, l’hydre n’est pas près de mourir et la boîte de pandore est ouverte depuis longtemps ! Mon seul critère ? Le plaisir, ceux du lecteur, le mien et pourvu que ça marche… La lecture n’est pas un plaisir solitaire, loin s’en faut, c’est un lien social et la librairie son agora.

Pensez-vous que le marché du livre s’adapte à une mode de genre et de style comme peut l’être “La Harry Potter Mania”?
La librairie suit la tendance comme tout un chacun, comme tout lieu public. Par contre, elle peut et doit donner du sens et anticiper tout le temps, comme un éditeur. Elle participe du mouvement et, elle aussi, sait être à la source d’un phénomène (cf Gavalda ou Barbéry: cas typiques de choix de libraires) que la presse ne fait que reprendre quand celui-ci est déjà effectif…

Avec l’arrivée du livre numérique, comment voyez-vous l’avenir du livre papier authentique?
Le paradoxe du virtuel et du boom micro-informatique en général, c’est qu’il n’a pas tué la galaxie Gutenberg, celle du papier, mais au contraire à générer encore plus de textes… à imprimer !!! Idem pour l’E-livre, il en sortira bien quelques kilotonnes de papiers et fera encore grimper la facture carbone du monde du mot… A terme, les livres de connaissances les plus pointues (sciences, droit, techniques…) migreront, comme déjà les revues de la même eau, vers l’E-dition. De là à prédire une chute brutale du marché en magasin comme pour les CD et les DVD, je ne le pense pas, ou en tout cas la Librairie est capable de s’adapter et de réagir en intégrant toute forme de ventes nouvelles en boutique (type bornes de téléchargement par exemple). Le risque le plus important est le contournement de la loi Lang dont certains (Leclerc, Amazon…) réclame l’abrogation sous des prétextes monopolistiques à peine déguiser, avec pour conséquence certaine la disparition des librairies car qui connaît encore un disquaire indépendant ? En tout cas, celles qui proposent une offre large et profonde du fonds – plus de 50 000 titres ce n’est jamais la même chose que 50 000 volumes et pourtant tous les réseaux communiquent avec ambiguïté sur ce second chiffre ! Celles qui immobilisent de fortes charges immobilières, de fortes charges salariales car la Librairie est un métier de spécialistes et de conseils, celles qui ne se contentent pas d’être à terme des vendeurs de VPC de plus, métier qui, en fait est en train d’exploser avec Broker plus ou moins professionnel !!! L’E-livre multiplie le nombre et d’écrits et de supports ; donc de clients, donc de marchés potentiels… C’est tout ce que demande un commerce, ce que reste une librairie dans tous les cas ! De la liberté et de l’indépendance, pas du libéralisme « ultra ». A la Librairie de se moderniser, de saisir toutes les opportunités, d’assurer ce que tout entrepreneur actif doit maintenir : la veille technologique, intellectuelle et marchande. A l’échelle d’une PME, c’est une gageure et/ou un sacerdoce ! A terme, les achats sur internet atteindront un plafond, c’est à ce moment-là que l’on pourra jauger le champs de bataille, et que l’on comptera les morts, les naissances et les mutations. Le savoir-acheter a toujours été plus déterminant que le savoir vendre ! Celui qui cernera au mieux ses clientèles, assurera sa pérennité.

Les lecteurs vous demandent-ils souvent votre avis sur les livres à lire?
Oui ! Nous avons près de 3OO « petits mots » insérés dans nos livres en magasin. Ils complètent le sentiment évident que le client recherche le contact, et les critiques types coup de coeur l’incitent et à acheter et à prendre langue avec le libraire, à humaniser le lien et à s’enrichir au-delà du simple acte d’achat. Il n’en demeure pas moins que nous ne sommes pas pour le « forcing », certains clients sont autonomes et cela fait parti du plaisir de la librairie de pouvoir chercher par soi-même, de fureter, quitte à demander si la recherche s’avère infructueuse : il y aura toujours quelqu’un qui essaiera de répondre à la demande. Mieux, en arpentant le lieu, il trouvera peut-être une pépite inattendue. Et puis il y a toujours l’achat d’impulsion et le client « furtif ». Nous pratiquons largement le double, voire le triple classement, le « cousinage », l’inter-classement et la présentation de certains univers en niches (récits de voyage, indiens, Asie, humour, revues, « enfer », olni -objet littéraire non-identifié, terroir, littérature et sport, littérature et jardins, littérature et gastronomie – les libraires ont carte blanche!). Cela reste le plus irremplaçable de « l’authentique », aucun moteur de recherche aussi intuitif qu’il soit, ne pourra s’approcher autant de cette magie-là ! En fait, l’oralité et les « petits mots » dépassent largement le prétendu « mieux-disant » qualitatif du rédactionnel de certains sites de ventes en ligne qui dépeignent de plus en plus le libraire comme quelqu’un d’incompétent et de moins en moins disponible. Les blogs, les pages personnelles, les myspaces, les facebooks et autres forums dits sociaux sont les transpositions technologiques de ces pratiques là, ancestrales, et signe d’une faim évidente de liens. Avec la sinistrose ambiante, l’instinct grégaire tend à rapprocher les gens qui ont besoin de chaleur humaine et d’optimisme ; l’angoisse s’installant, ils compensent par une vie communautaire accrue et fixée sur quelques points communs. Cela entraîne les succès phénoménaux de film comme « bienvenue chez les ch’tis », de livre comme « l’élégance du hérisson », « Da Vinci code », « Harry Potter », « la consolante » (titre sybillin et révélateur) et même « les bienveillantes » ! La corollaire est l’ampleur accrue des best sellers ou plutôt block busters, la baisse des ventes moyennes, et l’augmentation des petites ventes celles qui différencient vraiment un point de vente d’un autre. Le client recherche un avis pour pouvoir ensuite et s’en faire un et le partager. C’est le principe de la pandémie. C’est toujours un plaisir d’avoir un « retour » de lecture sur ces « petits mots » quand les avis sont partagés ou non ! L’Homme recherche encore du contact et du partage, finalement, c’est rassurant!

Parlez-nous de votre dernier coup de coeur en librairie?
« Abreuvons nos sillons » aux éditions du Rouergue dans la collection la brune, le livre de Skander Kali est un vrai choc ! Au-delà de la langue crue et de scènes d’une rare violence (le premier chapitre, une révolte en prison, est un tour de force), ce premier roman français incroyablement intense vous marquera longtemps ! Confessions et ultimes souvenirs d’une « crevure » de la zone (sic), c’est une magistrale baffe qui détonne sur la mode pseudo-marketing du roman/banlieue (kiffe kiffe…) !

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à