Histoire de l’Art : une certaine idée de l’artiste
Par Sophie Sendra – bscnews.fr / Quand on parle d’Histoire cela nous rappelle les bancs de l’école. Une étude du passé, une discipline, une recherche, une connaissance de cet « antérieur » lointain, une sorte de chronique exacte de faits, de dates, d’événements divers et variés ponctués dans une frise elle aussi purement chronologique.
Une sorte « d’apprentissage du par cœur » lié à une Idée, celle qui nous donne l’impression que l’Histoire elle-même n’est pas là mais dans un ailleurs. Pour comprendre l’Histoire il faut en faire une synthèse globale qui lui confèrerait un Sens. Plus qu’une signification, elle serait une direction gouvernant ainsi nos engagements futurs, politiques ou existentiels dirait Sartre. Dans cette idée d’existence de l’Histoire selon Sartre il y a l’idée selon laquelle nous sommes dans une Histoire qui se déroule sous nos yeux, quoi que nous fassions, marquant ainsi une volonté, la nôtre de ne pas la contempler comme une suite de faits inertes, mais bien comme étant dans une mouvance de « l’Être-là ».
Rendre le monde Intelligible
Comprendre l’Histoire et lui donner un Sens permet aussi d’intégrer dans une certaine intelligibilité toutes les forces en présence. C’est comprendre ce qui semble confus et sans raison d’être ; ça n’est pas excuser, c’est expliquer. On échappe ainsi au hasard de l’Histoire et de l’existence, et par là même à l’absurde. Nous nous octroyons un pouvoir plus fort que l’événementiel, celui de pouvoir influer le mouvement de l’Histoire par l’expérience acquise, les témoignages et par des possibilités d’actions sur un futur proche ou plus éloigné.
Rendre tout cela intelligible c’est aussi passer par une autre forme d’Histoire, celle de l’Art.
L’artiste est sans doute l’un des témoins privilégiés de son temps. Il reproduit ce qu’il voit, ce qu’il ressent. Il est auto-biographe de son âme, de ses émotions, de sa sensibilité subjective. Les Impressionnistes, les expressionnistes sont avec tant d’autres, comme l’expliquait Bergson, des « révélateurs du réel ».
L’Histoire du Présent
L’artiste est aussi un révélateur d’un temps passé (il recrée une scène historique), témoin d’un présent (il dénonce), ou encore artiste de l’anticipation (il devine, pense ou suggère un futur).
Il est en tout cela une « éclosion » de vérité à lui tout seul ; regard sur une société, un état d’esprit, une évolution de pensée, « politicien » à ses heures. On découvre à travers lui et ses œuvres, toute une époque, toute une société, tout un pathos en marche. L’artiste se confond dans l’œuvre et l’œuvre dans l’artiste.
Quand l’Histoire se déroule sous nos yeux, il faut guetter l’artiste.
L’Histoire de l’Art nous aide à comprendre l’Histoire elle-même. Dans Goya politique de Jacques Soubeyroux (Éditions Sulliver), c’est une certaine idée du témoignage politique qui est en marche. L’auteur parle de « violence des images », tels ces « Désastres de la guerre », ces horreurs presque photographiques. Tel ce tableau intitulé La Vérité, le Temps et l’Histoire (1813) qui soutient un point de vue philosophique sur notre regard, sur cette Histoire dont nous parlions un peu plus haut. Il s’agit bien là d’un Topos du monde.
Dans la même optique, il est possible de citer Otto Dix, Lettres et Dessins (présentaion de Catherine Teissier, Editions Sulliver). Aimant les correspondances, témoignages plus vraies que nature, on découvre la seconde guerre mondiale dans ses prémices, « au présent » mais également « au futur » : « A présent, quand on travaille, c’est comme si on travaillait pour une époque qui n’existe pas encore ; pour tous les officiels d’aujourd’hui, on est un monstre et une abomination » (Juin 1934). Une petite idée de ce que deviendront certains artistes sous le III ème Reich.
Un futur présent
L’actualité présente toutes les convergences nécessaires d’une production artistique. Dans ces soulèvements multiples, il y a quelque chose à surveiller. Il y a une certaine attention à apporter au lien entre la « culture et la politique ». Pour cela il faudrait se pencher sur l’ouvrage de Olivier Dekens Comprendre Kant (Éditions Armand Colin). Philosophe Allemand du Siècle des Lumières, Kant voulut répondre à trois questions essentielles au travers de ses trois critiques (et d’autres ouvrages). Que puis-je savoir ? Que puis-je faire (avec ce savoir) ? Et Que m’est-il permis d’espérer ?
Cette philosophie en actes se retrouve dans l’Histoire de l’Art, et dans l’Histoire tout court. Grand amateur de la notion de Beau et de Sublime (Critique de la faculté de juger), Kant n’aurait peut-être pas aimé cette conceptualisation d’une certaine idée de la beauté du témoignage historique dans l’œuvre d’art, mais c’est aussi cela qui rend peut-être quelques œuvres Belles dans l’Idée.
Sous cet angle de vue de l’œuvre en elle-même, à la première question de Kant, nous pourrions répondre « ce qui se passe ici et maintenant », à la seconde « les mettre au grand jour, les exposer au regard du monde », enfin à la troisième et dernière question, que dans une vision pure d’ Une Paix Perpétuelle (Kant), il est fortement recommandé d’« espérer que l’humanité s’améliore un peu ».
Il faut donc, impératif catégorique d’une philosophie en acte et d’une Histoire présente et future, aiguiser nos yeux afin de repérer ces œuvres Égyptiennes, Tunisiennes, Algériennes, Syriennes et bien d’autres encore.
S’il fallait conclure
Positiver un événement au-delà de la cristallisation des émotions, c’est savoir extraire de celui-ci un point de vue sur le monde afin de l’interpréter et de le rendre plus grand que sa simple dimension événementielle. C’est l’inclure dans une existence en mouvement, c’est le rendre nôtre. Les œuvres réussissent cela. Ne ratons pas ce rendez-vous.