Gallimard Outre Atlantique : « L’océantume »

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Propos recueillis par Aline Apostolska –bscnews.fr / Après Paris, Brive, Troyes, Francfort et Montpellier (jusqu’au 10 novembre au Musée Fabre), une déclinaison de l’exposition parisienne Gallimard 1911-2011. Un siècle d’édition a été présentée en octobre à la Bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec puis le sera, dans une version très réduite, à la Grande Bibliothèque de Montréal du 8 décembre 2011 au 30 avril 2012.

propos recueillis par

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En puisant dans le fonds des Éditions Gallimard, ainsi que dans les archives de la Bibliothèque et archives nationales du Québec et de Radio-Canada, l’exposition offre l’opportunité d’explorer un pan mal connu des relations transatlantiques : du « voyage au Canada » d’écrivains français comme Breton, Sartre ou Le Clézio, à ce fleuron québécois du catalogue Gallimard qu’est Réjean Ducharme, les quelques deux cent pièces exposées – lettres, manuscrits, éditions anciennes, archives sonores et télévisuelles – témoignent des liens très forts tissés entre lecteurs, écrivains et intellectuels français et québécois autour de la maison Gallimard. www.gallimardmontreal.com  Marie-Andrée Lamontagne, maîtresse d’œuvre de cette exposition-événement, répond à nos questions.

Vous êtes écrivain, vous avez dirigé par le passé les pages culturelles du quotidien québécois Le Devoir, vous êtes également éditrice aux éditions Fides. Vous êtes également coordonnatrice de l’exposition qui s’est ouverte le 6 octobre à Québec et est destinée à commémorer les 100 ans de Gallimard, exposition dont vous êtes également la commissaire du volet québécois. Quels sont les objectifs et les lignes directrices retenus pour cet événement ?
Il s’agit de donner à voir, littéralement, l’histoire littéraire telle qu’elle s’est écrite et s’écrit encore, rue Sébastien-Bottin (on disait rue de Beaume, en 1911, et on dit aujourd’hui, rue Gaston-Gallimard) depuis 100 ans, dans un des hauts lieux de la littérature française. Il s’agit aussi de montrer de quelle manière l’histoire de Gallimard est liée à l’histoire littéraire canadienne-française (comme on disait au début du siècle dernier), puis québécoise.

Que peut-on voir dans la partie française de l’exposition ?
Des trésors, chacun auréolé de l’aura qui entoure ces personnages qui nous apparaissent, avec le recul, plus grands que nature : par exemple, des lettres de Gide ou de Paulhan, les deux seules notes critiques qu’ait jamais écrites Gaston Gallimard avant de devenir l’éditeur Gaston Gallimard, le grand registre de l’imprimeur belge de la maison Gallimard avec, sur papier oignon, les correspondances échangées au sujet des tirages ou du choix du caractère d’imprimerie, quelques-uns des tout premiers titres parus à l’enseigne du comptoir d’édition de la NRF : Isabelle de Gide, L’Annonce faite à Marie, de Claudel, La mère et l’enfant, de Charles-Louis Philippe. Ou encore le premier numéro 1 de la NRF (il y en a eu deux), celui daté du 15 novembre 1908 et qui fut décrié par Gide et ses amis. Aussi : le faire-part de mariage de Gaston Gallimard, des cartes postales de Saint-John Perse, de Mauriac et de Léon-Paul Fargue, des lettres de Jacques Rivière, de Drieu LaRochelle, pendant l’Occupation, des photos de Gaston Gallimard en jeune homme, des fiches de lecture (celles de Raymond Queneau sur Des journées dans les arbres, de Marguerite Duras, de Jean Paulhan sur Nord-Sud, du Canadien Léo-Paul Desrosiers, premier écrivain canadien à être publié dans la Blanche, la première édition d’Un coup de dés… de Mallarmé : j’arrête, il faudrait tout énumérer. La totalité de l’exposition compte 196 pièces. C’est dire à quel point elle est d’une exceptionnelle richesse.

Comment avez-vous construit la partie québécoise ? Quels écrivains québécois publiés chez Gallimard avez-vous retenu ?
L’exposition se déploie sur deux niveaux : au rez-de-chaussée, le volet français (celui-ci comportant divers renvois à des éléments québécois); à l’étage, le volet québécois, qui tente de montrer, en quelques artefacts et jalons les liens étroits entretenus entre Gallimard et le Québec. Ainsi, sait-on assez que Sartre est venu à Montréal en 1947 et qu’il a prononcé une conférence sur l’engagement de l’écrivain qui a eu un certain retentissement dans les milieux informés et les journaux? Radio-Canada, qui à l’époque, avec raison, prenait au sérieux son rôle de service public, a enregistré in extenso cette conférence dont l’exposition présente un extrait, parmi plusieurs autres documents d’archives radiophoniques et télévisuelles. Sartre n’est pas le seul écrivain Gallimard à avoir fait «le voyage au Canada» : Saint-Exupéry ou Breton l’ont fait aussi, avec des bonheurs divers. L’exposition le rappelle, preuves et photos à l’appui. Elle montre en outre les liens d’amitié qui ont pu se nouer entre certains auteurs Gallimard et certains écrivains québécois (les Gaston Miron et Henri Pichette, les René Char et Jean-Guy Pilon, ou entre le romancier Milan Kundera et l’essayiste François Ricard, pour ne nommer que ceux-là). Elle met aussi de l’avant la présence significative d’universitaires québécois mis à contribution dans la Pléiade : c’est Bernard Beugnot, aidé de Robert Melançon et de Jacinthe Martel, qui dirige l’édition critique de l’œuvre du poète Francis Ponge, après avoir réalisé l’édition du théâtre de Jean Anouilh; c’est Lise Gauvin qui collabore à l’édition critique du théâtre de Giraudoux, ou François Ricard qui dirige celle de l’œuvre de Milan Kundera, ou encore Charles LeBlanc qui y codirigea les deux tomes consacrés aux philosophes confucianistes. Vu du Québec, Réjean Ducharme est l’auteur québécois phare du catalogue Gallimard. Mais on oublie qu’il y figure en compagnie de 27 auteurs québécois, toutes catégories confondues (écrivains dans la Blanche, universitaires, auteurs jeunesse, essayistes, traducteurs, etc.). Le volet québécois de l’exposition permet de rappeler ce fait occulté, tout en exposant, dans la foulée, un ensemble remarquable de manuscrits de Réjean Ducharme, que Bibliothèque et Archives Canada a consenti à nous prêter. Ces manuscrits sont tout simplement fascinants à regarder et à déchiffrer, puisqu’ils se présentent comme un véritable magma de mots en fusion, sorte de chaos d’où l’œuvre s’extirpe par épurations successives, comme le montrent les dactylogrammes et les épreuves lourdement corrigées de ce qui deviendra L’avalée des avalés, La fille de Christophe Colomb ou L’Océantume. La critique journalistique telle qu’elle se pratique aujourd’hui est souvent démunie devant la littérature : on dirait qu’elle ne sait pas par quel bout la prendre, qu’elle lui apparaît comme le fruit d’un processus insaisissable ou abstrait et qu’il faut en passer par l’anecdote ou la fausse confidence d’auteur pour la commenter. Bien au contraire, au visiteur de l’exposition, la littérature apparaîtra très concrètement : les mots, les phrases sont une motte de glaise que Ducharme pétrit sous ses yeux, non sans tâtonnements, du reste. Et c’est fascinant.

Est-ce que publier chez Gallimard demeure un rêve pour les écrivains québécois? Qu’est-ce qui pour vous explique aujourd’hui encore cette aura alors que tant de très bonnes maisons d’édition québécoises se développent ?
Le temps a fait son œuvre, bien sûr, pour conférer à cette maison son impact. Mais le temps seul n’explique pas tout. Il se trouve que la maison Gallimard a été fondée par un cénacle d’écrivains figurant parmi les plus exigeants et les plus importants du début du XXe siècle. Leur unique programme fut celui de la littérature entendue dans sa plus haute acception, mais aussi dans sa diversité, en raison de l’ouverture d’esprit montrée par chacun, à l’intérieur d’une palette étendue de sensibilités. Cet équilibre entre de salutaires refus et une curiosité tous azimuts, les uns et les autres nourris par une grande culture, m’apparaît comme étant l’idéal de «l’honnête homme», comme on disait au XVIIe siècle, à pratiquer aujourd’hui. La maison Gallimard est héritière de cette conception de la littérature, dont il me semble qu’elle n’a pas trop démérité au fil du temps. Du coup, quel écrivain écrivant en français, à moins d’être tout à fait ignorant de ses prédécesseurs, ne serait pas flatté d’être admis dans la même maison où furent admis à des moments et à des degrés divers, Proust, Malraux, Duras, Camus, Céline, Gide et j’en passe…

En ce qui vous concerne, comment voyez-vous cette maison singulière ? Si vous deviez la spécifier parmi les autres maisons d’édition françaises que diriez-vous?
La littérature française est riche, celle des siècles passées très certainement, mais aussi la contemporaine qui se cherche et s’élabore sous nos yeux, non sans beaucoup de déchets, comme il s’en produit sous tous les cieux littéraires. Pour ma part, j’aime trouver mon miel de lectrice où bon me semble, chez de grands petits éditeurs fouineurs comme Le Bruit du temps, les éditions Claire Paulhan, Circé ou Pierres vives, comme chez des éditeurs aux enseignes bien établies et, puisque nous les connaissons tous, nul besoin de les nommer ici. Cela étant, Gallimard demeure une maison à part. Le fait tient sans doute à l’esprit de ses écrivains fondateurs pour qui la littérature était confondue avec la vie même. Malgré les transformations qu’a connues le monde de l’édition, et Gallimard n’y a pas échappé non plus, quelque chose de l’esprit des origines subsiste, que les lecteurs font leur plus ou moins consciemment et où je vois une manière de vérité : le goût littéraire est le souverain bien. Pourquoi s’encombrer du reste ? Mais quelle exigence dans ce bien à acquérir !

La littérature québécoise est par ailleurs en plein essor. Qu’est-ce qui pour vous la caractérise aujourd’hui, après quarante ans de développement fulgurant ?
Impossible de répondre à cette question. Pourquoi il existe des poules brunes et des poules blanches, pourquoi les nuages prennent tantôt la forme d’une baleine, tantôt celle d’une silhouette de femme à la proue d’un navire, pourquoi la mer est couleur de vin et pourquoi mon basilic violet vire au vert à la fin de l’été, vous le savez, vous?

Hum… puisque vous me posez la question, je dirais qu’à l’inverse des exemples imagés, allégoriques, que vous avancez, le développement de la littérature québécoise n’est pas un phénomène naturel. Il n’est pas mystérieux mais culturel. C’est forcément le résultat d’une rencontre entre une certaine maturité culturelle et une volonté politique adéquate. Cela demanderait une plus ample discussion… une prochaine fois. Mais vous, quels sont vos propres projets littéraires futurs ?
Je publie un roman chez Leméac dans quelques mois. Sur un siècle et deux continents, il y est question de mensonges et de tromperies, qui sont la règle, on dirait bien. D’autre part, après neuf années de recherches, je commence la rédaction de la biographie de la romancière et poète Anne Hébert – auteur du Seuil, au demeurant.

Moi aussi je publie un nouveau roman chez Leméac, en février 2012. Nous aurons donc l’occasion de nous congratuler prochainement ! Merci Marie-Andrée.

Gallimard 1911-2011. Un siècle d’édition. Exposition rétrospective à la Grande Bibliothèque de Montréal du 8 décembre 2011 au 30 avril 21012. Avec le soutien de l’Institut français, en partenariat avec le Consulat général de France à Québec.

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