Claude-Henry Dubord : hommage à la parole amoureuse

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Par Emmanuelle de Boysson – bscnews.fr/ Après avoir publié en 2012 une anthologie de la littérature érotique remarquée, Claude-Henry du Bord propose un voyage dans la littérature amoureuse de Pierre Abélard à Marguerite Duras. Une invitation à se plonger dans un patrimoine aussi riche qu’émouvant. Nous n’aimons pas seulement qu’on nous parle d’amour, nous aimons aussi les romanciers et les poètes qui mettent en mots des sentiments et des élans parfois démesurés. Alors que tout autour de nous sombre dans la grisaille, nous avons plus que jamais besoin que la parole amoureuse vienne nous redonner envie de vivre.

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Pourquoi vous être passionné pour cette littérature que tout le monde croit connaître ?

Parce que justement la plupart s’imaginent bien la connaître ! Et ce n’est pas le cas. La raison est simple : il existe déjà des anthologies qui ambitionnent de nous faire mieux connaître l’inépuisable vitalité de cette littérature. Or, la majeure partie ne s’intéresse qu’à la poésie et, si ce n’est pas la cas, propose des entrées thématiques trop nombreuses pour satisfaire pleinement la curiosité du lecteur. J’ai donc voulu proposer une autre approche en ne me contentant pas de citer seulement des poèmes (et souvent, ce sont toujours les mêmes qu’on cite !), mais aussi des fragments de romans, de correspondance et même de pièces de théâtre. Parce que le sujet se prête à toutes les expressions littéraires et que la multiplicité des styles renvoie à la profusion du thème. La littérature parle essentiellement d’amour de Tristan et Iseult aux derniers romans parus. Il m’a aussi semblé intéressant d’étudier le mode de fonctionnement de l’expression amoureuse par rapport à celui de la littérature érotique que j’avais étudié dans un livre précédent.

En quoi se distinguent-elles ?
Quand on prend le temps de l’analyse, on découvre que la dénomination « littérature amoureuse » englobe en fait trois manières qui correspondent d’ailleurs à des intentions stylistiques différentes et à des publics précis. La première n’a pas bonne presse auprès des critiques, des journalistes et des intellectuels : il s’agit de la littérature sentimentale, celle de Barbara Cartland qui compte de nombreux amateurs. Le principe du roman « rose bonbon » est qu’il finisse bien alors que la littérature amoureuse finit souvent mal. Les poètes comme les romanciers insistent sur la douleur d’aimer, l’attente, les déconvenues, l’éloignement, les refus ; ils affectionnent les amours impossibles, tragiques, les passions dévorantes. Le propre de cette littérature est de célébrer la personne aimée comme un tout alors que dans la littérature érotique c’est la partie qui cristallise le phantasme : la bouche, le sexe, la peau… En somme, ces trois manières se complètent et recouvrent des publics et des attentes différents.

Comment avez-vous travaillé et quels sont vos auteurs favoris ?
J’ai commencé par me souvenir de ce qui m’avait ému. Ce qui nous marque ne reste pas sans raison dans la mémoire. J’ai ensuite voulu abordé le sujet d’une manière moins conventionnelle en privilégiant toutes les formes et surtout en citant un grand nombre de femmes écrivains. Quand il s’agit d’aimer et de dire son amour, les femmes sont évidemment aussi géniales que les hommes. Voilà pourquoi je donne de très nombreux exemples de femmes écrivains et poètes des lettres d’Héloïse, à Marguerite Duras et Emmanuelle Riva en passant par des femmes de lettres connues, comme Christine de Pizan, Marguerite de Navarre, Madame de la Fayette, Louise de Vilmorin à d’autres qui le sont moins : Hélisenne de Crenne, Gabrielle de Coignard, Madame Deshoulières, Catherine Pozzi, Cécile Sauvage ; j’ai aussi voulu parler de toutes les formes d’amour et donc les envolées homosexuelles de Renée Vivien par exemple. Un choix n’est jamais facile, d’autant que chaque siècle est ici introduit par une présentation générale qui permet de mieux cerner l’évolution des mentalités et la place de l’expression amoureuse au sein de la littérature. On ne parle évidemment pas d’amour de la même façon au XVIe siècle qu’au XVIIIe siècle : Ronsard aime les très jeunes filles, Marot n’est pas heureux en amour alors que Marivaux est optimiste et que Bernis est frivole, léger, alors que Voltaire se plaint à madame du Châtelet de vieillir ! Ce qui est passionnant, ces sont variations, la diversité des thèmes abordés, et la mise en relation d’un extrait de roman avec une lettre : je cite « Le lys dans la vallée » de Balzac et une lettre à la comtesse Hanska, quelques poèmes de Hugo et des lettres à Juliette Drouet. Le lecteur peut ainsi se faire une assez juste idée du génie de chaque auteur. Vous me demandez qui je préfère, mais je les aime tous ! et j’avoue avoir quelquefois eu du mal à citer ceci plutôt que cela. Une anthologie doit être à la fois très personnelle et tendre à l’universel. Je reconnais avoir beaucoup relu, cherché tel fragment dont je ne savais plus où il se situait. Cela m’a demandé infiniment de patience et beaucoup de temps. D’autant que chaque extrait est précédé par une note souvent copieuse sur l’auteur et l’œuvre, il s’agit de ne pas se tromper ! et de donner envie de se replonger dans « Madame Bovary » ou « Adolphe » de Benjamin Constant ou « Dominique » de Fromentin – de purs chef-d’œuvres ! – de découvrir peut-être des auteurs un peu oubliés : Sarasin, Voiture, Chaulieu, Moncrif, Cazotte, Remy de Gourmont ou Viélé-Griffin, de se replonger dans Corneille, Crevel ou Char. Tous parlent d’amour avec tellement de flamme, de subtilité, de délicatesse que nous sommes fascinés, emportés ! Les textes rassemblés sont bouleversants, parfois étonnants, toujours magnifiques parce que l’expression amoureuse n’en finit pas de se renouveler et de dire ses inquiétudes, ses aspirations, ses espoirs.

Quels sont vos autres projets ?
Ils sont nombreux ! Je viens de terminer un long entretien avec Edgar Morin et Tariq Ramadan pour les Presses du Châtelet, plus exactement les éditions de l’Archipel. Mettre en présence un intellectuel agnostique, juif, de gauche, mondialement connu et respecté et un islamologue musulman mal vu des médias français et de beaucoup de politiques y compris socialistes aurait pu être risqué si ces personnalités n’avaient pas, sans toujours le savoir, beaucoup en commun. Morin et Ramadan sont tous les deux aussi brillants que respectueux, démocrates qu’ouverts. Et je suis ravi que « L’entretien de Marrakech » permette de mieux cerner ces personnalités tranchées et honnêtes intellectuellement. Je pense que le livre va beaucoup faire parler et tant mieux ! Je viens par ailleurs d’achever la traduction du premier volume de la correspondance générale de Chopin pour Fayard. L’édition polonaise est remarquable et propose, ce qui n’a jamais été fait, une énorme masse de notes qui permettent de tous savoir, presque jour après jour, sur Chopin. Il n’était pas seulement le génial compositeur que tout le monde connaît, mais un merveilleux épistolier, franc, sensible, aimant, drôle ; je suis très fier de ce travail de titan qui m’a demandé plusieurs années d’un labeur de bénédictin ! D’une certaine façon, lire Chopin nous invite à l’entendre d’une oreille nouvelle et à l’aimer plus encore.
La littérature amoureuse

La littérature amoureuse de Claude-Henry Dubord
Ediitons Eyrolles
19,00 €
392 pages
janvier 2014

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