Comment aborder une histoire aussi riche dans un ouvrage qu’est votre Histoire du Canada ? Et comment ont été triés et sélectionnés les événements choisis ?
Les apports féconds (mais parfois éclatés) de l’histoire sociale ces 4 ou 5 dernières décennies ont sans doute rendu obsolète la volonté d’écrire une histoire générale, « totale » du Canada mais il m’est apparu important d’offrir au lecteur français une vue d’ensemble d’un pays souvent réduit à des stéréotypes réducteurs.
Dans mon Histoire du Canada, la part belle a été faite au Québec mais il est important de ne pas oublier le «reste du Canada », selon une formule que je trouve choquante.
Le choix des événements marquants a été dicté par le souci de réconcilier ou de rapprocher l’historiographie française et l’historiographie anglaise, trop longtemps parallèles et dominées par un parti pris qui manque d’objectivité. D’une façon générale, l’accent est mis sur les réalités politiques, économiques, démographiques, sociétales et culturelles.
« La guerre dite de la « Conquête » et la perte de la Nouvelle France ont indubitablement laissé des traces en opposant les « vainqueurs » aux « survivants » qui ont résisté à l’assimilation linguistique et culturelle »
Pourquoi ce « pacte entre deux nations » définies autour de la langue et de la religion, est-il la matrice de nombreux conflits ultérieurs ?
Le concept de deux peuples fondateurs (auquel on ne se réfère plus maintenant) a été véritablement fondateur et correspond à la présence de deux puissances coloniales rivales. Longtemps centré sur les réalités religieuses (catholiques contre protestants), le concept s’est ensuite polarisé sur les questions linguistiques. L’opposition ou le conflit entre Canadiens français et Canadiens anglais a évolué vers les relations entre anglophones et francophones. La guerre dite de la « Conquête » et la perte de la Nouvelle France ont indubitablement laissé des traces en opposant les « vainqueurs » aux « survivants » qui ont résisté à l’assimilation linguistique et culturelle.
Selon vous , la déclaration de Lord Durham est-elle révélatrice de l’histoire que le Québec connaît entre canadiens français et canadiens anglophones ?
Lord Durham est incontestablement la figure historique qui hérisse le plus les Canadiens français, traités avec mépris et arrogance de « race inférieure », de « peuple ignorant, inactif et stationnaire, sans histoire et sans littérature ». En toute impartialité, on ne peut que reconnaître que la mission de Lord Durham était d’assimiler les Canadiens français au nom de la prétendue supériorité de la « race teutonne » (sic°) mais ce projet a échoué face à la survivance du fragment francophone. En tout cas, le rapport Durham de 1839 reste très présent dans la mémoire collective des Québécois.
La littérature et l’histoire ont-elles façonné le peuple québécois selon vous?
Il est clair que l’identité d’une nation repose sur les événements majeurs (parfois dramatiques) de son histoire et la littérature a pour fonction d’être le reflet de la mentalité d’une communauté.
A quand remonte la naissance du peuple québécois ? Et comment et quand s’est opérée la spécificité des québécois envers les Français ?
L’évolution du terme « Canadien français » vers celui de « Québécois » s’est opérée progressivement. L’arrivée des immigrants, du « tiers groupe », a bouleversé la confrontation binaire des deux « solitudes » et, de plus en plus, l’intégration numériquement importante de nouveaux venus a modifié le rapport de force. Mais surtout le terme de « Québécois » qui englobe actuellement tous ceux qui ne sont pas les descendants directs des peuples fondateurs révèle que le nationalisme québécois a cessé d’être ethnique, passéiste et replié sur son histoire, pour devenir civique.
« Surtout le terme de « Québécois » qui englobe actuellement tous ceux qui ne sont pas les descendants directs des peuples fondateurs révèle que le nationalisme québécois a cessé d’être ethnique, passéiste et replié sur son histoire, pour devenir civique »
Quand l’idée de la souveraineté du peuple québécois a-t-elle commencé à émerger ?
A partir des années 1840-1850, se forge la conscience d’avoir une identité autonome, une culture distincte et d’être une civilisation particulière mais c’est surtout à partir des années 1960 qu’émerge l’idée politique de la souveraineté du peuple québécois (avec les multiples formes qu’elle prendra, de l’indépendance à la souveraineté -association).
Qu’est ce qui, selon vous, malgré les péripéties et les vicissitudes ont permis de pérenniser la langue française et la résistance du peuple québécois pendant quatre siècles ?
La démographie, sous la forme communément qualifiée de « revanche des berceaux » a grandement contribué à la survie des Québécois puis la politique volontariste d’unilinguisme, sans oublier naturellement le rôle décisif des institutions religieuses.
Peut-on dire que ce conflit culturel, linguistique et identitaire fut violent durant ces siècles et après 1867?
Certains épisodes ont été violents. La rébellion des Patriotes de 1837 ou, au XXe siècle, le climat entretenu à Montréal par le Front de libération du Québec (événements d’octobre 1970 sont à inscrire au registre de la violence mais on doit relativiser car le conflit entre francophones et anglophones relève le plus souvent davantage de l’incompréhension, de l’indifférence ou de l’ignorance et n’a rien à voir avec un génocide ou des destructions physiques massives.
Aujourd’hui des dissensions semblent encore subsister fortement entre les canadiens anglophones et les québécois ? On pense notamment à la séparation linguistique de Montréal et le « bonjour / Hi » des commerçants montréalais ». Quelle est votre regard à ce sujet ?
Montréal est sans conteste la métropole culturelle de la francophonie. Elle a toujours été ouverte aux nouveaux venus et à la diversité culturelle. L’intégration des immigrants ne se pose pas dans les mêmes terme à Montréal et dans le reste de la province du Québec. Il convient de remettre en question la vision répandue d’une ville coupée en deux, entre l’est, francophone populaire, et l’ouest, anglophone et bourgeois, séparés par le boulevard Saint Laurent, la « Main », véritable couloir d’accueil des immigrants. Le nouveau visage multiculturel de Montréal opère un brassage qui efface le cloisonnement entre les deux communautés linguistiques et, même s’il est majoritaire, le français doit être surveillé avec vigilance.
« Le nouveau visage multiculturel de Montréal opère un brassage qui efface le cloisonnement entre les deux communautés linguistiques et, même s’il est majoritaire, le français doit être surveillé avec vigilance »
Quel est aujourd’hui le positionnement des mouvements politiques indépendantistes au Québec ? Quelles sont leur force et leur faiblesse ? Envisagez-vous un jour une indépendance du Québec en tant qu’Etat ?
Après l’ échec de deux référendums, en 1980 et en 1995, il semble que l’option indépendantiste soit le phénomène d’une génération. Une certaine lassitude s’est installée par rapport au statu quo constitutionnel actuel et le dialogue de sourds n’a pas évolué. L’option indépendantiste représente moins de 40% au niveau de l’opinion. On notera que, même lorsque le Parti québécois est au pouvoir, il se comporte avant tout comme un parti de gouvernement social démocrate qui place les réalités sociales et économiques en priorité.
« Après l’ échec de deux référendums, en 1980 et en 1995, il semble que l’option indépendantiste soit le phénomène d’une génération »
Pour finir, quel regard Justin Trudeau porte-t-il sur le Québec ?
Justin Trudeau demeure discret sur la question sensible du statut du Québec. Québécois né à Ottawa, il se proclame pan-Canadien et ne remet pas en question le fédéralisme asymétrique qui prévaut actuellement.
Histoire du Canada
Des origines à nos jours
De Jean-Michel Lacroix
Préface de Paul-André Linteau
528 pages
Editions Tallandier