On l’appelle Gaspard, comme le roi mage porteur de cet encens que l’on brûle pour enfumer les avaleurs de couleuvres et les grenouilles de bénitier. Il vient de tout perdre dans l’incendie de sa ferme. Restent Blanche, la femme, et l’enfant né contre le brasier, dépositaire du malheur prénommé Josef. Le décor est planté comme pour une version profane de la fuite en Egypte.
Il est des romans que l’on abandonne tôt, menu fretin rendu à la rivière avant d’encourir les foudres du garde-pêche. D’autres s’imposent par une écriture qui vibre d’un sens de la fête à l’épreuve des heures les plus sombres. Elle vaut par le destin de Josef Lafleur et son délicat refus de se prendre au tragique. « Toute sa vie il va fuir, partir, marcher », à croire que le malheur le suit et le gouverne. On dirait le marcheur de Giacometti, à ceci près qu’il est le maître du décor : une nature somptueuse, âpre et envoûtante, racontée avec les chatoiements de Trassard, Goffette et Hubert Juin.
Affamé de tout ce qui ne lui a pas été dit, Josef tient le monde en joue, avec son fusil à pétales. Saison après saison, on le croise en découvreur de nourrisson, providence de maisons à l’abandon, orphelin de peine et de joie, maître d’école, collectionneur d’ondes de choc, rebouteux d’opérette, noircisseur de cahiers comme d’autres enchaînent les neuvaines. Douze misères et treize hantises. Le compte est bon pour qui apprivoise la folie, ce « pays des souffrances qui n’ont plus nulle part où aller ». L’affûtage du monde est à ce prix. Wauters est simplement impayable.
L’éblouissement de chanter les choses avec une gourmandise de grive musicienne.

« Haute-Folie », Antoine Wauters, Gallimard, 19€