Depuis la parution de votre livre, Emmanuel Macron a continué à concentrer les critiques, notamment sur sa gestion des tensions sociales et son rapport de plus en plus vertical au pouvoir. Pensez-vous que sa « mégalothymia », que vous décrivez, s’est encore accentuée depuis ces derniers mois ?
L’ « immaturité politique » d’Emmanuel Macron s’est en effet affirmée au fil des ans, portée naturellement par ses « insuffisances » et « carences » psychiques. Un mégalothymiaque ne supporte pas la contradiction… parce qu’il ne supporte pas les autres, tout simplement. Finalement, il y a, chez de tels hommes « Moi (et même pas) les autres » quand on y pense bien !
Alors, plus que jamais le Président décide seul tout ce qu’il peut décider. « Au service des intérêts du grand capital », comme on aurait dit en d’autres temps, à la disposition des riches dont il s’est toujours montré le zélé défenseur depuis 2017
Elevé dans un milieu bourgeois, imprégné très tôt d’un sentiment de toute-puissance et d’une haute estime de soi, M. Macron n’a toujours eu que mépris pour le « vulgaire », les gens d’en -bas, d’où son dédain pour les tensions sociales – qui ne sont à ses yeux que des signes d’impatience d’un peuple, dont il dit pourtant comprendre la colère, mais dont il ne résout aucun des problèmes (depuis le mouvement des Gilets jaunes en 2018).
Malgré quelques postures pseudo-démocratiques, toujours de circonstances ou de lieux (comme aux Jeux olympiques ou à l’ouverture d’une finale de Coupe de France de football), Emmanuel Macron a toujours été Jupiter, le dieu qui n’a personne au-dessus de lui. Joseph de Maistre avait cette très belle phrase : « Jupiter, c’est le dieu non seulement Dieu, mais TOUT À FAIT DIEU ; le moteur de l’univers ; le père, le roi, l’empereur ; le dieu des dieux et des hommes ; le père tout-puissant ». La définition même de l’actuel Président, non ?
« Élevé dans un milieu bourgeois, imprégné très tôt d’un sentiment de toute-puissance et d’une haute estime de soi, M. Macron n’a toujours eu que mépris pour le « vulgaire », les gens d’en -bas, d’où son dédain pour les tensions sociales »
Le président multiplie désormais les prises de parole directes et les déplacements improvisés, souvent tendus, sur le terrain. Voyez-vous dans cette hyper-présence une tentative de compenser une perte de contrôle ou un symptôme aggravé de son besoin pathologique de reconnaissance ?
Il faut d’abord rappeler qu’Emmanuel Macron (ex-banquier) est un acteur, mais pas un acteur politique. Comme Donald Trump (homme d’affaires) ou Volodymir Zelenski (ex-comédien), il n’a ni le langage, ni les codes, ni les manières de l’homme politique. Qui n’a pas compris ça n’a rien compris au personnage et ne peut plus en parler savamment.
La politique a toujours nécessité un apprentissage car, n’en déplaise aux démocrates naïfs, c’est un métier où, après un parcours partisan, l’on passe des examens qui s’appellent « élections », et, comme chacun, il en existe de toutes sortes : locales et nationales, voire européennes. Or, les trois hommes précités, n’ont jamais passé aucun de ces examens.
Emmanuel Macron est un communicant, un « grand parleur » pour qui la parole tient le plus souvent lieu d’action. L’homme énonce les choses puis les oublie, son inconscient (très puissant chez lui) lui signifiant qu’une chose énoncée est une chose résolue. Il nous a ainsi énuméré toutes les crises existantes : crise de l’hôpital, crise de la justice et des prisons, crise des services publics, crise de la dette, crise politique, etc., sans jamais en résoudre aucune… mais tel n’est pas le but d’un mégalothymiaque.
« Emmanuel Macron est un communicant, un « grand parleur » pour qui la parole tient le plus souvent lieu d’action. L’homme énonce les choses puis les oublie, son inconscient (très puissant chez lui) lui signifiant qu’une chose énoncée est une chose résolue »
L’important pour cet homme, dévoré par sa mégalothymia, est d’exister. Et de tels hommes n’existent que par la présence, une présence, évidemment, éminemment, centrale – le mégalothymiaque ne pouvant être que l’acteur principal, jamais un second rôle et a fortiori un simple figurant. C’est la scène qui importe à Emmanuel Macron, qu’elle soit politique, médiatique, théâtrale. Être au centre du jeu. Le Président aimerait porter le monde, comme Charlie Chaplin parodiant Hitler, le globe au-dessus de sa tête. Porter le globe européen est assurément dans son esprit une première étape, en appelant naturellement d’autres.
Quand Emmanuel Macron feint donc de s’effacer (ce qu’il a fait dans les premiers mois après la dissolution, du fait des « prétentions gouvernantes » d’un Michel Barnier par exemple), il reste cependant à l’affût, aux aguets, prêt à bondir. Les démêlés avec l’Algérie, la poursuite des combats en Ukraine, lui permettent aujourd’hui, usant de ses droits constitutionnels (notamment de chef des armées), et en s’appuyant sur la tradition non-écrite du « domaine réservé », une renaissance inespérée.
Mais la scène européenne ne lui suffit pas, il lui faut en effet ré-occuper la scène intérieure, se montrer, avec toujours le secret espoir de se voir confirmer sa supériorité ici et là.
Vous expliquez que la psychologie d’Emmanuel Macron contamine son action politique. À l’heure où l’exécutif semble de plus en plus gouverner par la contrainte (49.3, répression de manifestations, refus du compromis), estimez-vous que la mégalothymia présidentielle est devenue un danger institutionnel ?
Il n’y a aucun ressort politique chez l’actuel Président. Son seul moteur est d’ordre psychologique. C’est son psychisme carencé qui imprime toutes ses actions publiques, justifie toutes ses décisions politiques, sans aucune exception. Un « danger institutionnel »?, demandez-vous. Adriano Ségatori, le psychiatre italien qui avait posé, dès 2017, le diagnostic de « psychopathie » de celui qui n’était pas encore président, en soulignait alors la pleine dangerosité.
Le Président de la Vème République détient de puissants pouvoirs, uniques dans les démocraties occidentales, ce qui fait de ce régime, je le répète, une « dictature constitutionnelle ». Par ailleurs, au cas de blocage des institutions et de péril extérieur sur la nation (conditions que le Président est seul à apprécier), Emmanuel Macron pourrait encore renforcer ses prérogatives en recourant à l’article 16, qui, de mon point de vue, est une hypothèse à ne pas rayer d’un trait de plume car l’improbable n’est jamais l’impossible !
« Emmanuel Macron pourrait encore renforcer ses prérogatives en recourant à l’article 16, qui, de mon point de vue, est une hypothèse à ne pas rayer d’un trait de plume car l’improbable n’est jamais l’impossible ! »
Il y a enfin « l’esprit guerrier » de M. Macron. Le mot « guerre » (et quelques autres comme « riposte » ou « menace ») est l’un de ces mots favoris. N’étions-nous pas – à ses yeux du moins – en état de guerre avec la crise du Covid-19 ? La Russie – à ses yeux toujours – n’est-elle pas une menace immédiate, imminente planant sur la France et l’Europe, d’où l’idée de surarmer le continent, d’envoyer même des bataillons anglo-français sur le territoire ukrainien.
La guerre, on le sait, a toujours fasciné les enfants et Emmanuel Macron est un enfant égocentrique (pléonasme) aux conduites puériles. S’en défend-il (mollement), Emmanuel Macron rêve de dominer le monde.
Le divorce avec une partie du peuple, en particulier les classes populaires et rurales, semble s’être creusé. Emmanuel Macron semble parfois incapable de l’entendre. Peut-on, selon vous, encore parler d’un président républicain au sens classique du terme ?
Un président a -normal qui, par définition s’affranchit de toutes les normes : politiques, sociales, psychologiques, qui n’entend jamais les autres, en commençant effectivement par les classes populaires et rurales, qui ne connaît que la centralité géographique, pas la périphérie urbaine ou rurale, ne peut que s’éloigner du républicanisme, et plus encore de la démocratie. Le pouvoir d’En haut, la verticalité, le refus du compromis et des corps intermédiaires, sont toujours symptômes d’un dysfonctionnement institutionnel.
« La guerre, on le sait, a toujours fasciné les enfants et Emmanuel Macron est un enfant égocentrique (pléonasme) aux conduites puériles. S’en défend-il (mollement), Emmanuel Macron rêve de dominer le monde »
Vous soulignez dans votre essai que le président a un rapport très particulier à la filiation et au symbolique. Or, il s’affirme désormais comme le seul garant de l’unité nationale face aux « extrêmes ». Est-ce une posture de sauvegarde ou une fuite en avant mégalomaniaque ?
Emmanuel Macron n’a probablement pas noué, durant son enfance et son adolescence, des liens « normaux » avec ses parents. Sans doute a-t-il manqué, dans sa construction identitaire, à la fois d’un père et d’une mère, d’un père et d’une mère aimants. Il semble en tout cas aujourd’hui être largement dans le déni de ces figures parentales [rappelons qu’il a été élevé principalement pas sa grand-mère], semblant en effet ne rien vouloir devoir à ses géniteurs, n’en pas être l’héritier. Un peu comme s’il s’était auto-engendré, comme s’il incarnait une génération spontanée.
Ajoutons que l’on ne sait pas grand-chose de ses rapports avec ses frères et sœurs.
Et bien sûr, il y a cette relation affective complexe, sans doute compliquée, établie avec sa professeure Brigitte Trogneux, de vingt-quatre ans son aîné [qui reste pour la plupart d’entre nous une relation mystérieuse]. Sans doute a -t-il acquis à cette occasion la certitude que tout était permis, qu’il n’y avait aucun interdit ni tabou.
Par conséquent, Emmanuel Macron ne pouvait devenir progressivement qu’un homme de plus en plus sans limites, disant tout haut ce qu’il pense, faisant ce qu’il veut, tout le temps, partout.
Président-jupitérien, Emmanuel Macron entend plus que jamais être le président-rassembleur, le garant de l’unité nationale (rôle qui au demeurant lui est confié par la Constitution). Mais ce ne sont là que paroles. Les divisions marquent plus que jamais la société et le monde politique. Par ailleurs, pour être rassembleur, il faut avoir le souci et la visée de l’intérêt général. Or l’intérêt général est antinomique avec l’intérêt personnel (exclusif chez un mégalothymiaque). Pour Macron, la France n’est donc qu’un jouet au service de sa jouissance personnelle. Le Moi balaie le nous – quel qu’en soit le coût !
« Pour Macron, la France n’est donc qu’un jouet au service de sa jouissance personnelle. Le Moi balaie le nous – quel qu’en soit le coût ! »
Le rôle du chef de l’État sur la scène internationale reste ambivalent : quête de stature jupitérienne, initiatives diplomatiques personnelles, déclarations intempestives. Emmanuel Macron cherche-t-il à s’échapper de l’arène nationale où il est contesté pour se revaloriser à l’international?
Emmanuel Macron a été chassé de « l’arène nationale » par une dissolution ratée. N’ayant plus de majorité parlementaire, il a dû céder la gestion des affaires intérieures à ce couple inédit que forme aujourd’hui le gouvernement et une assemblée parlementaire coupée en trois blocs. C’est, de fait, « l’ingouvernabilité au pouvoir ».
Alors, je le répète, l’international demeure l’investissement premier du Président – ce qui est du reste, redisons-le ici, à la fois dans la lettre et l’esprit de nos institutions. On sait en effet que le chef de l’Etat est, selon la Constitution de 1958, le chef des armées, le détenteur du pouvoir de dissuasion nucléaire, le responsable de la diplomatie. Et personne ne lui conteste la maîtrise du « domaine réservé ».
D’heureuses circonstances : la crise avec l’Algérie, la guerre entre la Russie et l’Ukraine, le conflit israélo-palestinien, assurent aujourd’hui à Emmanuel Macron une véritable « renaissance » politique. A coups de déclarations, parfois intempestives il est vrai, de propositions de plans divers et variés (pour mettre fin au conflit en Ukraine, aux bombardements de Gaza), Macron reste déterminé à demeurer au centre des événements. Disposer d’une scène de représentation lui importante plus que ce qui s’y joue !
La présidence Macron aura marqué le recul de l’influence française dans le monde. Notre pays est chassé de partout, d’Afrique subsaharienne, d’Algérie. Et les gesticulations présidentielles sur la scène internationale ne changent pas grand-chose à cette réalité. La France, dont De Gaulle lui-même avait admis qu’elle n’était plus une Grande puissance, a perdu ce rôle éminent d’influence qu’elle avait encore dans les années 1960 avec une diplomatie active et respectée de tous.
Enfin, à la lumière des nouvelles tensions démocratiques, de la montée de la contestation et du repli autoritaire, faut-il voir dans la présidence Macron l’illustration parfaite d’un pouvoir devenu radicalement subjectif, détaché du bien commun ? Que nous dit cela de l’état de la démocratie française ?
La démocratie française est en crise (constat auquel souscrit Emmanuel Macron lui-même, lui qui a parlé un jour de « fatigue démocratique »). Les institutions républicaines sont également en crise : crise du bicéphalisme exécutif, crise de l’expression parlementaire, crise de l’autorité judiciaire.
La fonction présidentielle est elle-même affectée. Elle a commencé à se dégrader avec Nicolas Sarkozy, s’est ternie avec François Hollande et pervertie avec M. Macron. L’on peut penser que le quinquennat, d’une part, la médiocrité du personnel politique d’autre part ont une grande part de responsabilité dans cet affaissement. Mais cette fonction demeure l’objet de toutes les convoitises. Une VIème République serait peut-être avisée de nous en débarrasser, non ?
Un président anormal
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