Par Nicolas Vidal – BSCNEWS.FR / Qui a dit que la petite édition en France n’avait ni dynamisme, ni audace ? Probablement une poignée de gens très éloignée de la réalité. La preuve vivante d’une émulation au sein de cette mouvance éditoriale est incarnée en partie par les Editions Zanzibar qui nous proposent un travail éditorial remarquable aussi bien pour la création graphique que pour ses choix éditoriaux. Nous nous sommes empressés alors de le demander à son fondateur, Laurent Blain, un éditeur à la mode US. Un homme passionné et audacieux.
Laurent, on est d’abord agréablement surpris par le nom de votre maison d’édition, Zanzibar. Cela en appelle à l’exotisme et à une multiplicité de déclinaisons. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je crains d’être moins poétique… Je cherchais un nom visuellement équilibré, facilement mémorisable et composé de trois syllabes sonores… Or toutes les combinaisons sont déposées jusqu’à six lettres… il a fallu aller jusqu’à huit… Plus sérieusement, le Zanzibar auquel je pense est un petit groupe d’enragés réunis en 1968 autour de Philippe Garrel. Ils tournèrent quelques films, consommèrent énormément de drogues, disparurent après quelques mois d’existence au milieu du Sahara.
Qu’est ce qui a décidé à lancer Zanzibar et plus précisément à devenir éditeur ?
Lire a été mon occupation principale depuis l’adolescence. Une occupation sérieuse. La cinquantaine venue, j’ai quitté le statut de salarié pour accorder ma vie quotidienne avec ma passion.
On lit dans la présentation de la maison sur votre site qu’elle se veut » éclectique, indépendante et inattendue ». Est-ce votre définition de la littérature ?
C’est ma définition de l’entreprise Zanzibar. La littérature, elle, est obstinée, persévérante, contestataire, monomaniaque, risquée, toxique, jubilatoire, addictive… et toujours drôle.
Votre ligne éditoriale s’intéresse particulièrement aux auteurs américains. D’où vous vient ce penchant pour les USA ?
Je n’ai pas de penchant particulier pour ce pays, où je n’ai d’ailleurs jamais mis les pieds. Il se trouve que les grandes attentes, les grandes émotions de lecteur que j’ai ressenties ces vingt dernières années m’ont très souvent été procurées par des auteurs américains (du Nord comme du Sud, d’ailleurs). Je suis allé où mes goûts me portaient, dans le domaine où je me sentais le plus compétent. Et puis l’anglais s’est tellement perfectionné qu’il est devenu une langue beaucoup plus adaptée à la création, à l’expression d’un style original, que le français.
Lorsqu’on se penche attentivement sur les couvertures de vos premiers ouvrages, ils dénotent immédiatement en terme d’originalité et de présentation. Est-ce une spécificité assumée de Zanzibar ?
Oui. Mais je suis encore très loin de ce que je voudrais faire. Encore en apprentissage. La France est très conservatrice en matière de typographie et de couvertures. Tous les livres se ressemblent et l’on semble plus soucieux de respecter la charte graphique d’une collection que d’adapter sa forme au contenu de chaque livre. J’essaie de faire le contraire. L’esprit de collection est contradictoire avec celui de la lecture, qui veut toujours du singulier, de l’unique, du définitif.
Le meilleur exemple en est le Zanzibar Quarterly & CO. Un périodique qui en appelle au voyage au coeur d’un univers fait de textes, de BD, de nouvelles et d’illustrations. En somme, quelque chose de très américain. D’où vous est venue L’idée de lancer le Zanzibar Quarterly & CO ?
J’aime la forme courte. Les nouvelles. Mais, inexplicablement, ce genre n’a pas la faveur des lecteurs français. Il m’a donc fallu trouver une présentation qui force l’attention et rende ces textes désirables. Granta et McSweeney’s m’ont servi de modèles ; le second surtout, qui allie la générosité des contenus à une recherche graphique très ingénieuse. Essayez de mettre un Quarterly sur un Ipad, vous en perdrez le plus important. La beauté et l’originalité de l’objet, c’est à peu près tout ce qui nous reste pour faire vivre les livres, dans leur forme traditionnelle. Les contenus et la lecture proprement dite se passent maintenant sur d’autres supports, infiniment plus pratiques. C’est donc dans ce sens que j’ai voulu travailler. Allier la complexité de l’objet et des matières à la qualité et à la rareté des textes. Les livres n’ont jamais coûté aussi peu cher à fabriquer qu’aujourd’hui : il faut en profiter.
C’est un ouvrage d’une très belle facture, qui s’apparente à un livre d’art. Il est vendu avec un CD de Kris Saknussem. C’est une offre éditoriale novatrice pour un éditeur tant dans la conception que dans le contenu. Avez-vous des idées de développement à moyen terme pour ce genre d’ouvrage ?
Oui, beaucoup trop. Trop pour les mettre toutes en pratique avec un unique trimestriel !
Il y a une filiation entre les songwriters et les nouvelles publiées chez vous. « Unplugged America » en est l’exemple parfait. On peut lire les textes de Jim White, Rhett Miller, ou encore de Mary Gauthier. Qu’est ce vous plaît dans ce rapprochement ?
C’est un exercice de style. Voir si, lorsque vous êtes capables de faire une bonne chanson, vous pouvez aussi écrire une nouvelle qui tienne la route. J’ai récupéré un texte qui vient d’un petit éditeur américain, mais nous sommes en train de lancer une expérience identique avec des chanteurs français, ce sera Unplugged in France, en 2011.
De plus, votre maison » aime la nouvelle, le polar, le rock et fiction » (…) exposée à l’inconnu et éprise de mascarade ». Aujourd’hui quel est l’ouvrage en catalogue qui correspond le mieux à cette étonnante définition ?
Je dirais « Minuit privé », de Kris Saknussem et « La Ville et le tableau », de Robert Freeman Wexler. Ces deux livres s’inspirent de formes traditionnelles (le roman noir pour le premier et la chronique new yorkaise pour le second) mais y introduisent petit à petit des éléments étrangers qui perturbent le lecteur. Tous deux sont des prises de risque parfaitement réussies : on ne sait plus où on est, on a perdu ses repères, mais on n’en est pas moins accro jusqu’à la dernière ligne…
Aujourd’hui, Zanzibar Edition vient de fêter sa première année d’existence depuis janvier et déjà, il est évident que cette maison inspire un très bel univers éditorial. Alors on a envie d’en savoir plus. Quelles sont les nouveautés que nous préparent Laurent Blain pour les mois à venir ?
La fin d’année sera marquée – je l’espère – par la réédition des romans de Raphaël Aloysius Lafferty et des nouvelles complètes de Ross Macdonald. Tout cela est soit inédit soit indisponible depuis trente ans ! Mais il y aura aussi quelques perles comme l’autobiographie de Mark E. Smith et les stupéfiantes nouvelles de Jim Shepard.
Pour finir, quel est votre espoir le plus fou pour Zanzibar Editions ?
La partie du travail qui me passionne, c’est celle que je consacre aux écrivains. Si je le pouvais, je me ferais aider dans tous les autres domaines de la fabrication, de la promotion et de la diffusion des livres. Je passe donc beaucoup de temps à faire vivre la petite communauté d’écrivains, de traducteurs et de passeurs qui gravite autour de Zanzibar. Avec le secret d’espoir de faire naître en France de véritables écoles d’écriture, inscrites, pourquoi pas, dans le cursus universitaire de lettres modernes. On me dit que c’est une idée profondément contradictoire avec la conception française de l’écriture. J’ai tendance à penser que la conception française de l’écriture est profondément contradictoire avec notre époque.