Belinda Cannone : la femme qui a perdu son ombre

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / « Il faut écrire pour soi, c’est ainsi que l’on peut arriver aux autres», assurait Ionesco. Narcissisme, flagellation, analyse, désabusement, tendresse, indulgence, meilleure manière de s’exprimer sans être interrompu : les genres, les nuances, les alibis pullulent. Le journal intime jouit d’un statut particulier. On s’y attache comme à un être «chair».

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L’histoire littéraire abonde en péripéties liées à des manuscrits volés. Deux, pour l’exemple : la parution en 1755 d’une version de « La Pucelle d’Orléans »  désavouée par Voltaire parce que tirée d’un manuscrit qui lui avait été dérobé, et augmentée à son insu. La publication en 1996 par François Nourissier  de « Roman volé », histoire  d’un manuscrit en voie d’achèvement, emporté par des cambrioleurs et dont l’auteur, qui  n’avait  ni disquette, ni double d’aucune sorte, se demandait quel jeu   devait jouer celui à qui on avait volé ses rêves. Dramatiser ou minimiser ? En même temps, il craignait, si jamais on retrouvait le texte, de  le relire d’un œil neuf et d’en découvrir la médiocrité.
Belinda Cannone a vécu semblable mésaventure avec le vol de  journaux intimes, de lettres et de photos. « Les  journaux contiennent toute ma vie ».
Ici non plus, nulle copie et donc le dépouillement de soi-même depuis l’âge de dix ans. Au fil du temps, les carnets étaient plutôt devenus des outils de travail.
« L’horreur, dans la perte d’un journal, ressemble à celle qui nous étreint lors de la disparition d’un être ».Comme ces mères qui perdent un enfant et imaginent narguer le sort par la fabrication immédiate d’un autre, B.C. a entrepris sans délai l’écriture d’un contre-journal. Mais le journal n’est qu’une prothèse de la vie. Peut-on se sentir amputé d’une prothèse ? Peut-on connaître le syndrome du subterfuge absent ? Et même, peut-on ravauder un trou de mémoire ? Ce récit d’une obnubilation vertigineuse et sublimée avec des couleurs soulagiennes a suivi de peu la parution d’un essai jubilatoire sur le baiser. En avait-elle confié à son premier journal l’émoi, l’incertitude, la suavité, la sauvage douceur, les égarants abysses, les tumultueux silences, la soyeuse morsure, l’inoubliable fugacité ? « Je veux bien parler seule, chanter seule, jouir seule, je ne peux pas embrasser seule ».
Ce  vademecum de la délicatesse et de la fureur étreint quelques grands inévitables,  de la fondamentale Louise Labé au monumental Rodin, en passant par l’imperméable Proust. DSK ? Il apparaît dans le journal. Autres temps, autres mœurs. Ainsi, les frimeurs en Porsche et la génération digicode ne goûteront jamais à l’innocence frémissante du porche. On savoure en toute candeur ces délices  maupassantiennes pour en ressortir attaché d’embrassades.
Belinda Cannone a trop longtemps fait antichambre à l’étage de la notoriété. Deux livres maîtrisés l’en dispensent, désormais.  Beauvoir eût sourcillé en voyant cette femme qui a perdu son ombre, se passer voluptueusement sur les lèvres un chuchotis de rouge baiser.

« La chair du temps », Belinda Cannone, Stock, 19 euros
« Le baiser peut être », Belionda Cannone, Alma Editeur, 17 euros

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