Street Art : l’Imaginarium du Docteur Pantonio
Par Elodie Cabrera – bscnews.fr/ Alors que ses lapins cavalent toujours sur la façade de la Tour Paris 13, vouée à la destruction, l’artiste portugais Pantonio inscrit son nom dans l’histoire du street art. Il ne reste plus que quelques jours pour profiter de son exposition « Exodus », présentée à la galerie Itinerrance jusqu’au 20 mars 2014.
L’Imaginarium du Docteur Pantonio
Dans la tête de Pantonio, ça doit ressembler à un grand chapiteau sous lequel les idées sautent dans tous les sens. Elles rebondissent, exécutent des pirouettes, réalisent à chaque fois un nouveau numéro. Et, parfois, certaines deviennent des tableaux.
Il n’y a qu’à l’écouter parler de ses multiples vies ou raconter l’histoire de ses toiles pour comprendre que cet artiste portugais est une usine à créativité. Pantonio c’est ce mec qui, un soir, en se baladant dans son quartier de Lisbonne, croise un mur qui lui-même a croisé une voiture. Ding ! Il empoigne quelques bombes et peint « poow », façon bande dessinée, comme si la fresque s’était écroulée après l’accident. « Dans le street art, le plus important ce ne sont pas les grands murs mais les détails de l’architecture urbaine avec lesquels on peut jouer. L’essentiel, c’est intervenir dans la rue et être à l’écoute des détails qui t’entourent», défend cet éternel gosse, toujours un stylo dans la poche et quelques feuilles à portée de main. Cette réflexion teintée d’humour, il aime la partager avec ceux qui sauront être attentifs. Alors, à Lisbonne, dans les ruelles, sur les trottoirs et les façades d’immeubles il écrit « voir » en braille. «Car avoir une bonne vue ne veut pas dire comprendre ce que l’on voit.»
L’enfant des Açores
Pantonio, loin d’être un moralisateur, essaie avant tout de décoder son propre dialecte à travers sa peinture. « Quand j’observe mes toiles avec du recul, je comprends ce que je traversais à ce moment-là, les émotions que je renfermais. » Il faut observer ses lignes bleues et blanches s’entremêler sur fond noir, se lier, se confondre et s’éprouver pour entrevoir son esprit torturé. Mais sa noirceur n’est qu’un trompe l’oeil. «Je pars toujours d’un sentiment négatif , j’essaie de le dompter, puis il se transforme en énergie positive.»
Sa dernière exposition illustre parfaitement ce « un combat intérieur » lui permettant de mettre à nu une « part de lui même ». Dans ses derniers tableaux, des bancs de poissons forment un nuage sombre et compact tandis que l’ultime pièce représente une femme nageant sur le dos, les traits détendus et le visage tourné vers la surface. « Je crois que c’est ma préférée », chuchote-t-il sans détourner les yeux du tableau.
A force de sourire à la vie, quelques ridules se sont agrippées à son visage. C’est que cet enfant des Açores, peau mate, cheveux noirs et yeux bruns, avance pas à pas vers ses 38 ans. De cette terre insulaire perdue entre deux continents, il conserve trois teintes fétiches : l’ébène des roches volcaniques, le turquoise du ciel et de l’eau et le blanc délavé des remous. « Je ne l’ai pas compris tout de suite, mais les Açores inspirent la grande majorité de mon travail», glisse-t-il dans un large sourire. Avec ses grands gestes de méditerranéen, il décrit sa jeunesse, son premier atelier dans le clocher d’une église abandonnée, puis son envol vers le Portugal où il étudie aux Beaux-Arts et en école de graphisme. Il en a écumé des existences, tour à tour designer, graphiste pour plusieurs agences de publicité, illustrateur au sein d’une maison d’édition pour enfants, pêcheur en mer…
Le lièvre et la tortue
Jamais statique, comme sa peinture dont il vit depuis peu, Pantonio préfère les maisons sur roulettes – à l’image de son van qui lui permet, lorsqu’il est à Lisbonne, d’habiter « au plus près de la mer »– voire les roulettes tout court. Pantonio est un mordu de vélo. Il emmène partout avec lui ce bijou de mécanique, sa « pornobyke » comme il l’appelle. Mains sur le guidon, il se déplace en première, deuxième et quatrième vitesse, s’aère, sprinte vers sa prochaine idée. Rien d’étonnant quand on sait que sa première exposition solo, présentée au Portugal en 2013, s’appelait « Ir », aller.
Des oeuvres de Pantonio, se dégage la sensation d’une fuite en avant: « je cherche le mouvement et la fluidité. Il faut que ça raconte une histoire, qu’on entre dans toile grâce à la dynamique qu’elle inspire avant de voir ce qui est représenté.» Le mouvement est le fil conducteur de son travail, depuis ses premières créations jusqu’à sa dernière exposition, « Exodus ». Sur les murs de la galerie Itinerrance, se déploie une vingtaine de toiles toutes connectées les unes aux autres. Les animaux s’y suivent mais ne se ressemblent pas. Lapins, tortues, baleines, poissons, oiseaux et éléphants plongent dans une quête effrénée, se malmènent dans une violence déguisée. « En fait, c’est plus facile de choisir des animaux pour raconter les hommes. Même si les gens semblent civilisés ils se comportent souvent de manière bestiale. Ils courent tous dans une même direction sans savoir ce qu’ils cherchent, moi aussi je l’ignore !», s’exclame-t-il. « Notre société prône la compétition, chacun surveille l’autre du coin de l’oeil. Cette quête, dans laquelle nous sommes tous engagés, représente aussi nos relations et obligations. Elles nous entravent et en même temps permettent d’avancer. »
Cherchez la bête, trouvez l’homme
Ses lapins, si emblématiques, ne sont pas non plus étrangers à ses réflexions imagées. Le patronyme du très critiqué Premier ministre Pedro Passos Coehlo signifie « lapin » en portugais. Cherchez la bête, trouvez l’homme. En 2007, la crise économique frappe de plein fouet l’Europe, le Portugal en première ligne. Pour dénoncer la mise sous tutelle de son pays par le FMI, lors d’un sommet extraordinaire à Lisbonne, Pantonio détourne des panneaux d’indication, renommant par exemple la plus grande rue de capitale portugaise « F.M.I Avenue » et inscrit « Bruxelles » au lieu de « Lisbonne ». L’image fera la Une des journaux locaux. « Quand les choses se sont apaisées, j’ai voulu reprendre le même concept et écrire « Portugal » sur cette grande place, comme pour dire « ici c’est chez nous ». C’était le jour de la fête nationale, il y avait des policiers partout. J’étais tellement stressé que j’ai collé le mot à l’envers », se souvient-t-il en rejouant la scène avant de conclure posément, « finalement, ça avait du sens. On était un pays encore en place mais complètement retourné.»
Sa prochaine performance sera moins subversive, plutôt monumentale : une fresque sur la façade d’un immeuble de 60 mètres au cœur du Chinatown parisien, dans le 13 ème arrondissement. Mais, comme il aime le rappeler, les grands desseins ne doivent pas supplanter les petits. En vous baladant à Paris, soyez vigilants, vous pourriez bien croiser une de ses idées. Les autres courent toujours sous son grand chapiteau.
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