Antoine Chapelot: « l’on a beau être en loques, on n’en est pas moins joli à l’intérieur »

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Propos recueillis par Julie Cadilhacbscnews.fr/Interview d’Antoine Chapelot – Ce mardi 3 avril, à la Scène des 3 Ponts de Castelnaudary (11), sera jouée « Les jolies Loques », une adaptation des « Soliloques du Pauvre » de Jehan-Rictus, interprétée par Antoine Chapelot. Accompagné d’un accordéon complice, il incarne un personnage « éveilleur de consciences ». Nous souhaitions en savoir davantage sur ce spectacle théâtral engagé joué 23 fois à la suite au Festival Off d’Avignon 2011.La parole est à l’artiste!

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Comment est née votre rencontre avec le texte de Jehan-Rictus?

Après avoir créé trois spectacles à partir de poèmes d’auteurs audois et régionaux (Joseph Delteil, Charles Cros, Pierre Reverdy, Joë Bousquet, Gaston Bonheur, Achille Mir, Charles Trenet, d’autres encore…), travaillant donc sur la théâtralisation de la Poésie, je cherchais un texte plus engagé politiquement, socialement, dénonciateur et provocateur, éveilleur de consciences. Un ami me parle de Jehan-Rictus que je ne connaissais pas, il me prête « Les soliloques du pauvre ». Ce fut une révélation. La Poésie populaire de cet homme, ce parler-de-la-rue qu’il a si bien transcrit, son engagement à dénoncer des situations sociales exécrables en donnant ainsi la parole à ceux qui les vivent et les subissent, les pauvres, les exclus, les laissés-pour-compte, tout cela a fait que tout de suite j’avais trouvé mon sujet. Je suis tombé amoureux de ce texte, de cette écriture, dont la mise en bouche, pour un comédien, est un vrai régal. Un vrai texte à partager avec le public. Le premier travail a été une adaptation des « Soliloques du pauvre » pour un spectacle intitulé sobrement « Rictus » et créé en avril 2010 à La Cigalière de Sérignan puis joué au Théâtre de Carcassonne et à la Scène Nationale de Narbonne. Mais la lourde scénographie de ce spectacle restreignant trop sa diffusion, j’ai voulu poursuivre le travail en créant une forme plus légère, une autre adaptation, un autre personnage, une autre ambiance, pour continuer de partager encore et encore la force de ces textes. Ce fut « Les jolies loques » créée en janvier 2011 à l’Espace Culturel Le Chai de Capendu.

Jehan-Rictus est un pseudonyme, n’est-ce pas? Vous nous en racontez l’histoire? L’histoire en est assez simple. Gabriel Randon, après une enfance tumultueuse et une adolescence bohème à vivre malgré lui dans la rue, commença à écrire, à décrire, à transcrire, la misère sociale et humaine qu’il fréquentait tous les jours. Il savait lire et écrire, cela le sauva. Admirateur de la poésie populaire de François Villon et Rutebeuf, il choisit la première partie de son pseudonyme en hommage à ces poètes médiévaux : Jehan. Villon a écrit un jour : « Je ris en pleurs… » Voilà le Rictus, le rire de la douleur, la grimace de la crispation, grimace d’amertume qui a l’air d’en rire. Jehan-Rictus existait. Qu’est-ce qui vous séduit chez Jehan-Rictus? le franc-parler de son écriture? son souffle engagé? « Les jolies loques » s’inspire de plusieurs poèmes extraits et adaptés de deux recueils de Jehan-Rictus : « Le coeur populaire » et « Les soliloques du pauvre ». L’écriture m’a séduit, évidemment. Un ancrage vrai dans une réalité sociale dure et froide mais transcendée par le style populaire, alliant argot et le parler-de-la-rue si bien retranscrit par cette versification en octo-syllabes qui s’en rapproche le mieux. Dans les propos tenus, il y a toujours la dérision, sur lui-même (le narrateur) et sur la société, il y a toujours le sourire même amer. Et ce, au-delà des coups de gueule, des provocations, des accès de désespoir. En décrivant ainsi la vie quotidienne de ceux de la rue, des petits ouvriers vivant entassés, en cette fin de XIXème siècle, bien entendu, c’est à notre présent, à notre actualité, à nous, gens du XXIème, que ces textes renvoient. Des propos mordants, touchants, d’une actualité non démentie. Cette force là, cette universalité, m’a aussi beaucoup séduit. Un texte d’hier qui parle encore d’aujourd’hui. Il y a là, effectivement, un vrai souffle engagé, et c’est rendre hommage à cet auteur trop peu connu, que de contribuer à porter et partager sa parole. C’est donc un spectacle qui rend hommage aux exclus, aux laissés pour compte mais qui conserve une touche d’humour et de dérision? Bien sûr, l’humour et la dérision sont toujours présents dans l’oeuvre de Jehan-Rictus. Le narrateur qui dit « je », c’est lui-même, c’est n’importe quel gars de la rue. L’auteur s’est interdit tout misérabilisme, toute lamentation. Il y a toujours ce regard sur lui-même, amusé, parfois défaitiste, souvent railleur, qui le sauve. Le personnage parle pour s’en sortir, c’est sa porte de survie, il a besoin qu’on l’écoute, cette nécessité fait la force du propos. Vous y incarnez une sorte de clown triste? Non, il n’est pas triste. Il est juste lucide, éveillé – sur lui-même et sur sa situation. Il prend la vie comme elle vient et ce qu’il vit, ce qu’il voit, ce qu’il enLes loques comprend, ce qu’il ressent, ce qu’il pense, il le dit, il le clame, il le chante, il le crie. On pourrait le rapprocher, en son fond propre, par sur la forme bien sûr, de ce personnage mythique créé par C. Chaplin : « Charlot » qui regarde et vit avec ironie et amertume, avec amour et tendresse. Mais mon personnage n’est pas pour autant un clown, il ne cherche pas à faire rire de lui-même ou de sa situation. Et si son attitude, ses paroles, font sourire, ce sera toujours avec tendresse. Sur scène, vous êtes accompagné d’un accordéon complice: c’est son aura populaire qui vous a fait choisir cet instrument plutôt qu’un autre? L’accordéon est l’instrument typique, mythique, de la rue. Le piano à bretelles, le piano du pauvre. C’est avec lui (inventé en 1827) que se sont créées toutes les chansons populaires depuis le milieu du XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui. Je voulais me servir comme base musicale des chansons de cette époque, la « Belle Epoque », issus des cabarets, issus du répertoire d’Aristide Bruant. Mon personnage, le Gueux, est ainsi accompagné de son compère complice le Musicien des Rues. L’accordéon s’imposait. Comment expliqueriez-vous le titre « Les jolies Loques »? Très simplement. La base principale de notre adaptation étant le recueil « Les soliloques du pauvre », il n’y avait qu’un pas entre « soliloques » et « jolies loques ». Cela dit aussi que l’on a beau être en loques, on n’en est pas moins joli à l’intérieur. C’est ce que raconte mon personnage, c’est ce que racontent les textes de Jehan-Rictus : dire tout l’amour, toute l’humanité, qui habitent cette frange de la population qu’on n’écoute jamais. « Soliloque »…pourtant un dialogue réel s’installe entre la musique et les mots, non? Oui. Même si le personnage soliloque, il n’est pas seul. Il parle pour lui bien sûr, mais il parle aussi pour les spectateurs, les passants qui vont et viennent, affairés, il les interpelle. Il se fait le porte-parole de tous les exclus. De manière discrète, le Musicien entre en scène, s’installe, le regarde, joue. Tout au long du spectacle, il est là, présent, complice, il accompagne – dans le vrai sens du mot : comme un compagnon, fidèle et bienveillant. Comme un bon ange qui veillerait. Ainsi, un dialogue sensible s’installe entre les notes et les mots, créant une vraie musicalité à l’ensemble du spectacle. Ils iront jusqu’à partager ensemble une chanson. Enfin, le spectacle a tourné ( l’an dernier?) au Festival d’Avignon: quels souvenirs du « Off » ? Nous avons joué au Festival OFF d’Avignon en juillet 2011 avec le soutien de Réseau en Scène Languedoc-Roussillon. On le sait tous, pour les artistes, pour les spectateurs, pour les professionnels diffuseurs, il faut se retrouver dans cette Jungle. On traverse le mois de juillet avec doutes et bonheurs, énervements, fatigue et labeur. Il faut être solide, être sûr du spectacle que l’on propose, que l’on joue, que l’on défend. Nous l’étions. Au-delà de nombreuses critiques que nous portons sur ce Festival, notre bilan en est positif : des spectateurs émus et touchés, de bons articles de presse, de belles rencontres avec d’autres artistes, comédiens et metteurs en scène, quelques diffuseurs intéressés, un bilan financier qui, sans être positif lui, s’est rééquilibré rapidement par la suite. Et surtout, au niveau artistique, nous sommes contents d’avoir joué vingt-trois jours de suite : un spectacle y gagne toujours, il mûrit, il gagne en souplesse et en maturation. Fera-t-on Avignon une autre fois ? Peut-être… Les Jolies Loques de Jehan-Rictus Production: Théâtre de l’Hyménée Avec Antoine Chapelot Accordéons: Philippe Delzers Credit-photo/ Dominique Alfonsi/ Dates de représentation: – Le 3 avril 2012 à la Scène des 3 ponts à Castelnaudary ( 11) – Les 5 et 6 avril 2013 à Brive (19) – Le Jeudi 18 avril 2013 à 20h30 à CARCASSONNE (11) au Théâtre Jean Alary, rue Courtejaire

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