Ingrid Astier: Ultima necat

par
Partagez l'article !

D’aucuns s’étonnent encore que la littérature à part entière accepte tout naturellement les lettres de créance du genre policier, lors même que la grande truanderie infecte les cercles du pouvoir. Moins impunément, certes, puisque certains sont sommés de restituer le badge couleur de sang contaminé, qu’ils arboraient béatement à leur revers.

Grande Chancelière de l’Ordre des mauvais bougres, Ingrid Astier instruit un nouveau dossier dans lequel les boutonnières sont cousues à l’Ultima Ratio, plutôt que par les petites mains des grandes maisons de couture. Il n’empêche, la griffe aurait de l’allure sur le smoking de Richard Schönberg, magnat sans foi ni loi des médias.
C’est qu’Astier a pris ses distances avec l’attachant romantisme noir du grand banditisme (Angle mort, Série Noire, 2013) pour affronter les métastases de la délinquance en col blanc, les dérives de la corruption et l’impérialisme de la Big tech. Elle ose une incursion dans un marécage qui a fait les beaux jours de la narine française : avions détecteurs de pétrole, président renifleur de diamants et autres pythies des lendemains radieux pour fils de.
Tremper aujourd’hui sa plume dans le cambouis doré sur tranche des nouvelles providences artificielles et numériques est moins un risque calculé qu’ une alerte au salut public. Le polar selon Astier n‘est plus au ronronnement, aussi talentueux soit-il, encore moins aux péremptoires effets de manche des sachants de pacotille.
Il forge son sens dans un roman furieux, dont pas la moindre ligne des 429 pages n’est anodine.
On retrouve des protagonistes de Quai des enfers (Série Noire, 2010), dont l’emblématique Rémi, plongeur à la Brigade fluviale de Paris devenu le meilleur T.H.P. (tireur de haute précision) de l’antigang, harcelé par un chef qui le déteste.
Le roman ne craint pas de prendre le lecteur par la main, ne serait-ce que pour démêler l’écheveau des services de police, un véritable maquis corse.
Un député a été tué par un sniper. A peine de quoi distraire ce petit monde venimeux. Exécution d’une commande ou avertissement sans frais à Schönberg ? Le commandant Duchesne, croisé lui aussi dans « Quai des enfers », laisse son esprit vagabonder, à l’instar du commissaire Adamsberg cher à Fred Vargas. Entre en scène un réseau de jeunes geeks écartelés entre résistance et rébellion, dont on ne mesure pas encore la portée.
Au cœur de la mêlée, Astier a le toupet de donner dans le romantisme « L’amour est la plus grande des richesses mais tu ne peux la posséder. C’est une grâce. Un oiseau qui se pose sur ta main. Tu ne peux la mettre en cage et l’empêcher de voler ». Pendant ce temps-là, une journaliste se penche sur les illusions de l’IA et Rémi a un mauvais pressentiment. C’est à lui de jouer.
Il y a du Bartabas chez Astier. Elle monte à cru Bucéphale, jusqu’à lui imposer cette haute voltige essentielle.

Paraît en même temps un hommage à ce que la Série Noire doit aux femmes. Outre les auteures, analysées d’abondance, les traductrices, agentes, petites mains ont bien mérité d’un monde ou l’odeur de cordite a fait barrage au Chanel N°5. C’est un livre édifiant et fécond, riche de tempéraments fatals pas typiquement féminins. Découvrez notamment qui était Michèle Léglise, dévote aux deux saints, muse germanopratine par excellence. De quoi réjouir Stéfanie Delestré, première dame à la barre de l’insubmersible collection.

 

« Ultima », Ingrid Astier, Gallimard Série Noire, 21€
« Les femmes de la Série Noire, Natacha Levet/Benoît Tadié. Portraits en noir et blanc. Gallimard , 19 €

Laissez votre commentaire
Putsch
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à