Giulio Minghini : Tuer le tyran
Par Laurence Biava – bscnews.fr/ Le troisième livre de Giulio Minghini «Tyrannicide » est une longue lettre vengeresse de 77 pages d’un auteur en mal de reconnaissance adressée à l’un des pontes de l’édition et de la maison Gallimard, Philippe Sollers.
C’est une lettre d’une violence et d’un cynisme incroyables : celle-ci déplore les méthodes expéditives de lecture de la prestigieuse Maison, sa désinvolture, son arrogance, les mauvaises lettres type envoyées à foison à l’expéditeur de la lettre, l’auteur dénommé Joyau à qui on fait comprendre qu’il devrait délaisser l’écriture et retourner à ses corrections de copie. C’est donc l’histoire de Gérard Joyau, professeur de Lettres dans un lycée technique de Pau, écrivain du dimanche, auteur d’un livre/odyssée de 900 pages. Ce manuscrit dont il est si fier, retravaillé depuis des lustres à chaque nouvelle lettre type, a pourtant connu six versions. Joyau obstiné jusqu’à l’obsessionnel déraisonné est convaincu que « l’astre littéraire » Tyrannicide ne peut être publié que par Philippe Sollers qu’il admire et à qui il voue, l’air de rien, un culte sans fin, dans sa collection « La Blanche ». Face aux refus successifs de ce dernier, qu’il rencontra pourtant au cours d’une de ses signatures au début de ses premières publications, l’auteur Joyau exprime dans ces pages une fureur et une frustration longtemps contenues, invoquant l’injustice, la mauvaise foi. Car enfin, l’éditeur comprend- il bien qu’il lui a volé rien moins que sa vie ? Qu’il a condamné un immense écrivain en herbe, méritant Gallimard, promis à une palpitante existence parisienne, à moisir dans un lycée technique de Pau ? A rester un vieux garçon délaissé offrant le plus clair de son temps à sa mère handicapée, – c’est l’histoire du roman de 900 pages – ?
Tout en jouant habilement avec les clichés qu’entretiennent « écrivains provinciaux en herbe» aux histoires souvent acadabrantesques et pleines de poncifs (ce qui est le cas ici, dans ce roman dans le roman) et « intellectuels parisiens » les uns au sujet des autres, Giulio Minghini propose un duel passionné entre pouvoir et talent, interprété sur une large gamme d’ironie et se sarcasmes où s’éclairent définition et destin d’une œuvre littéraire. Ainsi, le sultan, l’icône Philippe Sollers est loin d’être épargné par la verve acide de Gérard Joyau qui lui expose ses propres idées sur la notion de crime littéraire.. La fin de cette lettre prend d’ailleurs un ton de plus en plus menaçant et Gérard Joyau ira jusqu’au bout de lui-même, choisissant de régler ses comptes… Giulio Minghini signe un texte surprenant, détonnant, désopilant, qui peut aussi, mettre mal à l’aise, sans doute à cause de la rage mélancolique, du dépit comme s’il s’agissait d’un dépit amoureux, de la frustration et de la cruauté que l’on sent chez son héros. En effet, Joyau se voit comme une personne « désignée », un souffre-douleur, rattrapé par la désillusion, la vanité, le complexe d’infériorité ; et l’éditeur devient pour lui ce supot de Satan, qu’il faut éliminer pour cesser de souffrir. Minghini est un styliste parfait et cette lettre à laquelle il faut prêter la plus grande attention, me semble plus profonde qu’il n’y paraît : elle met en lumière les revers de l’écriture quasi existentielle, sublimée, censée émouvoir, chez tous ceux, légion, qui s’imaginent que tout se vaut, que les ressorts de l’émotion se trouvent dans les cordes du vécu, que le simple fait de raconter sa vie vous vaut d’être reconnu, panthéonisé. C’est peut-être cela qui est doublement douloureux ici : d’un côté, la faille affective de Joyau, comme un trou béant, et la gratuité du procès d’intention à l’égard de « certains intellectuels parisiens », censé devoir encaisser tous les coups, et compenser toutes les frustrations.
Tyrannicide
Giulio Minghini
Récit – 77 pages – Nil éditions
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