La vie est un sale boulot de Janis Otsiemi

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La langue est fleurie, mais question bouquet, Janis Otsiemi investit sans compter dans le chrysanthème. Son héros, Chicano, se débat comme un pauvre diable dans la jungle urbaine de Libreville. Ballotté entre bonne volonté et mauvaise compagnie, sans joyaux ni couronne… « La vie est un sale boulot » (Jigal) est un petit livre qui s’impose comme une vraie découverte.

« La vie est un sale boulot » affirme Janis Otsiemi dans le polar qu’il vient de publier en cette rentrée aux éditions Jigal. Un roman noir à double titre : intrigue classique mais aussi satire sociale servies par un réalisme percutant et une langue savoureuse ; porte-étendard du « polar de brousse », également, urbain, engagé, délicieux bouillon d’une culture qu’il invite l’Occident à revisiter, loin des clichés et de tout paternalisme de bon teint.
Classique, donc, l’histoire de « La vie est un sale boulot ». L’idée de l’ex-taulard embarqué dès sa libération dans un nouveau coup foireux avec ses anciens acolytes a fait les beaux jours du cinéma de papa, gueules tordues et dialogues à l’Audiard. Le lecteur comprend très vite que ce genre de galère a peu de chance de finir en happy end. On n’est pas chez les reines du crime américaines – si tant est qu’il y ait jamais eu confusion – et l’exergue du bouquin, signé Mesrine, l’indique d’emblée : « Un ex-condamné ne sera jamais quitte de sa dette, même après l’avoir payée ».
Un honnête garçon
Chicano, le héros de Janis Otsiemi, va le vérifier à ses dépends. Libéré sur un malentendu le jour de l’amnistie présidentielle (il lui restait trois ans de cabane à tirer) il s’est retrouvé dehors, à « défier le soleil ». Dans la cohue de ce folklore annuel gabonais, il se sent vidé, « comme si quelque chose d’humain en lui était resté dans la prison ».
Après ce qu’il avait fait, il ne devait sa libération qu’à une erreur de personne. Son crime ? Avoir défié les Libanais. Impardonnable dans un pays où les Arabes « font boutique avec le pouvoir ». Chicano avait pris part à un braquage qui avait mal tourné. « Un Arabe avait été tué. Ses acolytes avaient réussi à s’échapper. Lui, il s’était fait arrêter. Tuer un Arabe, dans ce pays, ça va chercher loin ». Mais puisqu’il est libre, Chicano décide de devenir « un honnête garçon ».
Il décide de retrouver Mira, la jolie fille de la photo. Mira, son ancienne petite amie qui pas une fois ne lui a rendu visite à la prison du Gros-Bouquet. Bien sûr la belle s’est mariée, Chicano doit s’en aller. Chicano doit l’oublier… Manque de chance pour lui, même pas le temps d’aller poser son balluchon à la maison qu’il tombe sur ses anciens complices, Lebègue, Petit Papa et Ozone. Un tour dans la voiture du plus frimeur et les voilà dans une gargotière de Kinguélé, un gros bidonville de la capitale. Ils boivent, ils causent et, forcément, ils sont sur un coup. Un gros coup. Le salaire des troufions de Baraka. Rien que ça.

En route vers la mort

Chicano refuse. Sa vie, c’est plus ça. Mais il n’a plus d’amie, pas de boulot, aucun moyen de gagner du fric rapidement. Alors il accepte. Pour cinquante millions. Il accepte de faire le chauffeur. En route vers la mort… Après c’est pas que les choses se passent mal… Non, c’est que les hommes raisonnent simplement : moins on est et moins on a à partager. Alors la violence s’accélère, on trahit, on tue, on fuit…
Deux flics débarquent. Owoula et Koumba. Pas si mauvais que ça dans leur boulot, d’ailleurs, de bons « plombistes de rumeurs » qui savent remonter des pistes et interroger les bonnes personnes. Pour le reste, combines et rackets et tôlières attitrées font leur quotidien. Pas pires que les autres policiers « connus pour leur brutalité de chiens mal nourris ». Peu appréciés d’une population qui dénonçait leurs méthodes quand il s’agit « d’arrêter des petits délinquants pendant que les ouattara vidaient les caisses de l’État sans être inquiétés. »
Owoula et Koumba ont flairé le fric que l’armée n’a pas réclamé. Leur chef les couvre. Forcément, il touchera sa part. La chasse est ouverte. Mais Gabi, le frère de Chicano, est également dans la course pour retrouver le magot. Et celui qui s’est barré avec.
« La vie est un sale boulot » est un roman dense, âpre, cruel. Il est à l’image de la ville qui lui sert de décor, Libreville : « Six cent cinquante mille âmes… Libreville… Disputant à Johannesbourg, Yaoundé, Lagos, la palme de la ville la plus violente, avec ses braquages à mai armée, ses viols, ses vols, ses crimes rituels, ses crimes passionnels ».
Ce qui fait la force de ce livre, c’est la vision de Janis Otsiemi sur la société gabonaise. Police véreuse, armée népotique, pouvoir corrompu… la dénonciation est farouche mais salutaire. Il y a comme un goût de néo-polar dans ce roman, et pas seulement à cause de l’acuité du regard. La langue est belle, riche, chantante. Ça coule sous les yeux et c’est un bonheur ; c’est coloré, imagé, savoureux. Les types à bedaine sont des Michelin, les grandes gueules des bouchards. On appelle les mouchards des allô et les femmes entretenues par des hommes mariés, des deuxièmes bureaux. Bref, les personnages sont souvent détestables, mais la langue reste délectable.
Pas de doute. Si la vie est un sale boulot, la raconter avec tant de faconde et d’efficacité, c’est de la belle ouvrage.

Olivier Quelier

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