Patrick Bauwen a fait son entrée dans le monde du thriller en 2007 avec « L’œil de Caine ». Il revient avec « Monster » (toujours chez Albin Michel) un roman plus dense, plus abouti, étourdissant d’émotions et de rebondissements. L’homme est affable, charmant ; le romancier retors et malin. Monstrueusement malin.
Et joueur : au lecteur ébouriffé par le rythme de son intrigue, il n’hésite pas à lancer (page 520), un brin sadique : « Imaginez la sensation. Le puzzle est là. Complet. Sous vos yeux. Vous savez que les choses ont pris une certaine tournure. Que les pièces s’emboîtent. Et pourtant, vous sentez qu’il manque un élément crucial ». Pas de risque d’électrocardiogramme plat : Patrick Bauwen, médecin urgentiste de métier, sait mettre en pelote les nerfs de ses fans.
Il a tout compris de ses maîtres, Stephen King et Harlan Coben. Tout retenu de leur technique. Il n’a d’autre prétention que de divertir et s’inscrit dans la tradition des raconteurs d’histoires américains. En y ajoutant sa « french touch » : davantage de profondeur dans l’histoire et, surtout, davantage d’implication personnelle. Car Bauwen connaît la force des sentiments. C’est là sa patte : placer les relations humaines au cœur d’une intrigue bluffante. Un de ses personnages le dit : « Peu importent les discours. A la fin, c’est l’action qui l’emporte ».
Soit. En attendant, Patrick Bauwen a quelques propos intéressants à nous livrer. Ça vaut la peine de l’écouter… Action
Difficile de résumer l’intrigue d’un thriller en général, et du vôtre en particulier. C’est la loi du genre, bien sûr. Est-ce qu’on peut quand même évoquer le sujet des réseaux pédophiles ?
On trouve plusieurs thèmes dans ce livre. Celui-ci en est un. Mais le thème principal de « Monster », c’est l’opposition entre Paul Becker, un médecin qui va tout perdre, et un personnage maléfique, Kosh, qui est un peu le Joker dans Batman. Paul Becker va traquer cet individu, responsable d’un important trafic d’enfants sur internet.
Le sujet de base reste le combat entre ces deux hommes. En même temps, le roman raconte l’histoire des relations entre trois générations : le grand-père, le père et le fils.
Votre premier livre, « L’œil de Caine » portait déjà sur le rapport mère-fils. Ce thème des relations entre les individus est-il le fil conducteur de votre travail ?
Oui. Les rapports familiaux me motivent toujours. Au centre de mes histoires, on trouve, forcément, un lien sentimental. Là-dessus vient se greffer le thriller, en tant que mode narratif. Dans « L’œil de Caine », j’évoquais les rapports entre le personnage principal et le tueur, qui partageaient des souvenirs forts.
Cette fois, dans « Monster », je parle des non-dits, des secrets qui se sont installés entre trois générations d’hommes et, par ce biais, de la redécouverte d’un père et de son fils qui ne se parlent plus. Mais à la base, je le répète, on trouve une histoire sentimentale. C’est toujours de sentiments dont il est question dans mes livres. Ils n’ont donc rien à voir avec du Grangé, par exemple.
Pourquoi avoir choisi la voie du thriller pour parler de sentiments ?
J’ai été un lecteur flemmard attiré par les livres qui maintiennent mon attention. Pourquoi est-ce que j’écris comme ça ? Parce que je retrouve cette nécessité de rédiger des chapitres courts, avec une chute. J’adore être surpris. Dans la vie également : mon métier de médecin urgentiste est un boulot qui se renouvelle sans arrêt.
Dans l’écriture, j’adore créer constamment des surprises, retourner l’histoire sans arrêt. Mon expérience dans les jeux de rôle m’a appris à sans cesse retourner l’intrigue. C’est ce qui m’a conduit vers le thriller. De toute façon, je suis incapable de divaguer pendant vingt pages sur mes états d’âme. Donc le thriller, pour moi, c’est une histoire sentimentale.
Je n’ai aucune prétention littéraire. Rien ne survivra, ce livre pas plus que le reste. Dans la vie, on ne laisse aucune trace de rien, sauf les sentiments que l’on a eus pour les autres. Dans mes histoires, je parle de personnages qui chutent. Paul Becker est un être ordinaire qui, poussé par la puissance de ses sentiments, va se surpasser.
Vous dites que vous étiez un lecteur flemmard. Mais pour écrire des thrillers, d’un point de vue technique, il ne faut pas être un auteur flemmard !
C’est vrai, comme pour toute littérature de genre. Il existe des codes, on peut s’en affranchir mais pas totalement ; il faut donc un apprentissage du boulot technique. Il existe une base réelle que l’on apprend. Moi je n’ai pas suivi de cours d’écriture, j’ai appris en lisant les « manuels » de Stephen King, Patricia Highsmith et quelques autres. Et j’ai repris les romans que j’avais aimés comme lecteur, en les analysant, en les disséquant. J’ai essayé de comprendre comment certains passages étaient construits, pourquoi ça fonctionnait.
A cela s’ajoute des repérages sur le terrain. Est-ce une étape indispensable ?
Ah oui, tout à fait ! Je me balade tel Tintin, avec un maximum de matériel. J’ai mon Blackberry, des appareils photos en bandoulière, un bloc-notes. J’interroge des inconnus qui me racontent des histoires, des anecdotes. A l’étranger, aux Etats-Unis notamment où je vais régulièrement, c’est plus facile, il n’y a aucun aspect formel dans ces rencontres, donc les gens me confient un tas de trucs. Ça me permet d’enquêter facilement. Quand une piste est intéressante, je la remonte ; après je vois s’il en reste des éléments. Beaucoup d’idées naissent sur place. Et toutes les sources citées dans le roman sont réelles.
Un vrai jeu s’instaure entre vous et le lecteur. Il comprend parfois -ou le devine- que certains détails donnés ne peuvent qu’être vrais.
Bien sûr, et je fais exprès de donner des infos qu’on ne trouve pas sur internet. Ce genre de détails montre que j’enquête et, au-delà, donne sa cohérence au récit. Mais ce sont des éléments que l’on ne peut découvrir qu’en allant sur le terrain.
Ce qui implique des repérages, des déplacements. Les voyages sont-ils importants pour vous ?
Je ne vis que pour le prochain voyage que je vais faire. J’embarque ma famille avec moi et nous partons un peu partout dans le monde, souvent en fonction du bouquin que j’écris…
Avec une nette prédilection pour les Etats-Unis. Qu’est-ce qui vous attire dans ce pays ?
Plein de choses me plaisent dans ce pays (et autant ne me plaisent pas). Ce qui m’attire, c’est le format XXL des Etats-Unis, ce côté proche de la bande dessinée, avec des personnages à la Tarantino. J’y passe une partie de l’année et c’est vraiment mon terrain de jeux. D’exploration. Car j’essaie de me tenir éloigné des clichés, de rester hors des sentiers battus. Mes livres ne se déroulent pas à New York ou à San Francisco. Dans « Monster », on ne passe quasiment dans aucun endroit connu. Je n’ai pas envie de faire comme les autres.
Qu’y a-t-il de vous dans le personnage de Paul Becker ?
Sa vie professionnelle est vraiment la mienne. Tout est authentique. Mais, surtout, je pourrais avoir les mêmes réactions que lui. C’est sûr que je ne me trouve pas dans des situations aussi extrêmes. Mais dans ses émotions, son ressenti par rapport au boulot, l’analogie est évidente.
Analogie jusque dans les initiales de son nom, qui sont les mêmes que les vôtres…
C’est l’un des clins d’œil que j’adresse au lecteur, bien sûr.
Vous commencez votre travail d’écriture par la création des personnages. Vous leur donnez vie puis les lancez dans l’histoire ; et parfois vous ne savez pas ce qui va leur arriver. Avec le lot de rebondissements et d’intrigues présents dans votre roman, difficile de croire que vous ne préparez pas un canevas très méticuleux de votre histoire…
Eh non ! Sinon l’écriture perdrait tout son intérêt pour moi. Je veux être constamment surpris. Quand je commence la rédaction, je connais le début, le milieu et la fin, mais ça tient sur une page. Pour être franc, le synopsis de « Monster » tient sur deux pages. Quand les personnages sont entièrement définis, je les lâche et ils vivent leur vie. A charge pour moi de faire surgir des faits cohérents en fonction de leur évolution psychologique. Mais les événements qui leur tombent dessus et qui résultent de leurs propres choix ne sont pas définis à l’avance.
Tout est sans cesse remis en jeu. L’intrigue prend forme au moment où j’écris. A la base, les personnages ont des secrets, toujours, avant même que je ne commence avec eux.
En tout cas, face à de telles histoires, le milieu du cinéma ne doit pas rester indifférent !
« L’œil de Caine » avait été acheté quelques jours avant sa sortie. Mais je n’en sais pas plus. Ce n’est pas moi qui m’occupe de ça. Et je n’y réfléchis pas lorsque j’écris.
Est-ce que vous appréciez la solitude de l’écriture ?
La solitude, tout à fait. Mais quand j’écris, c’est l’enfer. C’est l’enfer avant, pendant, après. C’est l’enfer en permanence avec de courts instants de pur bonheur. 1% du temps, ce sont des moments de grâce et j’écris pour ça, pour ces moments-là, parce que je ne peux pas m’en passer.
Pourtant quand je me lève le matin j’avale deux cents cafés, j’ai envie de tout sauf de me mettre à l’écriture. Ce n’est pas du tout spontané, c’est une guerre permanente. Je suis sans doute un peu taré ou maso. Mais j’ai des moments réguliers de satisfaction, comme des shoots d’adrénaline. Quand la magie fonctionne, quand tout s’emboîte, c’est merveilleux. Ces instants-là ne se préméditent pas, mais lorsqu’ils surgissent, je suis super heureux !
En parcourant votre site internet, j’ai été frappé par une phrase qui revient à plusieurs reprises : « La vie n’a aucun sens ». C’est votre côté obscur ?
Bien sûr que la vie n’a aucun sens. On l’apprend tôt ou tard. Et je dois dire que ce constat m’a frappé assez tôt en travaillant au service des urgences. Face à cette réalité, on a le choix entre deux attitudes : soit on devient fataliste et dépressif, soit on a un panache à la Cyrano. Même si la vie n’a aucun sens, nos actions, elles, en ont un. Le panache, c’est ne pas se contenter d’être moyen, faire de belles rencontres, aimer quelqu’un, lire un livre, avoir des enfants…
Et l’un des sens que je donne à la vie, c’est le divertissement. ça a vraiment un sens pour moi quand je propose au lecteur de passer quelques heures à se divertir, à sortir de la grisaille.
Propos recueillis par Olivier Quelier