Xavier Moni, comment êtes-vous devenu librairie ?
Ni par vocation, ni par héritage, mais plutôt de manière naturelle. Après des études de lettres et un bref passage par l’éducation nationale, l’envie d’exercer un métier qui fait sens, dans une forme d’indépendance. Avec la lecture comme colonne vertébrale à mon parcours.
Vous êtes Président du Syndicat de la librairie française. Quelles expériences le métier de librairie vous sont nécessaires aujourd’hui pour ce poste ?
Exercer ce mandat, c’est porter la parole collective de la profession et donc évidemment, d’en connaître tous les aspects. En exerçant ce métier depuis près de 20 ans, il me semble avoir pu comprendre et analyser nos forces et nos faiblesses. Créer et développer une entreprise, acheter et négocier auprès des diffuseurs, conseiller et vendre aux clients, faire vivre une équipe et un lieu, construire un assortiment cohérent, pérenniser un modèle économique, c’est le quotidien chronophage d’un libraire aujourd’hui, un équilibre fragile à maintenir. Ce que j’ai réussi à mon échelle me sert chaque jour dans mon engagement pour le collectif, et vice versa….
En quelques mots, quelles sont les prérogatives du syndicat ?
Elles sont nombreuses mais je veille à ce qu’elles soient partagées, en ne présidant pas seul.
Il y a deux grandes prérogatives : représenter la profession et défendre ses intérêts d’une part et animer un réseau pour renforcer ce collectif.
Qu’est-ce qui est important dans la dénomination « Librairie indépendante » ?
L’indépendance est une valeur essentielle qui se raréfie ! Être indépendant c’est affirmer un désir de liberté, c’est proposer un projet singulier. Nos villes regorgent d’enseignes qui se ressemblent et uniformisent nos vies. Une de nos forces, c’est d’être différents les uns des autres, mais nombreux et sur tout le territoire.
Derrière « librairies indépendantes », il y a un réseau de professionnels libres de leur choix.
« Être indépendant c’est affirmer un désir de liberté, c’est proposer un projet singulier. Nos villes regorgent d’enseignes qui se ressemblent et uniformisent nos vies »
Quels sont selon vous les enjeux cruciaux pour l’éco-système de la librairie dans les prochains mois ?
La librairie doit en permanence résoudre une équation complexe : faire toujours mieux sans ressources supplémentaires et avec des charges croissantes. Le risque, à moyen terme, c’est de nous affaiblir sur nos points forts : la qualité et l’amplitude de notre offre et la compétence de nos équipes dans des lieux accueillants au cœur des villes. Ce qualitatif a un coût élevé qu’il nous faut financer dans un marché sans croissance.
« La librairie doit en permanence résoudre une équation complexe : faire toujours mieux sans ressources supplémentaires et avec des charges croissantes »
Comment les libraires peuvent-ils anticiper l’évolution du marché ? Est-ce qu’il faut apporter d’autres services auprès des lecteurs ?
Le monde bouge à une vitesse incroyable avec des moyens financiers considérables. Les modes de consommation et les attentes des clients évoluent en conséquence, nous le vivons quotidiennement dans nos librairies. Du papier cadeau à la commande client en passant par les conseils, les animations ou la commande en ligne, la librairie propose déjà de nombreux services. Cette palette de services, il nous faut la valoriser, sans cesse l’améliorer et l’enrichir.
Aujourd’hui, comment se porte la fréquentation physique des librairies ? Et quel est le plus gros danger pour les librairies à ce jour ? Est-il dans la baisse des ventes physiques ou dans l’innovation au sein même du métier ?
Le marché du livre a vécu deux années consécutives de baisse auxquelles la librairie n’a pas échappé.
Se pose donc d’abord la question de l’évolution des pratiques de lecture de livres. S’il est trop tôt pour donner une conclusion définitive, il nous suffit de porter un regard sur nos modes de vie pour voir à quel point la sphère du numérique vient grappiller temps et attention.
Dans ce marché qui se contracte, l’autre préoccupation est la place grandissante de la vente en ligne au détriment des magasins physiques. C’est un véritable sujet de société que la librairie ne peut résoudre seule.
A notre échelle, nous devons continuer à incarner nos lieux, les faire vivre comme des contrepieds à la seule vente en ligne.
« Le marché du livre a vécu deux années consécutives de baisse auxquelles la librairie n’a pas échappé »
Vous avez récemment publié une tribune pour dénoncer la sélection d’un roman auto-édité sur Amazon dans la sélection du Renaudot. Pouvez-vous nous en donner les raisons ?
J’ai voulu par cette prise de position alerter du danger à continuer à donner du poids à un acteur qui vise des situations monopolistiques dans tous les secteurs qu’il investit.
En tant que Président du Syndicat de la librairie française, quel est le regard que vous portez sur Amazon ?
Un regard extrêmement critique, que ce soit en tant que représentant des libraires qu’en tant que citoyen. C’est une formidable arme de destruction massive qui, en exploitant toutes les largesses fiscales accordées par les états, détruit tout sur son passage. Là encore, c’est un sujet de société qui dépasse très largement la librairie, même si la librairie est en pointe. Nous avons traduit cette année une étude américaine qui analyse les conséquences de la croissance d’Amazon sur nos sociétés (http://www.syndicat-librairie.fr/comment_la_pieuvre_amazon_menace_t_elle_notre_societe_). Il y a de quoi être inquiet pour l’avenir… C’est aussi au consommateur de prendre conscience de sa responsabilité et de son pouvoir sur cette question.
Qu’est-ce qu’il est possible de faire pour améliorer la situation des libraires ? Pensez-vous que le Ministère de la Culture joue son rôle dans la protection du secteur ?
Il l’a joué jusqu’à présent notamment en régulant ce marché par la loi sur le prix unique en 1981 et en renforçant à plusieurs reprises ce dispositif législatif. Il y a encore beaucoup à faire et à inventer dans les politiques publiques pour soutenir notre secteur : rapprocher les jeunes et la lecture, faire de la lecture une véritable cause nationale, proposer un plan ambitieux de revitalisation des centres villes… L’avenir nous dira si la culture et le livre restent des priorités.