Comment vous-êtes vous retrouvé au casting de Fauda ?
J’ai joué dans “Mon fils” d’Eran Riklis, qui avait réalisé La fiancée syrienne et Les citronniers, films dans lesquels il prône la réconciliation entre les peuples. On y voit des familles séparées pour des raisons de guerre. Je me suis vraiment reconnue là-dedans, dans ma famille et mon histoire personnelle. Cet univers me parlait donc je lui ai envoyé un petit mot sur Facebook, passé le casting, et joué dans son film. C’est là que j’ai été repérée par Hila Yuval, la directrice de casting de Fauda et elle m’a présenté aux réalisateurs de la série.
Comment expliquez-vous que cette série rallie les suffrages aussi bien en Palestine qu’en Israël ?
Je suis agréablement surprise par le succès de Fauda aujourd’hui. Malgré quelques critiques – certains ne la trouvent pas assez équilibrée – les retours en territoires palestiniens sont excellents. J’ai notamment été touchée lors de ma visite de Bethléem où beaucoup m’ont expliqué se retrouver dans l’histoire et les personnages. Fauda ce n’est pas seulement les attaques et la violence. On y voit des familles, des humains qui vivent, qui souffrent mais qui sont aussi heureux. Je pense que c’est la raison pour laquelle les gens s’y retrouvent. Fauda est aussi un grand succès en Arabie Saoudite et dans le monde arabe en général. Il est important de rappeler que cette série est une fiction et non un documentaire. Le but des auteurs n’est absolument pas de faire de la politique, encore moins celui d’une comédienne et je n’en fais pas du tout. Fauda parle de géo-politique mais nous ne sommes pas là pour en faire. En revanche, je trouve qu’elle montre un petit peu, à travers une histoire, ce que peut être la vie de famille des deux côtés du conflit. C’est la véritable force de cette série.
Fauda offre en effet des personnages profondément humains et un réalisme saisissant. Est-ce la raison de son succès selon vous ?
Des personnages réalistes car humains. Le succès de Fauda dépasse les frontières du monde arabe, c’est aussi une incroyable réussite aux Etats-unis. Les gens se reconnaissent justement car ils voient des humains à l’écran, vibrer comme ils vibrent, avoir les mêmes émotions. On est surpris de se sentir proche des personnages des deux côtés du conflit. On ne choisit pas son camp, on regarde la série et on est touché, simplement touché.
Est-ce pour cela que votre personnage, le docteur Shirin El Abed, rencontre autant de succès parmi les fans ?
Oui et c’est très étonnant, je ne saisis pas toutes les raisons du succès de mon personnage. Je pense que les auteurs ont créé Shirin pour mettre en lumière tous ces innocents qui ne veulent pas prendre part à la guerre, qui y sont forcés et qui finissent par tout perdre. Elle incarne ces personnes qui n’aspirent qu’à une seule chose : la paix. La volonté des auteurs de Fauda est de montrer que dans une guerre, peu importe dans quel camp nous sommes, si l’on y participe on perd tout. En somme, Fauda montre l’horreur d’une vengeance et d’un conflit sans fin.
Personnellement, au vu de votre histoire, vous sentez-vous proche de votre personnage ?
On me pose souvent la question de mes origines libanaises du côté de ma mère, c’est aussi la guerre en permanence. Je pense être entre deux mondes dans cette série, comme dans la vie. Mon personnage est vrai lui aussi, elle vient de France et son père est français, son histoire a été calquée sur ma vie. Ça n’était pas prévu de prime abord mais les auteurs l’ont ajouté car ils ont aimé cet entre-deux. Tant mieux, c’était agréable pour moi aussi. Pourquoi je veux défendre ces personnages là ? Parce qu’ils sont forts et fragiles à la fois, qu’ils ont une faille comme n’importe quel être humain. J’aime porter des rôles comme dans Fauda, mais je ne vais pas passer toute ma carrière à jouer des résistantes !
Fauda est la première série israélienne bilingue. Comment cela a t-il été perçu ?
Les créateurs de la série parlent hébreu, ils ont choisi de la réaliser dans les deux langues pour des raisons de réalisme. En effet, Fauda conte l’histoire d’une équipe de mista’aravims, espions israéliens infiltrés côté palestinien, les personnages parlent en arabe quatre-vingt pour cent du temps. La série n’aurait pas été cohérente uniquement en hébreu. Fauda, le titre de la série, est un mot arabe qui veut dire “chaos”. Ces soldats infiltrés utilisent réellement le mot Fauda lorsqu’ils sont en danger du côté palestinien, c’est leur signal d’alarme. J’aime le fait que le titre soit écrit en hébreu et en arabe, que les équipes soient vraiment constituées d’arabes israéliens et de juifs israéliens et que l’on n’ait pas pris les uns pour jouer les autres. Les arabes israéliens jouent les palestiniens puisque des acteurs palestiniens ne peuvent pas jouer dans une série israélienne. C’était un choix fort et important car c’est aussi ça qui donne une véracité, un réalisme à la série.
Pensez-vous que Fauda permette, avec ces multiples facettes, de mieux appréhender le conflit israélo-palestinien ?
C’est une série géo-politique, il est impossible de faire abstraction de cet aspect-là. Je ne sais pas si Fauda facilite la compréhension du conflit israélo-palestinien, ça n’est d’ailleurs pas le but. Elle permet cependant de mieux réaliser que les personnes impliquées ne sont pas des machines, de simples news dans les médias mais bien des êtres humains pris dans des mécanismes beaucoup plus grands qu’eux. Fauda n’a surtout pas vocation à expliquer qui sont les bons et qui sont les mauvais. Il ne s’agit pas du tout de dire que certains sont terroristes et d’autres sauveurs du monde mais de montrer que dans la guerre il n’y a malheureusement aucun gagnant. C’est d’ailleurs très compliqué de ne pas mélanger fiction et réalité sur un sujet qui traite de géopolitique actuelle, ce n’est pas un biopic sur un conflit passé. Fauda se passe maintenant et prend place dans un contexte très délicat.
Délicat aussi d’en parler en interview…
Oui bien entendu, il est d’ailleurs important de préciser que ce n’est pas la réalité que l’on montre. Mais comme c’est un sujet brûlant, certains s’imaginent que Fauda et ses personnages sont le reflet de la réalité mais non : c’est une histoire. S’ils regardaient une série sur des marchands d’armes ou sur les migrants, ils ne réagiraient pas de la même façon alors que ce sont les même types de problématiques. Mais le sujet de Fauda reste particulièrement épineux et douloureux.
La saison 1 est disponible partout en France en DVD et téléchargement définitif.
(Photos : Wild Side et David Zimand)