Christian Perrenoud: « La découverte sur ces traces de feu vieilles de 560 000 ans est fortuite »

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C’est une découverte passionnante qui agite la communauté scientifique. En septembre dernier, des traces de feu vieilles de 560000 années ont été découvertes dans la Caune de l’Arago alors que jusqu’à alors, la périodicité remontait jusqu’à – 400 000 ans. Même si les scientifiques sont toujours très prudents sur les conclusions à tirer, l’ingénieur Christian Perrenoud qui travaille sur le site de Tautavel dans les Pyrénnées orientales, nous explique plus en détails sur l’importance de cette découverte et le long chemin qu’il reste à parcourir pour mieux appréhender cette découverte.

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Vous avez fait il y a quelques semaines une découverte étonnante sur des traces de feu vieilles de 560 000 ans. Comment en êtes-vous parvenu à cette observation extrêmement importante ?
Cette découverte est fortuite : le but de l’étude était de préciser les caractéristiques de susceptibilité magnétique du remplissage de la grotte, dont les variations peuvent correspondre à des variations paléoclimatiques. Des mesures, directement sur le terrain, et des prélèvements ont été effectués en parallèle. Afin d’isoler les minéraux à l’origine d’un pic de susceptibilité dans un niveau de 560 ka, une observation au microscope numérique a été menée par Damien Deldicque du laboratoire de Géologie de l’École Normale Supérieure de Paris, qui a abouti à la découverte de ces microcharbons de bois et microcharbons de bois vitrifiés, en même temps que les minéraux magnétiques.

Comment expliquer que cette découverte a été faite dans la Caune de l’Arago ?
De multiples recherches sont effectuées en permanence sur le remplissage et le matériel (ossements, pièces d’industrie lithique, etc.) découvert dans la Caune de l’Arago, afin de mieux comprendre l’histoire de la grotte et de ses occupants occasionnels, en appliquant les dernières méthodes et techniques analytiques. Cette grotte des Hommes de Tautavel est devenue une référence internationale incontournable quand on cherche à connaître les modes de vie et les paléoenvironnements de ces anciennes populations méditerranéennes, entre 560 et 400 ka principalement.

 

 

Source CNRS

 

 

En quelques mots, comment se font ces recherches et quels endroits ciblent-elles en particulier ?
L’étude de la susceptibilité magnétique du remplissage a été menée à son terme, et publiée aux éditions du CNRS en février 2020. On s’attache maintenant à expliquer la présence de ces microcharbons de bois dans les niveaux de 560 ka : en effet, les plus anciens témoignages de feux aménagés datent d’environ 400 ka. On cherche donc à savoir si ces microcharbons d’un dixième de millimètre sont bien en place et n’ont pas circulé depuis la surface, 450 cm plus haut, à travers des fissures par exemple, on cherche à savoir si ces éléments végétaux sont bien des charbons de bois (et non pas des cellules de racines plus ou moins bien préservées par exemple), ce qui a été démontré par analyse Raman qui fonctionne comme un paléothermomètre, on élimine aussi par analyse Raman, entre autres, la possibilité qu’un morceau de lignite local (le charbon) ait été amené par les préhistoriques et fragmenté dans le niveau. De plus, on constate après expérimentation que lorsque le sédiment prélevé en dessous ou au-dessus du niveau de 560 ka est chauffé, il acquiert les mêmes caractéristiques de susceptibilité magnétique que le niveau dans lequel ont été trouvés les charbons de bois. On cherche également à connaître l’espèce végétale à l’origine des charbons, à caractériser si certains ossements trouvés dans le niveau ont été chauffés, si les concrétions carbonatées sous-jacentes au niveau à microcharbons sont issues de la recristallisation de cendres végétales, si les minéraux magnétiques dérivent d’une altération biogéochimique ayant eu lieu bien après le dépôt des sédiments, etc.

Est-ce que cette découverte nous permet de mieux appréhender la domestication du feu par l’homme ?
Non, pas du tout. Deux principales hypothèses restent recevables à l’heure actuelle : soit les charbons de bois et autres témoins de feux sont issus d’un paléoincendie naturel et auraient été amenés dans la grotte par ruissellement, soit les traces de feu relevées dans le niveau proviennent d’un morceau de bois brûlé ramené dans la grotte par le groupe humain et résulteraient alors d’une utilisation occasionnelle.

Et peut-on espérer d’autres découvertes de ce genre à la lumière de celle-ci ? Comme le recours à la chasse ou la façon de vivre et coexister des premiers hommes ?
L’article insiste sur la méthodologie à mettre en œuvre si l’on souhaite déceler d’éventuels niveaux à microcharbons dans un remplissage : susceptibilité magnétique, observations microscopiques et analyses Raman principalement. En effet, malgré tout le soin apporté à la fouille, la petitesse de ces traces de feux ne leur permet pas d’être repérées sur le terrain ou même lors des opérations de tamisage à l’eau, effectuée sur tous les sédiments et sur une maille d’environ 0,7 mm à la Caune de l’Arago, ce qui est déjà très fin.
Quant à la chasse, elle a été démontrée par les paléontologues et archéozoologues comme Anne-Marie Moigne à la Caune de l’Arago, à partir de l’étude des restes animaux retrouvés, de leur fracturation et des traces de découpe qu’ils portent. Les informations sur les comportements et modes de vie de ces populations sont déduites aussi de la distribution des restes abandonnés dans la grotte, des matières premières qu’ils ont ramené pour confectionner leur outillage, des types d’outils fabriqués et de la cognition nécessaire pour les concevoir, etc.

 

Musée de Préhistoire de Tautavel – Un Voyage en Famille dans le Passé ! www.450000ans.com

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