Paolo Sorrentino : Le visage cru d’une humanité en pleine crise existentielle

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Par Julie Cadilhac- bscnews.fr/ Illustrations d’Arnaud Taeron/ Faut-il déplorer la disparition dans les fictions des vrais héros? Ceux qui ont l’âme bonne et le coeur vaillant, les purs, les durs, ceux que l’on rêve d’imiter? Paolo Sorrentino nous livre un anti-héros étonnant, personnage tout en contradiction: un être pétri d’émotions antinomiques qui insupporte autant qu’il attire le lecteur.

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Tony Pagoda est un chanteur de charme napolitain,cocaïnomane depuis la pré-adolescence, l’égoïsme chevillé au corps. Du macho concentré qui joue les Don Juan aux quatre coins des pays qui désirent lui entendre pousser la chansonnette. Usant de la focalisation interne et d’une écriture presque automatique lors des monologues intérieurs, Paolo Sorrentino use de dérision pour peindre de nombreux personnages truculents. Les amoureux du verbe seront charmés par la traduction de Françoise Brun qui a su rendre la « couleur » de la langue italienne sans renoncer à une certaine exigence lexicale.
Si on décortique d’un peu plus près? Une fois passé un prologue qui agace ,liste de griefs assaisonnés d’un ton provocateur sans grande originalité, après un incipit poussif ou le cadre s’installe péniblement dans une rencontre foireuse avec Sinatra et une partie de plaisir glauque avec trois prostituées américaines, au moment où l’on serait tenté de refermer le livre pour le coincer dans une étagère haute dédiée aux romans indignes d’intérêt, on est happé soudain par la fantaisie d’un récit qui se réveille et l’excentricité de son personnage principal. Le verbe de Paolo Sorrentino fait des roues de paon qui nous en mettent plein les neurones et on s’accroche aux confidences parfois crasses, souvent gonflées, mais aussi fort lucides d’un chanteur de pacotille italien qui croit que les sérénades qu’il sert le mettent à l’abri des déconvenues et lui offrent des perspectives plus reluisantes que les autres. Ils ont tous raison est l’occasion de rencontrer des êtres fascinants de singularité tels que Tonino Paziente dont on retiendra la tirade sur la superficialité, Gegè Raja, le vieuxPaolo Sorrentino foulosophe qui ne supporte pas la décadence de Rome de ces trente dernières années ou encore Alberto Ratto, véritable Parrain au coeur de Manaus pour lequel Tony Pagoda ne cesse de répéter:  » Moi, Alberto Ratto, je veux l’épouser ». On flirte avec les caprices d’une baronne extravagante, on est au café à attendre fébrilement Béatrice la gymnaste, on sniffe un rail devant chaque porte d’entrée, on s’embarque pour des règlements de comptes sanglants entre clans, on espère séduire Antonella Re….bref, on est témoin d’heures fragiles, éphémères, pesantes, excitantes, mais aussi violentes où le sexe et la drogue désinhibent toutes les attitudes conventionnelles, où la cervelle sur-stimulée philosophe à plein régime et sur les pages se dessine le visage cru d’une humanité en pleine crise existentielle…..
C’est un roman qui vous fera rire lorsque les cafards déclencheront des confessions délirantes désespérées, qui vous fera tressaillir quand l’Amour enserrera les lignes des pages en dissertations aussi lucides que passionnées, qui vous volera un sourire aux coups de gueule de l’auteur à propos des évolutions culturelles ou encore politiques de son pays natal. Figo! pourrait-on conclure pour agacer Gegè. Figo! tous ces moments où le lyrisme jongle avec la rodomontade, où l’esprit et l’action se tendent des perches et génèrent des scènes cinématographiques que l’on espère voir un jour sur grand écran…
Chauve Souris ArnooTony Pagoda est il un être superficiel? Sa présence au fil des pages devient en tous cas une compagnie fascinante. On a envie d’en savoir davantage, comme si les déboires et les erreurs de cet anti-héros napolitain allaient nous rendre meilleurs. Un copain que l’on écoute et dont on entend presque les intonations chantantes du timbre de voix. A bout de coke, à bout d’amour éperdu, à bout de rêves estropiés, à bout de mensonges surtout, un homme confesse une complainte étonnante où l’on ne sait pas toujours sur quel pied danser. Tony Pagoda est aussi insaisissable que sa vie est trépidante et délicieusement pittoresque. Au fil des années, le monde évolue, mais pas lui qui se sent de plus en plus inutile et mal à l’aise. Peut-être que Paolo Sorrentino dresse avec sensibilité et réalisme un portrait de la vieillesse, condamnée à l’insatisfaction dans un monde qui subit lui aussi les affres de l’évolution.

« Cette tirade d’arrière-garde, ce n’est pas pour dénoncer la pénurie culturelle. Même si elle est indéniable.C’est seulement que j’aimerais pouvoir continuer à rire de temps en temps. Car, disons-le, le rire est la forme suprême de la culture. Il ne demande pas d’explication. Tout le reste n’est que déchet pour les rats de bibliothèque. Tout le reste n’est qu’un succédané. Et puisque plus personne ne glisse aujourd’hui sur les peaux de banane, je demande qu’on me fasse rire par le biais du langage. Mais rien à faire. Ils sont tous sourds. Répétitifs. Obnubilés par l’indolence linguistique. La dépression linguistique. Voilà ce qui règne. Il faudrait aller en analyse et dire: docteur, j’ai une dépression, mais une dépression linguistique. Et lui, il te répondrait: figo.
On n’aurait plus qu’à changer d’analyste. »

Arnoo la baronne Titre: Ils ont tous raison

Auteur: Paolo Sorrentino

Editeur: Albin Michel

Prix: 22,50 euros


Lire: Ils ont tous raison

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