Fabrice Melquiot

Fabrice Melquiot, Amstramgram et une pincée de paprika

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Propos recueillis par Julie Cadilhacbscnews.fr/ © Jeanne Roualet/ Fabrice Melquiot a commencé sur les planches au côté d’Emmanuel Demarcy-Mota et la compagnie Théâtre des Millefontaines et en parallèle il écrit des textes pour enfants et adolescents.

propos recueillis par

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Dès 1998, sa prose est lue et entendue grâce à l’Ecole des Loisirs et Radio France Culture. Depuis 2001, ses pièces sont publiées chez L’Arche Editeur et c’est avec Perlino Comment que l’éditeur inaugurera d’ailleurs sa collection de théâtre jeunesse. Suit Bouli Miro qui sera le premier spectacle jeune public mis en scène à la Comédie-Française. Ayant séduit de nombreux metteurs en scène et critiques, Fabrice Melquiot s’est vu décerner le prix SACD de la meilleure pièce radiophonique, le prix Jean-Jacques Gauthier du Figaro et deux prix du Syndicat National de la Critique. Deux obsessions animent l’auteur : le théâtre et la poésie. Il les mêle ainsi dans ses pièces pour le plaisir des grands et des petits et a publié également trois recueils dont le dernier, Qui surligne le vide avec un coeur fluo? vient de paraître aux éditions du Castor Astral. Ses textes dramatiques ont été traduits dans une douzaine de langues et représentés dans de nombreux pays. En 2008, il a reçu le Prix Théâtre de l’Académie Française pour l’ensemble de son oeuvre. Cet été 2012, il a repris la direction du Théâtre Am Stram Gram de Genève et a concocté une saison enthousiasmante tant pour les spectacles proposés que pour les multiples occasions de rencontres artistiques entre le public et des professionnels. A coup sûr, en lisant le programme, va frémir comme une envie d’aller passer un week-end en Suisse avec les enfants!

C’est votre première saison en tant que directeur du théâtre Am Stram Gram. Vous succédez à Dominique Catton qui a fondé le théâtre. Votre challenge résidait dans le fait d’assurer à la fois la continuité d’une pratique et la nécessité d’apporter un souffle nouveau? Avez-vous construit cette saison en ce sens?
En vingt ans de direction, Dominique Catton a accompli un travail remarquable. Avec l’équipe, il a fait d’Am Stram Gram une institution culturelle incontournable en Suisse romande et en Europe. Ce que je souhaite, c’est prolonger et revivifier ; parce qu’un théâtre est toujours à réinventer. Ce qui m’importe, c’est la cohérence dans nos choix, et ne jamais renoncer au souffle poétique, à la fantaisie, à un affolement des espaces qu’on administre. Le label « jeune public » ne me convient pas : il constitue immédiatement l’enfant en spectateur, en cible ; c’est une étiquette pensée par les programmateurs. Et j’aimerais penser Am Stram Gram en poète, plutôt qu’en programmateur. Parce que les poètes sont frères des enfants. Parler d’un théâtre « Enfance et Jeunesse », c’est dire : voilà les espaces qui nous obsèdent, voilà les paysages qui nous réunissent. C’est notre enfance, notre jeunesse. L’enfance de la petite fille de quatre ans assise dans le noir, l’enfance de l’adolescent de dix- sept ans assis à côté d’elle, celle de la maman qui les accompagne, c’est la vôtre, la mienne. Ce qui est au cœur des propositions artistiques, qu’elles soient théâtrales, musicales, dansantes ou circassiennes, c’est toujours un regard sur ou plutôt depuis l’enfance ou la jeunesse. Je pense à ce vers de Bernard Noël : « nous avons dans la tête une île errante et c’est un dé qui roule vers la chance ». Cette île, pour moi, c’est l’enfance, dans ce qu’elle a d’essentiel, d’insoumis, d’instable, de férocement vivant. Cette première saison d’Am Stram Gram propose 13 spectacles pour tous les âges, à partir de 4 ans. Il y a également les expériences du Laboratoire Spontané, les Bals Littéraires, le Loto Poétique, le Soir de nos 17 ans… et puis les ateliers d’écriture et de théâtre, les portraits filmés, les expositions… J’aimerais qu’au fur et à mesure des saisons, Am Stram Gram devienne un Centre de Création pour l’Enfance et la Jeunesse, exigeant, ambitieux, généreux. Un théâtre qui n’exclut personne. Un lieu humain.

Votre édito est titré: manifeste. Quand on dirige un théâtre pour enfants, on se doit de s’engager encore davantage que pour un public adulte?
C’est une manière de dire qu’on n’est pas chez les Bisounours. De très grands auteurs, comme Benjamin ou Agamben, se sont penchés sur cet alliage naturel entre enfance et création. Jamais la présence de l’enfant dans la salle ne nous conduit à une simplification des choses, à un mâchouillage des idées, à une sorte de regard débonnaire sur le réel ou sur le rêve, au contraire ! L’enfance invite toujours à vivre au cœur du monde, à parler au centre des êtres, à inventer pour le présent et pour demain. On peut traiter de tous les sujets, il faut chercher comment. Ce que nous laissons à la porte des œuvres, c’est le désespoir et la perversion. Parce que le théâtre est l’école de l’empathie. Ici, les enfants doivent être électrisés par le verbe ou stimulés par le mouvement, toujours portés par l’autre.

Votre programmation fourmille de rendez-vous enthousiasmants ! Pourriez-vous, par exemple, nous parler des 13 expériences du Laboratoire Spontané?
Il s’agit de dispositifs artistiques d’urgence. Un collectif d’artistes est constitué pour chaque expérience. Chaque expérience implique un rendez-vous avec un public. Il y a dans chaque rendez- vous une dimension performative, l’attente d’un geste volontairement tremblé, fragile, éphémère. Les Bals Littéraires intergénérationnels, c’est la rencontre de 4 écrivains, 8 chansons et des spectateurs- danseurs. Le Loto Poétique, c’est le loto de nos campagnes qui rencontre au coin d’un théâtre un récital de poésie. La Street Party, c’est le mariage du hip-hop, du slam et du graffiti. Le Soir de nos 17 ans, c’est la mise en espace d’un texte, la projection d’un film et un concert, tout ça d’un coup et rien que pour les ados. La Brioche des Mioches, ce sont des formes théâtrales courtes pour les enfants ̀ partir de 5 ans. Le Théâtre c’est (dans ta) classe proposent des représentations théâtrales en classe, avec un seul comédien, autour d’un texte contemporain, écrit spécialement pour l’occasion. Le Cabaret de la Saint-Glinglin, c’est comme son nom l’indique, un cabaret hagiographique qui nous permet de découvrir la vie imaginaire de Glinglin, écrite à six mains par trois auteurs (Laura Tirandaz, Mariette Navarro et Antoinette Rychner) et jouée par un collectif regroupant des comédiens, un magicien-fakir, des musiciens, des circassiens… j’en passe ! Le contenu de ces rendez-vous est toujours incertain, on ne sait jamais très bien ce qui nous attend ; ils font donc appel à la curiosité spontanée de chacun, il ne faut pas avoir peur et pousser la porte du théâtre dès qu’on y voit de la lumière…

Vous avez associé Rebecca Dautremer à ce nouvel envol et elle a imaginé, justement, de drôles d’oiseaux en volume : une illustratrice qui séduit aussi bien les grands queNos amours bêtes les petits et qui répond par là aussi à votre volonté d’un théâtre rassembleur pour tous les âges?
J’ai fait appel à Rebecca parce que je suis estomaqué par son talent. C’est aussi simple que ça. Un appel de groupie. Je suis très heureux qu’elle ait répondu positivement à l’invitation. Ses Oiseaux font désormais partie de la maison. L’espace d’accueil d’un théâtre, c’est un espace de vie. D’une vie qu’on espère différente, un peu à l’écart, plus proche du poème, ce poème qui va nous aider à voir le réel autrement. Alors on y porte beaucoup d’attention. La présence des Oiseaux de Rebecca ajoute à l’espace une légèreté poétique, une dérision. C’est une échappée, une trouée dans l’espace.

De quelles qualités doivent être dotés les spectacles pour enfants: de pédagogie? de fantaisie? d’espièglerie?…..?
Une pièce de théâtre accessible aux enfants échappe à tout projet pédagogique. C’est un espace poétique, donc insurrectionnel, forcément dangereux. Zut, je vais faire flipper tous les parents. Je suis père moi aussi. Et je sais qu’en mettant ma fille au contact d’œuvres littéraires, plastiques ou théâtrales, ce que j’espère lui transmettre, c’est autre chose. Autre chose que la politesse, autre chose que la bienséance, autre chose que le consensus, autre chose que le désir de normalité, autre chose que la mollesse, autre chose que la peur, autre chose que la sécurité. Mais du vertige. Des questions. Un goût du mystère. L’intuition de sens cachés sous l’apparence. La sensation que le visible n’est qu’un exemple du réel, pour reprendre les mots de Paul Klee. Et puis l’envie de rire, l’envie des autres, l’envie du monde.

« Je voudrais apprendre – pourriez-vous me dire comment grandir – ou est-ce intransmissible – comme la mélodie ou la magie? » ( Emile Dickinson)… Am Stram Gram apprend à grandir?
Si on pouvait déjà faire cadeau d’un peu de joie, intellectuelle, émotionnelle et sensorielle, et de quelques bonnes questions, ça m’irait. Il faut donner de la joie, parce que la joie ouvre l’espace et un espace plus ouvert, c’est un espace où on a davantage de place pour s’épanouir. Moi, le théâtre m’a fait grandir parce qu’il me procure de la joie. Parce qu’il alimente mon désir de l’autre et mon désir du présent.

« Ressentir plutôt que vouloir comprendre….mais s’interroger » : le credo théâtral d’Am Stram Gram?
Je crois qu’on apprécie d’autant plus une œuvre que quelque chose en elle nous résiste. On vient au théâtre cerner le champ de ses propres questions, vérifier ce qui nous obsède et mesurer ce qui nous échappe. Pendant la représentation, j’aspire à une sorte d’abandon, à une immersion, qui est intellectuelle et organique. Le mystère est toujours le bienvenu. Les enfants le fréquentent volontiers, c’est comme une fleur inexplicable au milieu du désert. J’ai souvent entendu des adultes s’excuser au sortir d’un spectacle : désolé, j’ai pas tout compris. Encore heureux. Ça ne veut pas dire que je revendique une sorte d’hermétisme, ça n’a rien à voir. Il faut faire confiance à une chose : ce que ta tête ne comprend pas est peut-être lisible par la paume de tes mains. Et je ne prêche pas contre l’analyse ni contre l’esprit critique ! Je dis simplement que ces oppositions tête/cœur, émotion/sens, ressenti/critique, plaisir/réflexion sont des représentations fossilisées et réactionnaires.

Lors de cette saison seront présentées deux pièces dont vous êtes le dramaturge : Bouli Année Zéro et Frankenstein. La première est le dernier fruit d’une collaboration de plus de 15 ans avec Emmanuel Demarcy-Mota, votre septième spectacle commun. Dans une relation artistique aussi complice, le metteur en scène influence-t-il l’écriture de l’auteur? Bouli Miro a-t-il de plus en plus des humeurs qui collent avec celles d’Emmanuel Demarcy-Mota?
En règle générale, Emmanuel intervient peu dans l’écriture des pièces que j’écris et qu’il met en scène. Il est plutôt respectueux de ce que je lui propose. Cela dit, ça peut lui arriver de couper des choses, comme beaucoup de metteurs en scène pour lesquels il y a toujours trop de texte ! Je l’accepte, parce que c’est toujours fait avec intelligence, avec sensibilité, et dans la concertation. La pièce pour l’écriture de laquelle il a été le plus présent, c’est sans doute Marcia Hesse… De toute façon, un texte théâtral n’est jamais verrouillé. C’est une forme de littérature instable, en alerte. Je crois qu’on n’achève pas un texte de théâtre, on en suspend l’écriture.

Vous présenterez aussi, en ouverture de saison, Frankenstein avec Paul Desveaux à la mise en scène : Le choix de ce thème littéraire est né du plaisir des veillées où, gosses, on se raconte des histoires pour se faire peur?
Frankenstein a été écrit en 1816 par une jeune femme de 19 ans. C’est à Genève que Mary Shelley a eu l’idée du roman. Proposer une version personnelle de son livre, c’était à la fois m’approprier par la littérature un lieu géographique – ce que j’aime souvent faire (j’ai découvert le Chili en lisant la poésie de Neruda, j’ai rencontré Roberto Juarroz avant Buenos Aires) – et mettre en forme des questions liées à la paternité. Je me suis installé à Genève en m’installant chez Shelley, je suis devenu père en revisitant les questions de Victor Frankenstein fabriquant sa créature. J’ai mieux réussi ma fille que lui son fils.

Ce sera du théâtre musical avec des marionnettes…un spectacle qui répond ainsi à cette idée que  » le théâtre d’aujourd’hui est un théâtre ouvert à tous les arts, un lieu d’alliance »?
Le décloisonnement entre les arts scéniques n’est pas une mode. C’est la guérison d’un siècle qui avait catégorisé les disciplines. Construire une forme qui emprunte au théâtre et à la danse, au cirque et aux nouvelles techniques, c’est la chose la plus difficile qui soit, mais c’est sans doute comme ça qu’on racontera les histoires du XXIe siècle.

Qu’est-ce qui vous séduit dans l’œuvre de Mary Shelley? Qu’est-ce que vous avez voulu restituer de son œuvre?
En premier lieu, c’est elle qui me séduit. Avec cet éclair de génie à ses 19 ans. Son héritage familial – une mère pionnière du féminisme, un père fondateur de la pensée anarchiste. Sa fuite avec Percy Shelley à travers l’Europe. Je crois que c’était quelqu’un de très fréquentable. Je l’ai placée au centre de l’espace ; la scène, c’est en elle, son lieu mental. Parler d’elle, c’est parler d’écriture. Et puis, comme disait Barthes, on écrit toujours avec de soi : c’est ma propre paternité qui m’est apparu au fil du roman et dans les questions qu’il pose. Comment devient- on père ? Qu’est-ce que la pédagogie ? Qui fait le monstre ? J’aime ce que nous dit le roman : chacun est l’œuvre de lui-même. J’aime tout autant cette force, ce besoin qui anime la créature : naître à l’autre, faire partie des hommes, être reconnu en tant qu’individu. C’est aussi un très beau texte sur l’isolement, qui est une vraie question – un vrai mal – d’aujourd’hui.

Vous utilisez dans cette pièce une prose poétique sautillante et espiègle…une façon de garder la peur à bonne distance?
Ah oui, vous me trouvez sautillant ? Espiègle ? C’est tout moi, ça. Je ne peux pas m’empêcher de sautiller. Disons que plus c’est grave, plus le rire s’impose.

Enfin si vous deviez donner un ingrédient magique que vous utilisez dans vos pièces, vous diriez…?
Le paprika.

http://www.amstramgram.ch
 : Le site officiel du Théâtre Am Stram Gram de Genève

Tournée: AM STRAM GRAM 2012/2013 FRANKENSTEIN
Création Am Stram Gram- le Théâtre Genève

– Dole / Scènes du Jura
du : 15 au 16 octobre 2012

– Maison de la Culture de Bourges : du 18 au 19 octobre 2012


- La Chaux-de-Fonds / Arc en Scènes : du 25 au 26 octobre 2012

– Chambéry / Espace Malraux (Dullin): du 13 au 15 novembre 2012

– Marseille / Théâtre de la Criée
: du 20 au 22 novembre 2012

– Saint-Etienne / Opéra-Théâtre : 
du 27 au 29 novembre 2012

– Vire / CDR Le Préau
 : du 6 au 7 décembre 2012

– Oullins / Théâtre de la Renaissance : du 12 au 14 décembre 2012

– Belfort / Scène nationale Le Granit: du 18 au 19 décembre 2012

Tournée: NOS AMOURS BÊTES
Création Am Stram Gram le Théâtre Genève



- Annemasse / Château Rouge
 : du 14 au 15 mars 2013

– Besançon / Scène nationale : 
du 19 au 21 mars 2013

– 
Lyon / Théâtre Nouvelle Génération : du 23 au 27 mars 2013


– Paris / Théâtre de la Ville – Les Abbesses : du 6 au 13 avril 2013

– Montluçon / CDN Région Auvergne: 
le 15 avril 2013

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Le Théâtre de la Ville vous invite à « déchiffrer par les œuvres et les hommes qui les créent, les énigmes de notre temps et de ceux à venir. »

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