Maxime Brunerie :  » Je voulais tuer Jacques Chirac »

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Par Laurence Biava –bscnews.fr / C’est un récit autobiographique, alerte. C’est un récit qui narre un profil type, celui d’une personne en recherche, puis en déshérence, qui rêve d’appartenir à une tribu, de se trouver des pères, et qui dérive, dans une logique d’abord cathartique, et se reconstruit ensuite au travers d’actes de résilience.

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Au-delà de la préface « politique » passionnante de Christophe Bourseiller, qui explore et détaille les organisations structurelles et l’évolution personnelle de Maxime à l’intérieur de celles-ci, c’est tout le parcours de cet homme jeune qui interpelle, bouleverse, émeut. Du préambule, au « Scandale pour une autre fois », puis à « De l’inconvénient d’être nié », « Les enfants gâteux », « Viva la muerte », « Petite santé », « Faîtes vos jeux », « Bingo », « Ainsi soit-elle… », « L’échappée belle », on suit les tribulations de cet homme jeune, ou plus exactement la construction d’un univers qui cherche et frôle à la fois l’envie d’être en marge et celle de s’associer. Il s’agit d’affirmer une personnalité fascinante mais incomprise qui se sent promise « à un destin singulier ».
C’est surtout un examen de conscience concis, précis, sans complaisance, réalisée par cette personne en quête d’idéal et de romantisme noir. De la dérive intérieure qui consiste à « quitter l’ennui », on sent poindre la figure tragique du mal-aimé, jeune homme de 15 ans d’autant plus méconnu qu’il est farouchement rebelle et politisé, adolescent intelligent mais provocateur, autant féru de danger, qu’avide d’absolu, ou de vaine gloriole, d’envie d’exister, ainsi que, nourri de magnifiques rêveries littéraires et cinéphile. Personnage de roman ? D’une certaine façon, oui. Un anti-héros. Epris de rationnel mais scarifié par ses rêves, investi par ses inspirations. Marqué au fer rouge. Car il faut cependant laisser une trace, une empreinte de soi. Frapper les esprits. « Le passé de l’accusé est un roman d’apprentissage entre le soleil rouge de sa célébrité scandaleuse et le soleil noir de sa mort », dira Philippe Bilger, ajoutant, lors du procès en décembre 2004 « c’est avant tout une appétence puérile pour l’interdit ». Nous y voilà. En quête d’une famille, de repères, d’ordres, de fratries. D’autorité. L’autobiographie cite autant Raymond Aron, que Drieu la Rochelle, Brasillach, Nietszche ou « l’Orange mécanique ». Et quelques autres grands écrivains posthumes en exergue de chaque chapitre. Maxime Brunerie est sans doute une personne ordinaire mais il n’a pas un esprit ordinaire. Le sien est éclairé, extra-ordinaire. La narration du phénomène ascensionnel jusqu’au vertige de la chute prouve cran, force, et prestige. Remarques et assertions politiques sur lesquelles je ne m’étendrais pas voisinent avec cette part de mythe, de reconnaissance, d’aura courroucée. Le passage racontant l’épisode mythomane de «Charles de Courcouronnes » au Ritz m’a fait sourire tant j’ai visualisé les scènes, les descriptions des personnages, les bribes de dialogues. 
Pour le reste, maîtrise et construction romanesques sont admirablement ténues. Le verbe est scandé, tout est dit : de la perception par la jeunesse de banlieue des événements politiques de nos aînés, de la compréhension de la politique par une masse malaisée, de celle de ces moutons égarés en proie à la révolte, de coquetteries nombrilistes, des chemins de traverses de jeunes pas rangés (et non dérangés) sans réponses, de supports abscons dont on nous rabat les oreilles pour satisfaire « une jeunesse effervescente », ainsi que toutes réflexions ambivalentes sur le corps social. Les expressions parlent d’elles-mêmes, les termes sont recherchés : « grand-messes cocardiennes », « eucharistie bleu-blanc-rouge », « tradition des Rats maudits ». De l’infirmerie de la Préfecture de Police de Paris, jusqu’à la Prison de la Santé, « …Je suis au centre de la cour de promenade, cernée de murs gris, pétrifié…..Vision dantesque que cette scène où je suis seul au monde contre cette meute hurlante, déchaînée, qui me balance pots de yaourt, conserves, bouteilles à la gueule sans que j’ébauche le moindre mouvement. Je suis déjà au cœur de la peur mais mon sang se glace. Seul au cœur de l’arène, unique gladiateur que des centaines de poings surgis entre les barreaux promettent à la mort… », du 6 décembre 2004, sur les bancs de l’accusation, puis à la prison de Val de Reuil, les dissertions sur les droits de l’homme, sur l’antiracisme, la vision politique en règle générale matinée du recours à la référence historique ou littéraire est d’une grande utilité, d’une clairvoyance assez rare, d’une intelligence hors normes. La lucidité est implacable, l’individu est doué d’anticipation, de logique, et c’est la force de ce récit tout en souffrance. L’implacable constat, l’évidente épilogue ? : les combats politiques amenuisent les individus, prolongent les défaillances. Concrètement, l’issue, l’assaut final, n’est ce pas la mégalomanie ? Tout est dans la narration des faits, dans cette compulsion qui se débat sans pouvoir se contenir. Il y a besoin d’expurger, de crier, de hurler, tel un loup et c’est cela qui, précisément, fait que l’on compatit. Que l’on accède à. On a mal. 
Ainsi, le Mal, précisément. Sept années de prison se sont passées.. Sept ans pour avoir, le 14 juillet 2002, tiré sur le président Jacques Chirac sans l’atteindre, avant de retourner l’arme contre soi.. La façon dont Maxime Brunerie, avec son co-auteur Christian Rol, essaye d’expliquer son geste, en témoignant de son expérience carcérale, tranche dans le vif, pire, saigne à flot. Ce livre sombre et triste nous apprend aussi qu’une déception amoureuse sera, hélas, «la goutte de nitroglycérine» qui servira de «prétexte pour tout faire péter».
Maxime Brunerie : «Décidément, j’aurai tout raté dans ma vie, même ma mort.» «La taule me confrontait à tout ce que j’avais combattu. C’est-à-dire le mélange des races, cette promiscuité que le système m’imposait dehors mais que je subissais quotidiennement dedans». «Oh, rassurez-vous, je n’étais pas atteint au point de rejoindre les processions laïques autour de SOS Mon Pote et bêler l’amour de la différence». Voilà bien des discours éloignés de toutes les mièvreries ambiantes actuelles. Au cœur de l’enfer carcéral, le «facho» se reconstruit mais demeure un «révolté quoi qu’il en soit».
L’écriture, encore une fois, est incisive, souvent insolente. Les phrases sonnent comme des slogans, Maxime Brunerie a le sens de la formule, la répartie qui cingle : tout est dit, dans un ton enveloppé, parfois raccourci, à la façon d’un couperet ; c’est ce qu’il faut pour aborder son histoire, adolescent perdu et éperdu, tyrannisé finalement par deux paradoxes : le besoin de reconnaissance par le biais de l’autorité (engagements militants) et la manne nationaliste, présentée comme « la vraie révolte », parce que véhiculant le refus de l’ordre établi. Ce cheminement qui l’a conduit à son statut d’adulte responsable fait qu’après avoir purgé sa peine, Maxime Brunerie mérite le meilleur. En conséquence, le regard porté sur lui-même, le milieu et ses acteurs qui, dans leur très grande majorité, l’ont laissé tomber est objectif et je dirais même, courageux. Téméraire aussi, lorsqu’il arpente les contours du PNFE (néo-nazis), du Gud, du MNR de Bruno Mégret, ces groupuscules qui l’ont lestés
Extrait de la préface : « Depuis sa cellule, Maxime Brunerie moque ces palinodies. Il est maintenant face à lui-même. Il interroge son passé, scrute les brumes de l’avenir, et se livre à un fascinant examen de conscience. Il arpente en prison un chemin escarpé, qui mène à une forme de repentance. Le militant intolérant, aveugle, suicidaire, laisse place à l’être humain… Et l’histoire s’en trouve éclairée ». En effet, délivré de ses propres démons, Maxime Brunerie n’a rien fait d’autre que d’expurger le mal, en livrant sans tabou, dans une phase subconsciente, une forme de rancoeurs, de constats, ou plus exactement de synthèses. « Expurger » : le terme vient du grec kathairein, « purifier », verbe qui connaît à l’origine des emplois profanes tels que « nettoyer, trier, éliminer les éléments qui altèrent l’homogénéité d’un ensemble ». La catharsis, purification qui constitue la visée du mécanisme tragique tel que le conçoit Aristote dans sa Poétique, s’est élaborée sous une triple influence religieuse, pythagoricienne et médicale. Notons que la religion, l’ésotérisme, et toute enclave sectaire d’où surgit de fantasques supérieurs, pantomimes hurlants, ne sont jamais éloignés des modes de fonctionnement et de conditionnement des partis politiques. 
Quant à la catharsis tragique, elle est un héritage des rites purificatoires les plus anciens. Parmi eux, certains annoncent plus particulièrement la naissance de la tragédie, en raison de leur forme mimétique et dramatique. Ainsi, les rites « enthousiastes », proclamatoires, d’origine thrace, font rejouer la légende du dieu au participant, saisi d’une folie passagère. Les cultes dionysiaques qui prennent leur suite, à partir du VIIe s. av. J.-C., se révèlent comme des manifestations à la fois thérapeutiques et mystiques : on y envoie des hommes atteints de troubles mentaux en vue de les délivrer de leurs maux par l’initiation. Il n’est pas exclu que les individus** assiégés, colonisés, aliénés, serviles, oublieux de leur « fausse liberté » dans des groupuscules extrêmes (de droite ou de gauche d’ailleurs) ne fassent ni plus ni moins qu’exécuter ce que Freud désignait par « la reviviscence » d’une situation traumatique qui libérerait l’affect « oublié ». Celui-ci, refaisant surface, restituerait le sujet extérieur à lui-même à la mobilité de ses passions. Ce que Maxime Brunerie a réalisé, à la fois, depuis sa «rupture» (tentative d’assassinat) et sa « chute » (expérience traumatique) est exemplaire : c’est à la fois un travail de survie et, par l’efficacité de la méthode cathartique, un travail de deuil. Car le sujet s’autorise alors à accomplir doublement un retour sur son passé houleux et une projection dans l’avenir. Pas simple : il faut accepter le retour de son souvenir, l’émergence de tous les fantômes, accepter d’être rattrapés par eux, pour mieux les dépasser. Il faut en quelque sorte approuver sa souffrance, ressentir vivement une forte envie de se plaindre afin de mieux avancer, pour se libérer..
L’optimiste que je suis est satisfaite de voir que Maxime Brunerie est devenu un homme extrêmement réfléchi, bien dans la vie, dans l’altérité, et très constructif. En écrivant ce livre, le protagoniste aura vraisemblablement eu le sentiment de parler à des « inconnus » – ce que nous sommes nous, lecteurs, qui n’avons pas fait de prison – , d’expliquer le pourquoi du comment de l’acte « inconséquent », suspendu à sa propre fatalité immobile. Maxime Brunerie aura peut-être eu l’impression de se rendre au confessionnal pour parler, être entendu, compris, et non plus pour être louvoyé ou conspué.  Enfin, comme toute personne humaine victime de traumas,  – comme le sont les victimes de tremblements de terre – il saura, qu’en dépit de cette impossibilité de résilier à jamais les imprégnations antérieures,  il saura qu’il y aura un Avant et un Après : cet après, c’est la certitude d’être tiré d’affaire, d’avoir vu le bout du tunnel, d’avoir fait disparaître ces cauchemars vivants. La résilience demeure..

** argumentation généraliste : Maxime Brunerie n’est pas une personne atteinte de maladie mentale.

 

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