L’illusion en question
Par Sophie Sendra – bscnews.fr/ Quand on parle d’illusion, la première chose qui vient à l’esprit est « l’illusion d’optique ». Or, cette dernière n’est pas la plus courante. L’illusion est en fait une sorte d’erreur naturelle qui a pour origine l’apparence et qui, par une erreur de perception, de jugement ou même de raisonnement, viendrait se heurter à tout ou partie de la vérité. Mais alors comment peut-on passer d’une simple « illusion », à un système de représentations du monde ?
Quand l’illusion se joue de nous
La différence entre une illusion et une erreur, c’est que cette dernière s’impose à nous : « nous sommes dans l’erreur » et nous désirons en sortir, nous voulons nous en échapper, la fuir ou la comprendre. L’illusion, elle, possède un caractère nécessaire car elle ne peut pas ne pas être et qu’elle s’impose à notre esprit. Nous savons que, parfois, ce que nous percevons est une illusion, mais dans ce cas nous ne pouvons nous en détacher, pire, nous nous complaisons dans celle-ci tout en sachant qu’elle n’est pas vraie.
Lorsqu’il s’agit d’une illusion due à la perception des sens, nous avons conscience de ce qui est, mais nous persistons dans l’illusion : le soleil ne se « couche » pas et pourtant nous persistons à le dire. Jean-Paul Sartre dirait qu’il existe d’autres formes d’illusions que nous entretenons : celles qui consistent à nous faire croire qu’elles sont bien fondées. Nous nous persuadons qu’elles sont vraies. Nous nous moquons alors de nous-mêmes comme l’illusion se joue de nous.
Une illusion séduisante
Se pose alors le problème de la valeur de la perception que nous avons du monde. Pouvons-nous faire confiance à cette perception, à notre propre jugement, pouvons-nous faire confiance à notre raisonnement ? Cette question, pose le problème du fondement même de la connaissance, et de notre faculté intellectuelle à juger du monde.
En effet, une illusion peut-être séduisante, elle peut servir notre raisonnement, et au-delà, une idéologie. La raison, est censée être la faculté de connaître, mais elle ne peut s’analyser elle-même. Notre raison peut juger de la valeur de nos sens, mais est-il possible qu’elle puisse se juger afin de savoir si elle est dans l’erreur ? Nous pouvons même imaginer qu’elle produise elle-même ses propres illusions. Cette idée est développée par Kant qui explique que la connaissance humaine est inaccessible en totalité, et que de ce fait, la raison peut être victime de ses propres jugements. C’est ce qu’on peut appeler une « illusion de la vérité ».
D’un autre côté, l’illusion peut-être provoquée par « des désirs humains ». Cette idée est présente chez Freud qui explique le caractère illusoire de certaines croyances qui reflètent des angoisses que l’on veut supprimer. Créer une illusion serait en fait « réparer une angoisse profonde ». L’illusion est donc loin d’être ce qu’on appelle une erreur. Elle est, en matière politique, le reflet d’un système de représentations du monde. Certains peuvent créer ce système afin de servir une idéologie.
La source de l’illusion idéologique
Une des sources de l’illusion idéologique est celle qui évoque l’idée selon laquelle l’idéologie elle-même se targue d’être autonome alors que, sans le savoir, elle est conditionnée par des exigences économiques et matérielles. Elle peut être également alimentée par une interprétation fausse de ce qui lui est donné. Elle renverse ainsi la relation entre ce qui est réel et la représentation, elle impose au monde une explication de la réalité en renversant les systèmes logiques. Ainsi, elle prétend dire la réalité de ce qui est, alors qu’elle ne fait qu’exprimer, sans qu’on le sache, ses intérêts propres.Il est indéniable qu’en matière de politique, les systèmes de représentations de la réalité peuvent être manipulés, inversés, afin de soutenir des vérités qui n’en sont pas, de manipuler les consciences dans une idéologie qui inciterait à penser à la théorie du complot et à la méfiance de tous envers tous.
L’histoire a montré que la source de l’illusion idéologique était la manipulation des foules. La première décision prise, afin d’alimenter le bien-fondé de ces vérités qui n’en étaient pas, fut de faire un tri dans les bibliothèques, et de brûler les livres. Afin de contrer les idéologies naissantes, il faut comprendre que toutes les sociétés, tous les groupes sociaux, peuvent produire des idéologies se nourrissant d’illusions grossières.
S’il fallait conclure
En mettant à disposition une pluralité d’ouvrages, une pluralité d’auteurs, une pluralité d’idées, il est possible de penser que l’illusion idéologique ne pourra pas s’imposer, et que nous pourrons ainsi garantir que les livres ne se retrouveront jamais, plus jamais, au milieu d’une place publique, consumés jusqu’au dernier, comme on consumerait notre raison jusqu’à l’obscurantisme.
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