Entretien avec la femme devenue pendant longtemps l’ennemi public numéro 1. Après trois longues années de silence, Christine Deviers Joncour revient en exclusivité pour le BSc news sur l’affaire des frégates de Taïwan, sur ses livres publiés pour expliquer le fond de cette affaire, sur sa vie d’aujourd’hui et sur sa passion pour la musique
Je me suis défendue et aussi protégée en écrivant et en me médiatisant !
Ainsi, dans quel état d’esprit avez-vous rédigé ces livres?
CDJ – A cette époque, ne sachant plus où trouver un avocat pour me défendre, ( j’en ai épuisé sept), j’ai décidé de le faire moi-même en prenant le risque énorme de mettre en lumière l’Affaire de Frégates de Taïwan. J’ai donc écrit pour expliquer ! C’était le seul moyen. Instinct de survie probablement et puis une envie de Justice aussi dans mon pays. Alors, j’ai rendu volontairement les sommes reprochées et je me suis battue.
Avec du recul, ces livres ont-ils été nécessaires ?
CDJ – Nécessaires ? Vital vous voulez dire ! Comment aurais-je pu vivre en entendant tout ce que l’on écrivait et commentait. Je portais sur mes épaules tous les péchés d’une république malade! Rappelez-vous quand même que je devenais l’ennemi public N°1 ! La corruption Elf depuis 50 ans c’était moi, la ventes des Frégates à Taiwan et les 4 milliards de rétro commissions, c’était moi ! On avait trouvé le bouc émissaire idéal ! C’était insupportable… Mes fils n’en pouvaient plus… ma mère en est morte ! Pour eux, je n’avais pas d’autres choix. Pour ma famille, j’ai tenu bon et me suis battue pour prouver que je n’étais pas ce monstre de femme que l’on dépeignait, mais la vraie Christine et plus que jamais une bonne mère et une fille honnête ! Je n’en pouvais plus de ces seaux de boue et tous ces mensonges et autres lâchages et trahisons. J’ai écris pour me protéger des puissants… Et puis écrire m’a permis sans doute de tenir le coup psychologiquement et d’éviter une dépression.
Quel est, d’après vous, celui qui a été le plus difficile à écrire?
CDJ – Le livre le plus difficile à écrire ? Probablement le dernier, en 2005, avant de tourner définitivement la page de toute cette histoire: « Les amants maudits de la République »… Il fallait que je donne ma version, la vraie, d’une relation amoureuse, de dix années auprès de cet homme, puisqu’elle avait été utilisée, mise en pâture et déformée, salie et enlaidie pour de multiples desseins que l’on devine. J’en ai tellement souffert ! Et puis aussi, le seul moyen de communiquer avec cet homme que je ne vois plus depuis 1997 et ne reverrai jamais et lui dire combien il m’a blessée en me lâchant….
Vos éditeurs ont-ils été méfiants envers ces ouvrages?
CDJ – Un seul éditeur, Claude Durand fut méfiant et avait refusé « Opération Bravo», mon premier livre en 2000 révélant les dessous de l’affaire de la vente des Frégates à Taiwan… Il avait ses raisons que je respecte.
Après l’écriture et la publication, comment avez-vous vécu la promotion de ces livres?
CDJ – J’avais très peur à la sortie du premier livre en 98, peur d’affronter le public. L’éditeur Olivier Nora ne voulait pas que j’assiste aux foires de livres. J’y suis allée malgré tout et j’ai découvert un public incroyablement amical et averti. Vous savez, il ne faut pas prendre les français pour des imbéciles. Ils avaient tout compris même sans connaître tous les détails d’une affaire bien compliquée… J’ai reçu un soutien chaleureux et des courriers innombrables pendant de longues années, de lecteurs qui m’ont beaucoup encouragée, aidée à tenir le coup et à continuer à lutter. Certains journalistes aussi ont eu le courage de m’inviter sur des plateaux télé… Ardisson fut l’un d’eux et quelques autres aussi que je remercie.
Peut-être vous souvenez-vous d’une anecdote à ce sujet?
CDJ – Ma plus jolie anecdote ? Il y trois ans, je prenais un bus pour me rendre dans un aéroport à destination de la Norvège. Dans ce bus, une femme est venue s’asseoir à côté de moi à la dernière place disponible. Nos regards se sont croisés… Le juge Eva Joly ! Mon bourreau ! J’étais glacée. Pendant une heure, j’ai beaucoup parlé. Je lui ai dit combien elle s’était trompée en se focalisant sur Roland Dumas et une affaire de chaussures, alors qu’il fallait se focaliser sur l’affaire des Frégates, qu’elle n’avait pas voulu instruire comme un autre juge l’a fait courageusement après son départ. Je lui reprochais de ne pas m’avoir écoutée, de ne pas avoir voulu lire aucun de mes livres !!! A l’époque où elle m’avait incarcérée pour me faire parler uniquement de ce qu’elle voulait entendre, et bien ce jour-là, dans ce bus, elle priait pour que je me taise ! (Sourires)… La vie souvent nous joue des tours et s’amuse !
Depuis vous vous êtes lancée dans la musique entre autres. Vous avez d’ailleurs un titre en écoute sur MYSPACE « Une femme ». Parlez-nous de cette passion et de sa portée pour vous?
CDJ – La musique ? Enfin, j’ai tourné une page sur ce cauchemar et je suis retournée à la vraie vie. Pour moi, la musique en fait partie. J’ai épousé, il y a trois ans un musicien compositeur, producteur norvégien très célèbre en Scandinavie. Il m’a demandé d’écrire des textes et m’a aidée à travailler ma voix. Nous préparons tous les deux un album. La chanson que vous avez entendue sur Myspace , « Une femme », est la première enfin terminée.
Enfant, j’ai pendant douze ans pris des cours d’harmonie et instrument. Je voulais être compositeur. Aujourd’hui je laisse à mon époux le soin de composer, je me contente d’écrire les textes et de chanter et souvent en duo avec lui. Je m’éclate !!! (rires)
Sur votre profil facebook, il y a une citation de Madame de Stael « La gloire est pour une femme le deuil éclatant du bonheur ». Pouvez-vous nous en dire plus?
CDJ – Je trouve que cette citation me correspond parfaitement. Quand j’entendais certains dire ou me reprocher d’avoir « joué la star dans les médias » et de rechercher la notoriété, personne ne pouvait réellement imaginer ce que cela cachait de souffrances, de peurs, d’angoisses, de misères…. Oui, cette « gloire » n’était que le deuil éclatant de tout ce qui avait été les bonheurs de ma vie d’avant et qui s’étaient brutalement transformés en cauchemar. Je vivais très bien dans l’ombre avant qu’on ne vienne me chercher. Comme quoi, il ne faut pas toujours donner trop de crédit aux images tabloïds. En ce qui me concerne, j’ai protégé ma vie derrière cette lumière en souriant… c’était le but et seulement cela !
Pour finir, quels sont vos projets les plus chers à l’heure actuelle?
CDJ – Un non-lieu récemment m’a aidé à tirer un trait sur ce passé. Je suis blanchie et soulagée. Mon regret : onze ans de souffrances pour rien ! Tout ça pour ça… Alors me reconstruire avec des projets : cet album musique en préparation et puis l’écriture plus que jamais. Je n’ai jamais cessé. J’écris des contes fantastiques que j’illustre, car une autre ancienne passion : le dessin et la peinture…(mon père était artiste peintre graveur et sculpteur), publiés en Norvège. En France je ne sais pas… difficile ici de changer mon image et de sortir du tiroir où l’on m’a enfermée! Un éditeur récemment qui a voulu lire un de ces contes a regretté « qu’il n’y ait pas des révélations sur les chaussures de Dumas ». Dommage ! Un projet de théâtre sur scène au printemps prochain à Toulouse. Un film, long métrage fiction inspirée de mon histoire en préparation qui me réjouit… Et puis apprendre à savourer des petits morceaux de bonheur chaque jour… il y en a si l’on veut s’en donner la peine, même dans les moments les plus sombres.
Propos recueillis par Nicolas Vidal.