Le rôle de la presse est également abordé tout comme la légitimité de la parole politique et médiatique de nos jours ainsi que l’année à venir que la journaliste considère comme « terrible » malgré son optimisme. Un entretien piquant !
Quel est ce lien qui vous unit à la politique et d’où cela vous vient-il?
Pour vous dire la vérité, je ne voulais pas devenir journaliste politique. J’avais demandé à intégrer le service des sports lorsque j’étais à Europe 1, et je me suis retrouvée à la « politique ». Mon patron Jérôme Bellay m’a dit «vous verrez la politique, c’est du sport». Pas faux. On attrape vite le virus.
Depuis votre arrivée en 2006 chez RMC et au regard de la carrière qui est la vôtre, qu’est ce qui a profondément changé dans le journalisme politique selon vous ?
Deux choses ont profondément changé la vie des médias ces 10/15 dernières années : les chaines d’info type BFM TV et les réseaux sociaux. C’est le débat permanent sur tout et n’importe quoi, le quart d’heure de notoriété pour tout un chacun. Tout le monde se croit autoriser à mettre son grain de sel sur tous les sujets.. .C’est le règne du « je ne suis pas médecin, mais ». Remplacez « médecin » par ce que vous voulez…
« Deux choses ont profondément changé la vie des médias ces 10/15 dernières années : les chaines d’info type BFM TV et les réseaux sociaux. C’est le débat permanent sur tout et n’importe quoi, le quart d’heure de notoriété pour tout un chacun »
Emmanuel Macron est-il toujours aussi inaccessible avec les journalistes politiques ?
Cela doit dépendre des journalistes.
Dans un papier de 2013 du Parisien qui vous surnommait « l’impertinente » , vous déclariez que « j‘ai une seule chose en tête : les auditeurs. C’est à eux que je parle, pas à mes collègues journalistes ou aux politiques ». Est-ce encore plus vrai aujourd’hui dans le cadre de votre interview sur RTL ?
Toujours vrai. L’interview sur RTL c’est tout l’inverse des réseaux sociaux. D’un côté 200 personnes qui se parlent à elles-mêmes et qui donnent leur avis même si on ne leur a pas demandé. De l’autre près de 2 millions d’auditeurs avec lesquels j’ai envie de partager les propositions, les difficultés, les réflexions d’un auteur, d’un agriculteur, d’une ministre, d’un chanteur, d’une présidente de région, ou encore d’un patron .
Vous déclariez chez nos confrères du Figaro en août 2019 : « On veut étendre l’interview à des personnalités de la société civile. Outre les politiques, on interrogera un prof, un agriculteur ou un gendarme. Ce seront des personnalités qui ont un mot à dire sur l’actualité ». Est-ce que l’entre-soi est un péril pour la grande presse d’information en France ?
Les Français aiment la politique, ils aiment le débat, mais rien n’empêche de parler des sujets d’actualité avec ceux qui sont au cœur de l’actualité. Sur le coronavirus, on voit bien que la parole va du ministre de la santé à celle des spécialistes qu’ils soient épidémiologistes, responsable de la Haute autorité de Santé ou spécialiste des vaccins….
Sur l’économie, il est tout aussi intéressant d’entendre les responsables politiques que des chefs d’entreprises ou un prix Nobel d’économie.
Ce n’est pas une question d’entre-soi, c’est une question de richesse, de variété, et l’envie de proposer une palette d’invités plus large.
« Ce n’est pas une question d’entre-soi, c’est une question de richesse, de variété, et l’envie de proposer une palette d’invités plus large »
En tant qu’éditorialiste et observatrice de la vie politique, quel regard portez-vous sur la situation politique et sociale dans le pays ? Vous effraie-t-elle ou restez-vous suffisamment optimiste à quelques encablures de la présidentielle de 2022 ?
Je suis de nature optimiste. Mais la compilation de toutes les crises (sanitaire, économique, sociale et identitaire) que nous vivons ne me rassure pas. 2021 va être une année assez terrible.
Mais je crois beaucoup en la résilience, je sais que ce pays a de nombreux atouts et je me dis qu’un jour, dans quelques années nous sortirons de ce marasme.
Beaucoup de Français sont très sévères concernant le monde médiatique, considéré comme «mainstream» et «favorable au pouvoir en place». Selon vous, quel est le rôle, plus aujourd’hui qu’hier de la presse dans le débat démocratique ?
La presse doit garder sa mission d’informer. Malgré la recherche du buzz, et la course effrénée au scoop qui agitent souvent les rédactions. C’est pour cela notamment que nous sommes critiqués. Et aussi parce que « faire valoir son opinion », « donner son avis » est devenu la règle journalistique. Non, la règle doit rester celle d’informer. Enfin, être journaliste, ce n’est pas être seulement négatif et agressif. Ou à l’inverse bienveillant et accommodant, être journaliste c’est être curieux.
« Parce que « faire valoir son opinion », « donner son avis » est devenu la règle journalistique. Non, la règle doit rester celle d’informer »
A la lumière de la crise sanitaire, la légitimité de la parole politique et médiatique est-elle en train de s’effondrer selon vous, Alba Ventura?
La légitimité de la parole, qu’elle soit politique ou médiatique est pour moi intimement liée à la « responsabilité » (politique ou médiatique). Quand la responsabilité s’effondre, tout le reste s’effondre….
Pour finir, avez-vous pu échanger à nouveau avec le Professeur Raoult suite à cet entretien pour le moins tendu en septembre dernier ? Plus largement, que nous disent selon vous les passions autour du Professeur Raoult depuis les débuts de la crise sanitaire ? Que nous disent-elles de la France d’aujourd’hui ?
J’ai déjà dit mes regrets concernant l’interview du Pr Raoult. J’étais curieuse de ce personnage, je n’imaginais pas un malotru pareil. Il a peut-être des qualités scientifiques, mais son ego le dessert. Je me suis fait avoir, cela me servira de leçon.
L’autre leçon que j’en tire c’est le fiasco médiatique que cela produit, comme pour les Gilets Jaunes. Il faut lutter contre notre capacité, pour de mauvaises raisons, à donner la parole à des gens qui ne représentent pas un mouvement mais qui parlent plus fort que les autres.
( Crédit : Thomas Padilla / Agence 1827 pour RTL)