Henry de Montfreid et Marcel Aymé: une exhumation littéraire nécessaire

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Par Eric Yung – bscnews.fr/ Les amoureux des livres ont tous connu -au moins une fois- le plaisir de baguenauder dans l’allée d’une bibliothèque pour, au gré du hasard, redécouvrir un titre ou un auteur oublié. Il s’agit là, souvent, de retrouvailles qui -sur le champ – donnent l’envie d’emporter l’ouvrage avec soi en espérant ressusciter le plaisir de sa première lecture. Il en a été ainsi lorsque, la semaine dernière, à la recherche de sujets pour cette chronique, titrée fort justement « Hors des sentiers battus », votre serviteur, chers amis de BSCNEWS, a remarqué sur une étagère, au rayon des « rééditions poche » d’une librairie de quartier, deux auteurs qui, en leur temps et malgré leur succès public, ont été boudés par les critiques. Il s’agit d’Henry de Montfreid et de Marcel Aymé dont plusieurs de leurs romans sont actuellement réédités.

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Henry de Montfreid

est un personnage extraordinaire et son talent d’auteur de livres d’aventures est immense. Et si pour certains d’entre nous ces livres seront une redécouverte pour d’autres (heureux lecteurs !) se sera une révélation. Prenons le temps de lire ou de relire, par exemple, « Les secrets de la mer rouge » ou « Mon aventure dans l’île des forbans » ou encore « Le feu de Saint Elme » ces livres vous feront, à coup sûr, quitter le port de la médiocrité et, avec eux, vous partirez voguer loin, réussirez à distancer les pirates qui vous attaquent, connaîtrez des histoires d’amour fortes mais éphémères, négocierez avec des commerçants d’Afrique de l’Est et rencontrerez des êtres qui ont su préserver un sens aigu de la vie. Si certains écrivains ont marqué leur temps par l’oeuvre qu’ils ont, dans le silence et la solitude, patiemment construite durant des années, d’autres -et Henry de Montfreid est de ceux-là – ont connu le succès parce qu’ils ont su faire de leur vie une création littéraire. Henry de Montfreid, né en 1879, est un homme d’énergie et sa soif de découvertes l’a conduit aux quatre coins du monde. C’est sans doute pour cela qu’il serait aujourd’hui -tout comme il l’a été hier- boudé par les intellectuels français. Pensez-donc il était un aventurier et un hors la loi. Henry de Montfreid n’appartenait pas à la tribu des pisse-froid de la société bien-pensante de son époque. Il s’est toujours tenu loin des salons littéraires et son inspiration n’a jamais été puisée aux sources de l’ego et des mondanités parisiennes. Tous ses livres (et il en a signé un peu plus de 70) sont inspirés de ses aventures à bord de « L’Altaïr » le bateau qu’il a construit de ses mains. Il n’a jamais traîné ses guêtres aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés et s’est refusé à flatter des éditeurs. Lui a vécu en mer de différents trafics : perles, armes, haschich et renseignements militaires. Il a connu la prison. Il a aussi servi de guide à Joseph Kessel sur la route des esclaves à l’occasion d’un reportage pour le journal « Le Matin ». Et puis, en pleine guerre italo-éthiopienne il s’est fâché avec le Négus et s’est tellement moqué des britanniques qu’ils l’ont capturé pour le livrer à la France, son pays. La France qui pour faire plaisir aux alliés anglais l’a déporté au Kenya…Henry de Montfreid aurait voulu être reconnu par ses pairs comme un « vrai » écrivain (ce qu’il était comme en témoigne son oeuvre entière) mais la petite société des salons parisiens s’est toujours refusée à lui céder ce statut. Et même si Joseph Kessel, Paul Vaillant Couturier, le théologien Pierre Teilhard de Chardin ou encore le peintre Paul Gauguin l’ont soutenu dans les épreuves et permis à quelques-uns de ses romans de connaître un grand succès populaire, il n’a jamais obtenu la reconnaissance littéraire qu’il espérait, qu’il méritait. Alors, aujourd’hui osons lire ou relire Henry de Montfreid. C’est du plaisir chimiquement pur. Il est toujours édité (en livre de poche) chez Grasset-Fasquelle.

Marcel Aymé est une autre victime littéraire de la critique et, s’intéresser, aujourd’hui, à son oeuvre est une forme de justice qui lui est rendue. En effet, des apparatchiks de son temps, lui ont –sous des prétextes fallacieux- interdit jusqu’à sa mort et avec un
acharnement peu commun d’inscrire son nom au frontispice des belles lettres. Où faut-il chercher les raisons de cette mise à l’écart ? Dans la vanité de quelques professionnels de l’édition persuadés que leur « prêt à penser » définit les règles de la bonne littérature, chez des auteurs à la mode jaloux du succès populaire de Marcel Aymé et d’une façon plus générale chez ceux –et ils sont nombreux !- qui se sentent perdus face aux esprits libres. Et puis, quelques-uns n’ont pas supporté que ce fils d’ouvrier sans diplôme se fasse –à travers ses romans – donneur de leçons en pourfendant la bêtise et le snobisme en matière d’art et en dénonçant, sitôt la fin de la seconde guerre mondiale, les hypocrisies de l’épuration, les faux héros, les aigris de la libération devenus dénonciateurs au nom d’une morale publique parfois revancharde. Mais ce n’est pas tout : Marcel Aymé a décrit dans ses livres, avec une précision d’orfèvre, l’univers des collaborateurs reconvertis dans la résistance de dernière minute et, à l’occasion de son plaidoyer contre la peine de mort -le premier du genre- il a aussi montré du doigt ces magistrats qui ont tous (sauf un, Paul Didier) prêté serment au maréchal Pétain mais qui, à la libération ont été chargés de juger les anciens adeptes du marché noir et autres petits combinards de l’occupation. Des prises de positions littéraires qui ont attiré la vindicte de l’intelligentsia de l’époque (à l’exception de quelques écrivains dont François Mauriac) au point où il s’est trouvé en devoir de justifier la raison pour laquelle il était demandeur d’une grâce présidentielle en faveur de Robert Brasillach, d’expliquer –dans le même temps- pourquoi il a accepté la publication de nouvelles dans des journaux collaborationnistes tels que « La gerbe » ou « Je suis
partout ». Mais, comme ces écrits, dès 1940, n’ont laissé aucune place à un ralliement à l’occupant, que par ailleurs (bien qu’il ait demandé, pour un de ses films, un financement auprès de la Continental, société de production du Reich) il avait travaillé aux côtés de Louis Daquin, un cinéaste marxiste et qu’enfin il s’était moqué dans plusieurs de ses livres du régime nazi, aucun comité de la Libération n’a exigé d’inscrire son nom au pilori de l’infamie qui était « la » liste noire des écrivains à la libération. Le cas Marcel Aymé méritait en effet une analyse aigue et approfondie pour pouvoir conclure ou pas à une culpabilité intellectuelle et ce, d’autant plus que la personnalité complexe et l’esprit libre de l’auteur (entre autres) de la « Jument verte », de « Uranus » et du « Passe muraille » s’accommodaient mal de l’opinion tranchée de ses détracteurs. Une opinion qui a pesé peu dans l’histoire littéraire de l’après-guerre sachant que le manichéisme est l’ennemi des mémorialistes. C’est sans doute pour cela que Jean-Louis Bory a clamé sans crainte que ces « deux passions étaient Aragon et Marcel Aymé » tandis qu’Antoine Blondin s’est offusqué « de l’ignorance dans laquelle la critique (…) a tenu l’oeuvre de Marcel Aymé ». Une vingtaine de romans, treize pièces de théâtre, neuf recueils de nouvelles, deux essais et plusieurs centaines d’articles forment l’oeuvre de Marcel Aymé dont une partie est éditée dans la prestigieuse collection de « La Pléiade ». Mais des titres tels que « La Vouivre », « La Jument verte », « Le passe-muraille » et/ou « Les contes du chat perché » sont (entre autres titres) disponibles en livres de pochedans la collection Folio de chez Gallimard.

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