La révolte culturelle est celle qui sait se retourner sur le talent et non pas sur celui qui crie le plus fort
Quelle est la valeur d’un « coup » ? Afin de déterminer cette valeur, il faudrait savoir de quel « coup » il s’agit. D’où vient-il ? Qui le porte ? Les « coups » peuvent être de toutes natures : physiques, psychologiques, positifs, négatifs, médiatiques, faits de bluff, de buzz et autres bizarreries du langage. On peut même rendre les « coups », « coups pour coups ». La période que nous vivons est faite de stupeurs et de tremblements – pour reprendre un titre plus que connu d’Amélie Nothomb – de « coups » faits de petites phrases, de hashtags, de méli-mélo en « iste ». A chaque période de bouleversements préexistent des petits coups de boutoirs qui semblent venir de nulle part, comme des apparitions soudaines que l’on n’a pas vu venir. Il faut pourtant les entendre afin de mieux comprendre d’où ils viennent.
Le coup de mou
Le monde de la culture accuse un petit coup de mou. Une sorte de moment de flottement où il faut être, comme au cinéma, bankable pour susciter l’intérêt des maisons d’édition qui se trouvent sur le devant de la scène. Il faut trouver un sujet qui marche, qui marque, qui fait le buzz. La polémique est de mise. Chaque siècle connait des vagues d’engouement, en ce début de siècle nous en sommes là : les styles « vampire et loup garou », « sexe chic », « introspectif » qui raconte sa vie de traumatismes, « découverte d’une vie spirituelle». Voici quelques-uns des styles érigés en genres littéraires qui font sens lorsque les éditeurs choisissent parmi la multitude. Les autres sont des essais politique en mal de postes électoraux, de chroniqueurs TV en mal de reconnaissance ou d’audience et enfin d’intellectuels qui démontrent que le monde va mal et/ou que l’Autre est un problème à venir. En dehors de tout cela, la culture, vaste par son contenu, est absente par le simple choix de certains et la volonté de beaucoup de vibrer à la perspective d’une énième querelle ou d’un croustillant scandale.
Le coup de bambou
Quand des écrivains, des artistes, des personnes très en vue sont contactés par des journalistes, des chroniqueurs pour des interviews sur leurs œuvres, leurs pensées, ils rechignent à l’exercice selon le journal auquel appartient l’importun. La publicité est acceptée si et seulement si le journal ou l’organe de presse est lui-même bankable , ainsi le public ne reçoit d’informations que des mêmes tenant de cette « culture » : les mêmes noms sur les mêmes couvertures, les mêmes têtes sur les mêmes écrans. Le coup de bambou vient lorsqu’on ne regarde pas au bon endroit. En conséquence, une partie de celles et ceux qui s’intéressent à la culture sous toutes ses formes commencent à se détourner des « têtes d’affiches » afin de se consacrer à cette diversité d’auteurs, de réalisateurs, de musiciens qui font la culture sans pour autant être sur les podiums. Le désintérêt pour une culture convenue par ceux qui cherchent non pas le talent, mais le talon du chèque qu’ils vont en retirer, est en plein essor.
Un coup de révolte
La « révolte » est le fait de se retourner. Lorsqu’on se retourne, on aperçoit sans doute ce que l’on a loupé, ce que l’on n’a pas remarqué, ce qui n’a pas fonctionné, mais c’est aussi se « retourner » pour mieux voir ce qui est caché sous une surface qui est trop connue parce que trop vue, exposée sans doute depuis trop longtemps pour qu’on imagine une autre perspective, un autre choix. Le coup de révolte le plus bruyant serait celui où en se « retournant » on découvrirait, tel l’iceberg, que ce qui était sous la surface de cette culture est plus énorme, plus intéressant, plus stimulant que ce qui nous a été proposé depuis le début du XXIème siècle. Ainsi la démesure de la « visibilité » à tout prix ne serait plus l’alpha et l’oméga de l’enthousiasme général et du talent supposé, mais le simple reflet d’une société de consommation de masse. La révolte culturelle est celle qui sait se retourner sur le talent et non pas sur celui qui crie le plus fort.
S’il fallait conclure
En 1839, ce sont les idées progressistes qui menèrent à la révolte des petites gens contre un pouvoir établi qui ne voyait dans la tradition qu’un continuum sans fin. Le mot Putsch est d’origine suisse allemande, il veut dire « explosion », ce terme est né de ce soulèvement populaire. Le bruit qui se fait entendre est sans doute celui de cette culture qui frappe à la porte de ceux qui veulent bien lui ouvrir. Ecoutons ce qu’elle a à dire car cela fait longtemps qu’on ne laisse la parole qu’à ceux qui font du bruit sans être mélodieux.