Cinéma : la violence sur pellicules
Par Sophie Sendra – BSCNEWS.FR / Le rôle de la philosophie n’est pas de fournir des statistiques ou de rapporter des expériences, ceci nous le laissons aux sociologues dont le travail éminemment important porte un éclairage non négligeable à l’étude des phénomènes sociaux. Dans un souci de continuité par rapport à ces travaux, la philosophie permet parfois de faciliter la compréhension du Sens du phénomène à étudier. Le cinéma aide également à s’interroger, à voir autrement les choses, à changer d’angle.
Cette recherche de sens, que la philosophie et le cinéma ont en commun, nous devons l’examiner par rapport à la nature même de ce dont on parle, son existence propre et sa valeur en tant que phénomène. La violence à l’école a été filmée et se trouve être au centre de toutes les attentions ; elle est soumise à toutes les controverses possibles comme le sont les films qui consacrent leur thématique à ce phénomène. Il est impératif d’apaiser le débat afin de permettre à la Raison raisonnante de balayer les sentiments exacerbés qui se manifestent face à un tel sujet.
Afin de comprendre un tel phénomène, il faut déterminer le pourquoi, le comment et le que faire. Cet éclairage philosophique – au travers de quatre films – nous conduira à nous demander de quelle violence il s’agit, d’où elle vient, son sens, c’est-à-dire sa signification autant que la direction qu’elle prend, mais également nous demander quelles sont les différences qui existent entre l’agressivité et la violence et l’importance que peut avoir le langage face à ce phénomène que l’on dit récent.
Elephant (Film de Gus Van Sant, USA, 2003)
La violence dans nos sociétés est de tout temps. Nous la faisons exister par notre nature propre. Cette violence est une guerre contre l’autre, elle prend différentes formes. Elle se manifeste par l’envie de s’approprier ce que possède l’autre (ce que l’on appelle une guerre économique) mais également par le désir d’acquérir un statut social, une identité, un pouvoir et de faire valoriser son ego. Pourquoi assimilons-nous le mot violence et le mot guerre ? Il va de soi que la guerre n’est pas dans nos écoles, fort heureusement. Mais la similitude des raisons qui les font exister nous poussent à les rapprocher sans les confondre.
Ce que l’on peut observer c’est que les comportements violents ont des origines communes qui peuvent être, tour à tour, le sentiment d’injustice, le désir de s’approprier le bien d’autrui ou le désir d’acquisition d’un statut particulier au sein d’un groupe (en général il s’agit du désir d’être leader).
Nous avons tous connus des situations de violences lorsque nous étions à l’école primaire, au collège ou au lycée. Cette violence se manifestait la plupart du temps hors des enceintes des établissements et les « règlements de comptes » lors des récréations se terminaient bien souvent chez le proviseur. Mais alors qu’y a-t- il de changé par rapport à ce que nous avons connu ? Certainement les proportions, la façon dont ces « règlements » sont menés, les protagonistes, les sujets visés et bien plus la manière dont les adultes gèrent ces crises et les comprennent.
Battle Royale (Film de Kinji Fukasaku, Japon, 2001)
Il faut distinguer deux choses essentielles. La première est l’agressivité et la seconde la violence. Elles n’ont pas la même signification, la même raison d’être et ne peuvent donc pas être gérées de la même manière. Il faut distinguer un comportement agressif et un comportement violent.
L’agressivité se manifeste dès lors qu’un individu, quel que soit son âge, intègre un groupe. Elle permet à tout un chacun de se trouver une place, un rôle au sein de celui-ci. Elle permet également de sauvegarder son espace « vital » et sa relation aux autres. Cette agressivité peut se traduire de différentes manières : la compétition verbale, sportive, scolaire, mais aussi par le fait de se distinguer par un excès de personnalité, d’humour, de mise en avant de soi. Elle est souvent mal interprétée par les adultes. Cette mauvaise interprétation mène très souvent à un travail de sape de cette agressivité qui mène à la transformation de celle-ci en violence. Plus on réprime l’agressivité plus elle se manifeste en actes violents. Chaque changement de structure, d’école et de niveau demande à l’enfant une adaptation supplémentaire qui aboutie à une agressivité nécessaire. De la même manière, pour se produire devant ses élèves, un professeur aura besoin d’une dose d’agressivité – contrôlée, maîtrisée – pour passer outre les incommodités de sa vie personnelle et se consacrer uniquement à son travail et à ses élèves. Malgré ces explications, l’agressivité est marquée par l’aspect négatif qu’elle dégage et le côté péjoratif qu’elle laisse supposer lorsqu’elle est associée à la violence. Certes, certains comportements agressifs sont à déplorer, mais ils sont compréhensibles sans être pour autant excusables et assimilables à ce nous appelons Violence.
Bowling for Columbine (Film de Michael Moore, USA, 2002)
La violence est à la fois un « abus de force, de puissance », une « action menée contre un individu », mais également le fait d’enfreindre la notion de « respect dû à toute personne ». La violence est une profanation, une transgression envers l’individu et les lois sociales.
Lorsqu’on observe les phénomènes violents, nous remarquons qu’ils se manifestent le plus souvent quand le mot vient à manquer. Bien plus encore, lorsque la pensée vient à manquer.
Lorsque le dialogue est rompu, lorsque les insultes se tarissent, lorsque la parole s’épuise, la violence physique fait son apparition. De même si un appauvrissement du langage, du nombre de mots par individu est constaté, mesuré, étudié, il sera facile d’observer que les cas de violences physiques ont tendance à augmenter.
Le manque de mot est une frustration qui peut déclencher des actes de violence. Ainsi, dès lors que vous apprenez à un enfant à dire un mot sur son sentiment (positif ou négatif) il l’emploiera au lieu de le traduire physiquement (morsures, bousculades, cris intempestifs, pleurs etc.). En grandissant, l’enfant à besoin de ces mots et de l’élargissement de son vocabulaire pour traduire ses pulsions violentes en langage. La barrière du langage n’est pas seulement celle qui rend impossible la communication entre deux enfants de langues différentes, elle est également présente à l’intérieur même de nos écoles, entre enfants mais également entre enfants et adultes.
La façon dont l’adulte va parler, agir et « régler » des situations conflictuelles va déterminer la manière dont l’enfant va gérer ses pulsions.
Zéro de Conduite (Court Métrage de Jean Vigo, France, 1933)
La question qui se pose est de déterminer la différence entre la violence d’hier et la violence d’aujourd’hui, celle qui se manifeste dans nos écoles. Est-ce l’école qui a changé ? Est-ce l’Enfant qui a changé ? Est-ce l’enseignant lui-même ?
Certes les trois ont évolués. L’École n’est plus la même et sa structure éducative, son encadrement se sont modifiés. L’enfant est différent, il apprend autre chose avec d’autres méthodes, il a accès à un monde plus technique, il est aussi un individu à part entière qui a des attentes différentes des nôtres. L’enseignant s’est adapté au fil du temps, il n’est plus seul et se trouve au cœur de l’équipe pédagogique. Mais alors d’où vient cette violence si différente, si brutale qui émerge ici et là dans les établissements scolaires ?
Elle ne vient pas de l’école mais de ce qui est amené à l’école
Ce qui se manifeste à l’école n’est pas issu de l’individu-enfant lui-même, mais de l’importation d’une violence qui pénètre à l’intérieur de ses murs. La société, sans être une nébuleuse informe, est constituée de ce que nous mettons en elle. Elle est constituée de ce que nous vivons en tant qu’adultes, de ce que nous regardons à la télévision, de nos comportements sociaux, du langage que nous utilisons, de l’endroit où nous habitons, de notre condition sociale, des institutions qui la conduisent. Tous ces éléments forment la société dans laquelle nous vivons. Les enfants, dans l’enceinte de l’école, reproduisent la société dans laquelle ils vivent, évoluent et constituent, à travers elle, les codes sociaux qu’ils voient, traduisent, interprètent. L’école et ce qui s’y passe est le reflet de cette société que nous constituons tous. Ce ne sont pas les élèves qui sont violents mais la société qui se traduit à travers eux. Les tensions sociales, familiales et celles vécues par les élèves eux-mêmes au sein de leurs groupes font se développer cette violence que nous avons du mal à comprendre et à résoudre. Faut-il changer la société pour changer la vie de l’école et la violence qui s’y développe ça et là ? Sans doute, mais à quel prix et surtout comment ?
Il faut changer notre propre comportement d’adulte avant même de demander aux enfants de faire ce que nous ne faisons pas nous-mêmes.
S’il fallait conclure
En attendant ce changement de fond, nous pouvons nous demander quelles sont les solutions à apporter à ce problème afin que l’école soit le reflet d’une tradition de pensée et non d’une traduction de la violence. Et le cinéma dans tout ça ? Il peut aider à comprendre… sans doute
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