A cette occasion, Putsch s’est entretenu avec son directeur général, Guilhem Caillard, pour discuter de l’état du cinéma francophone au Québec, et, plus particulièrement, de l’essor du cinéma québécois dans le monde.
Le 24 octobre dernier, le journaliste québécois Marc-André Lussier titrait sur lapresse.ca : « L’année de l’expansion à Cinémania ». Est-ce que l’on peut dire que, pour sa 24ème édition, le festival a pris un tournant majeur dans son développement ?
Oui, c’est vrai, c’est une année d’expansion, à travers la ville de Montréal, à travers plusieurs nouveaux lieux de diffusion. On a besoin de plus de représentation, de visibilité pour le cinéma francophone à Montréal. Il faut savoir qu’en 1995, lorsque le festival Cinémania est né, il se déroulait dans un seul lieu : le cinéma du Musée des Beaux-Arts de Montréal. Ce lieu, qui a donc vu naître le festival, ne suffisait pas aux spectateurs après 10 années d’existence. Nous nous sommes déplacés au Cinéma Impérial dans une salle de 824 places et aujourd’hui, on se retrouve (quasiment 20 ans après le 1er déménagement) dans la même situation. Chaque année, on accueille environ 31 000 spectateurs donc on a besoin de salles en plus. C’était pour répondre à un premier besoin logistique. Ensuite, c’est aussi une façon pour nous de renforcer notre ancrage dans le maillage culturel montréalais. On a donc cherché de nouvelles salles : le cinéma du Musée (on boucle la boucle après 24 ans d’existence), le Cinéma du Parc, le théâtre d’Outremont, l’hôtel Sofitel, la Cinémathèque Québécoise. On parle aussi d’expansion au niveau des films. En 1995, le festival présentait seulement 10 films. Aujourd’hui, on est à 67 films, dont 50 premières. Après, c’est une expansion contrôlée. On ne cherche pas à faire de Cinémania l’événement qui va présenter 200 films, plein de catégories différentes. Ça reste une expansion stratégique.
« En 1995, le festival présentait seulement 10 films.
Aujourd’hui, on est à 67 films, dont 50 premières »
Cette année, le festival a accueilli près de 31 000 personnes, soit 2 000 de plus que l’année précédente. Ce record d’affluence s’explique-t-il par ce nouveau virage ?
Pour être précis, ce sont 31 000 personnes sur l’ensemble des activités à l’année (ndlr : Cinémania organise plusieurs événements en dehors de la période du festival). Pour répondre à votre question, je pense que oui. Il faut savoir que le cinéma français avoisine 3,8 % de part de marché au Québec (ndlr : ce chiffre est donné par l’agence québécoise Cinéac), à l’année, à travers 70 sorties de longs métrages dans les salles de cinéma… C’est un chiffre assez catastrophique ! Parallèlement, les festivals deviennent de plus en plus populaires. Il y a plusieurs raisons qui expliquent cela, notamment le manque de salles de diffusion. On a de plus en plus de salles de cinéma qui ferment ici, au Québec. Les films sont de moins en moins accessibles et les salles sont petit à petit remplacées par les festivals. Cinémania augmente sa fréquentation parce qu’il devient une alternative à ce que les gens ne peuvent pas voir. C’est un peu dangereux puisque nous ne voulons pas nous substituer aux salles. Au contraire, on souhaite leur faire de la promotion. C’est justement une grande problématique sur laquelle nous travaillons. Donc, ce qui justifie l’affluence, c’est non seulement l’attrait de la programmation, le nombre de salles et une offre plus variée, mais aussi, ça s’explique par un phénomène plus large qui fait que les gens ont de moins en moins l’occasion de voir du cinéma français et francophone. Un festival tel que le nôtre, c’est vraiment une opportunité pour le public de voir des films qu’ils n’auront pas la chance de voir le reste de l’année.
« Cinémania augmente sa fréquentation parce qu’il devient une alternative à ce que les gens ne peuvent pas voir. C’est un peu dangereux puisque nous ne voulons pas nous substituer aux salles »
24 invités (acteurs et réalisateurs) ont défilé tout au long du festival dont Édouard Baer, Mathieu Kassovitz ou encore Gilles Lellouche. Cette année, l’invité d’honneur était l’acteur belge, Olivier Gourmet, qui était à l’affiche de plusieurs films : L’échange des princesses, de Marc Dugain, Ceux qui travaillent d’Antoine Russbach, Un peuple et son roi de Pierre Schoeller, et, en clôture, Edmond d’Alexis Michalik, sur la création de Cyrano de Bergerac. Que nous révèle ce choix franco-belge ?
Olivier Gourmet est un exemple parfait de la francophonie internationale que nous souhaitons représenter et incarner. Il tourne beaucoup en France, en Belgique, en Suisse, au Luxembourg, au Québec. C’est l’acteur francophone par excellence ! Pour un évènement de films francophones tel que nous sommes, c’est un invité parfait. Et on le voit d’ailleurs à travers ses films, que nous avons présenté cette année, ce sont des films très franco-français par leur thématique : par exemple Un peuple est son roi, un film sur la révolution française. Dans Ceux qui travaillent, il évoque la place du milieu du travail dans la Suisse d’aujourd’hui. D’ailleurs, on en a profité pour présenter Congorama (ndlr : long métrage franco-belgo-canadien), un film qu’il a tourné il y a une dizaine d’années au Québec. La francophonie internationale, c’est Olivier Gourmet !
Le film de Romain Gavras, Le monde est à toi, avec Isabelle Adjani et Vincent Cassel, n’a pas de distributeur au Québec. Le programmer au festival Cinémania, est-ce une manière de répondre à ce déficit et ainsi inciter un distributeur québécois à s’y associer ?
Ce n’est pas le cas pour ce film-là (ndlr : Netflix en est le distributeur, en Amérique du Nord) mais c’est le cas pour plein d’autres films. Par exemple, 50% de notre programmation constitue des films qui n’ont pas de distributeur québécois. Notre rôle, c’est de nous inscrire dans cette réalité-là du marché. Probablement 70% des films francophones qui sortent à l’année, excluant le Québec, sont des films qui ne trouvent pas de distributeur ici. Notre rôle, c’est d’offrir aux distributeurs québécois la possibilité de tester le public dans nos salles, et, éventuellement, de faire l’acquisition d’un film suite à sa présentation à Cinémania.
« Notre rôle, c’est d’offrir aux distributeurs québécois la possibilité de tester le public dans nos salles, et, éventuellement, de faire l’acquisition d’un film suite à sa présentation à Cinémania »
Quel est l’état actuel du cinéma québécois ?
On a une richesse, une variété de thèmes, d’acteurs, de formes… qui est absolument incroyable au Québec. Proportionnellement à la France. La création québécoise francophone est d’une richesse incroyable, elle voyage à travers le monde, à travers des festivals. Chaque année, 80% des films québécois qui sortent, trouvent le chemin des festivals internationaux. Le cinéma québécois brille à l’international. Mais le problème, c’est qu’il brille à l’international quasiment qu’à travers les festivals.
Actuellement, il y a une étude en cours, menée par la France et le Québec, dans le cadre d’une convention signée entre le CNC (Centre National du Cinéma) et la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles du Québec), qui étudie sur une année la représentation des 10 films québécois qui sortent en France et les 70 films français qui sortent au Québec, par an. Comme je le disais, la part de marché du cinéma français au Québec est de 3,8% et la représentation du cinéma québécois en France est limitée à Paris… Alors, comment augmenter efficacement cette représentation d’un côté comme de l’autre ? C’est une grande problématique. C’est là que doivent se concentrer tous les efforts.
Aujourd’hui, le cinéma québécois à l’international doit briller, certes dans les festivals, comme il le fait déjà, mais aussi dans les salles et sur les plateformes numériques. Il y a encore beaucoup de travail à faire. C’est le rôle d’un festival tel que le nôtre : Cinémania doit apporter sa pierre à l’édifice pour jouer sur cette représentation. C’est pour ça que, chaque année, nous allons présenter des films québécois dans des festivals, aux États-Unis, notamment Focus on French Cinema de Greenwich. C’est l’occasion pour nous de rencontrer des distributeurs américains et de leur dire « Faites des acquisitions de films québécois pour vos sorties en salles, pour vos deals avec Netflix, Amazon, Itunes… ».
Le cinéma québécois, depuis les dix dernières années, a gagné en reconnaissance à l’international. Aujourd’hui, il faut faire en sorte qu’il trouve le chemin des salles et des plateformes numériques.
« Le cinéma québécois brille à l’international. Mais le problème, c’est qu’il brille à l’international quasiment qu’à travers les festivals »
On a souvent tendance à associer systématiquement le cinéma francophone au cinéma français, aux dépens du cinéma québécois, suisse ou belge. Est-ce que les choses tendent à changer ?
En nombre de films, c’est la cinématographie française qui en produit le plus : près de 300 longs métrages par an. Mais, en dehors de la France, le cinéma francophone, ce n’est pas que le cinéma français. Cette année, à Cinémania, on a une très grande représentation du cinéma belge. Aussi, on a mis la Suisse à l’honneur car c’est un acteur clé dans la coproduction internationale. La Suisse produit plus de 200 courts métrages par an, diffusés à travers le monde. Elle bénéficie d’une définition de la francophonie beaucoup plus plurielle que la France puisque le cinéma francophone suisse, c’est aussi des tissages avec l’Allemagne et l’Italie. Il faut étudier chaque pays francophone, au cas par cas. Ici, vous avez des films québécois, qui sont aussi des films francophones, même s’ils sont tournés uniquement en langue anglaise. La francophonie passe par l’usage d’autres langues et d’autres cultures. Le rôle d’un festival tel que Cinémania, justement, c’est de défendre cette francophonie plurielle. Cette année, par exemple, on a présenté Cold War, un film quasi intégralement tourné en polonais, mais qui parle d’une certaine définition de la francophonie dans les années 50 alors même qu’elle n’avait pas une définition aussi claire que celle que nous avons aujourd’hui, grâce à la présence d’organismes comme l’OIS (Organisation Internationale de la Francophonie) ou à des définitions que l’on trouve dans le dictionnaire.
« La francophonie passe par l’usage d’autres langues et d’autres cultures. Le rôle d’un festival tel que Cinémania, justement, c’est de défendre cette francophonie plurielle »
Le cinéma québécois est souvent associé aux mêmes noms : Xavier Dolan, Denis Villeneuve, Jean-Marc Vallée, Denys Arcand… Qu’en est-il de la relève, selon vous ? Quels sont les grands noms de demain ?
C’est normal, ce sont des ambassadeurs du cinéma québécois. C’est la même chose en France : quand on parle du cinéma français à une personne qui en consomme peu, les premiers noms qui vous viennent à l’esprit sont Catherine Deneuve, Gérard Depardieu… C’est le sommet de l’iceberg. Lorsque que les gens vont s’intéresser d’un peu plus près, ils vont découvrir tout un panel de créateurs. En ce qui concerne la relève, on parle beaucoup du rôle renforcé que l’on donne à la création télévisuelle et aux liens qu’elle peut tisser avec la création cinématographique. Vous avez de jeunes créateurs comme François Jaros, cinéaste d’une trentaine d’année, qui a un écho gigantesque dans la télévision au Québec. Il crée des séries télé depuis une dizaine d’année, et navigue entre cinéma, TV et plateforme numérique. Il propose un renouvellement complet de la définition de la comédie québécoise avec un regard très rafraichissant. Il incarne totalement la relève québécoise. C’est une relève qui se joue aussi beaucoup au niveau des acteurs et comédiens. Il y a Théodore Pellerin, qui est aussi entre les USA et le Québec : il est à l’affiche d’un film qui fait beaucoup parlé de lui aux États-Unis, Boy Erased, et tourne une série en ce moment en Louisiane. Il est à l’affiche d’un grand film québécois, Genèse, de Philippe Lesage. Les jeunes acteurs québécois sont très prometteurs, hyper actifs. Ils s’en vont aux USA et reviennent très régulièrement. Par exemple, Xavier Dolan, qui vient de terminer un film au Québec (ndlr : Matthias et Maxime), alterne très souvent entre les deux. C’est aussi ça la définition de la création francophone contemporaine.
« François Jaros propose un renouvellement complet de la définition de la comédie québécoise avec un regard très rafraichissant. Il incarne totalement la relève québécoise »
Deux nouveaux lieux consacrés à la cinématographie indépendante ont ouvert leurs portes, coup sur coup, à Montréal : le Cinéma Moderne dans le Mile-End et le Cinéma du Musée au Musée des Beaux-Arts. Après la fermeture de l’Excentris en 2015 (ndlr : un cinéma indépendant montréalais des année 2000), on assiste à un renouveau du cinéma indépendant au Québec. Est-ce le symbole d’un manque à combler selon vous ?
Bien sûr ! Ce n’est d’ailleurs que la première étape. C’est aussi ça le message que se doit d’envoyer Cinémania en étendant ses activités à de nouveaux lieux. Le cinéma Moderne, c’est extraordinaire, mais ce n’est que 50 places. Il manque encore d’autres salles, particulièrement là où il y a un public. Je pense notamment au Plateau Mont-Royal, à Rosemont… Ce sont des endroits où les gens ont besoin de cinémas de quartier, et surtout, de cinémas qui présentent une cinématographique francophone indépendante différente, alternative. Alors, oui, c’est le signe d’un manque à combler, et il faut poursuivre dans ce sens-là. On est tous très attentifs aux résultats du Cinéma du Musée et du Cinéma Moderne. Et d’ailleurs, on sait que le Cinéma du Musée, ce n’est pas un seul projet d’une seule salle, il y aura, dès l’an prochain, une nouvelle salle. Tous ces efforts-là doivent être poursuivis. Même si les résultats ne sont jamais évidents. C’est toujours cyclique dans le cinéma : à Montréal, dans les années 60, il y avait 40 établissements cinématographiques, juste dans le centre-ville. Aujourd’hui, on en a trois. Les gens reviennent toujours à la consommation de la salle. Lorsque le cinéma parlant est arrivé, tout le monde disait que c’était la fin du muet. Quand la télévision, le numérique, ou encore Netflix sont apparus, on parlait aussi de la fin du cinéma. Au final, la fréquentation en salle revient toujours.
« C’est toujours cyclique dans le cinéma : à Montréal, dans les années 60, il y avait 40 établissements cinématographiques, juste dans le centre-ville. Aujourd’hui, on en a trois »
Jeudi 15 novembre, le 1er ministre de l’Ontario a annoncé la suppression des services aux français dans sa province. Selon vous, est-ce une menace pour la francophonie canadienne ? Comment percevez-vous cette décision en tant qu’ambassadeur de la cinématographie francophone ?
Évidemment, c’est une honte par rapport à l’ensemble des combats qui ont été menés par les francophones de l’Ontario. Au Québec, la majorité des gens sont d’accord pour dire que c’est une honte. Il n’y a même pas de commentaire à donner. C’est plus un effet populiste conservateur plutôt que quelque chose de réel. Je pense que ça va s’étouffer et les personnes mobilisées en Ontario vont rapidement reprendre la main. Mais oui, c’est une menace pour la francophonie canadienne…
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Infos pratiques
24ème édition du Festival Cinémania, du 1er au 11 novembre 2018, à Montréal
https://www.festivalcinemania.com/fr
Deux prix décernés :
– Le Grand Bain, de Gilles Lellouche, a reçu le Prix du public Mel Hoppenheim,
– Sofia, de Meryem Benm’Barek, a reçu le Prix TV5 Jeunesse Francophone.
Pour aller plus loin : https://www.onf.ca
(Crédit photo : Kelly Jacob, 2018)