Pianiste depuis ses six ans, il est passé par le hip hop, le funk mais aussi la pop. Toutes ses expériences et les rencontres qui en ont découlées sont autant d’inspirations pour ce jazzman touche à tout. L’album Waxx Up, sorti fin novembre en version deluxe, clôt de très belle manière une trilogie originale et moderne centrée sur la voix.
Waxx Up est la suite logique de The Vox et Sing Twice, mélangeant les genres et les personnes, avec au centre la voix : comment vous est venue l’idée ?
L’idée de ce cycle centré sur la voix est apparue doucement, dès les premiers albums. Je faisais alors partie du House band de Manu Katché à One Shot Not. C’était une période importante pour moi et grâce à Manu, j’ai côtoyé énormément de chanteurs, de Joe Stone à Raphaël Saadiq. Ce sont des souvenirs fantastiques. Quelques temps après avoir arrêté One Shot Not, on se retrouve invités de l’émission et Manu me fait jouer avec la chanteuse Christelle Warren. Là j’ai vraiment un déclic, je me dis qu’il y a vraiment un moyen de continuer à jouer du jazz tout en incorporant du chant. L’album The Vox est né comme ça. Je suis sorti du monde du jazz pour mettre un tout petit pied dans le monde de la pop, c’était formidable.
Qu’est-ce qui vous a poussé à prolonger ce travail entamé avec The Vox ?
C’est OSN qui m’a réellement convaincu de lancer un nouveau cycle de trois albums autour de la voix. J’avais vraiment envie de faire ça et la victoire de la musique (avec The Vox) m’a conforté la dedans. A ce moment là j’étais un des rares musiciens dans cette scène française des années 2000 à introduire la voix dans une forme plus pop tout en gardant l’esprit et la liberté du jazz.
« Avec Ibrahim Maalouf, nous avons la même envie : ouvrir les frontières du jazz »
Votre rencontre avec Claude Nougaro vous a-t-elle donnée envie d’explorer la voix dans le jazz ?
Claude a voulu me rencontrer car il voulait revenir à un format plus jazz. Moi à cette époque là, je travaillais pas mal avec des artistes de hip hop. Lui ne me connaissait pas comme producteur mais comme pianiste, il m’a demandé de donner une couleur plus funky, plus groove à plusieurs de ses chansons. Claude était super excité à cette idée. Malheureusement il est tombé gravement malade et il est décédé quand on était toujours en studio, l’album n’a jamais pu être terminé. Malgré tout, je me souviens toujours avec beaucoup de plaisir de ma rencontre avec Claude. Ce fut un honneur d’avoir pu travailler avec lui. A son contact j’ai appris ce truc : les mots prennent vraiment de l’importance et il faut savoir les servir, trouver des astuces musicales pour rendre la chanson évidente, efficace.
Manu Katché, Claude Nougaro, votre musique semble marquée par les amitiées et les rencontres…
C’est vrai que ce n’est pas un hasard. Toutes ces rencontres, que ce soit Manu Katché ou Claude Nougaro, m’ont donné envie de me mettre au service de la voix. Que le monde de la mélodie et de la voix côtoie celui du jazz sans prendre le pas sur la musique. Dans la chanson la musique a moins de valeur, elle est vraiment en demi-teinte par rapport à la voix alors que le jazz porte plus la musique, il y a plus d’interventions, c’est plus bavard. Toute la difficulté pour moi était de réussir ce mariage là.
A ce sujet, racontez-nous votre rencontre avec Ibrahim Maalouf, lui aussi passionné par les mélanges de genres ?
Avec Ibrahim, tout s’est fait naturellement, avec une grande simplicité. J’avais envie de bosser avec lui car nous avons la même envie : ouvrir les frontières du jazz. Nous n’avons pas peur de mélanger des vieux sons d’orgues farfisa, symboles de la musique d’ascenseur, avec d’autres sonorités plus modernes. C’est une question d’ouverture, d’amour pour les mélanges étonnants, c’est faire de la musique en fait, tout simplement. Ca a été une rencontre incroyable comme l’est le parcours musical d’Ibrahim d’ailleurs. On a quand même fait une tournée de Zéniths partout en France avec un album de musique instrumentale. A moins de faire partie du milieu du jazz c’est impossible de saisir l’importance d’une telle tournée, c’est vraiment hallucinant de jouer tous les soirs devant 4-5 000 personnes avec de la musique instrumentale !
Cette rencontre humaine et musicale se ressent dans votre dernier album…
J’avais vraiment ça en tête depuis longtemps et j’ai eu envie d’aller encore plus loin dans mon délire, ma collaboration avec Ibrahim m’a poussé à aller jusqu’au bout de mes idées. On discutait souvent après les concerts, on s’encourageait, pour se rassurer. Beaucoup de gens me connaissent comme pianiste de jazz et regrettent mon évolution, mes choix. Mais c’est mon parcours et j’en suis fier parce que j’évolue. J’ai eu la chance de commencer très jeune et j’ai toujours eu peur de tourner en rond. 30 ans à jouer la même chose, c’est long. Pour moi la musique c’est rebondir, trouver de nouvelles choses, et avancer, c’est ma perception de la musique.
Quel est le nouveau thème que vous voulez explorer ?
Peut-être un nouveau cycle de trois, j’ai envie de revenir au format acoustique, de rejouer du piano. Ca fait très longtemps que je ne joue que du Fender Rhodes et je pense être allé au bout de mes idées avec ça. Je veux revenir à à une formule plus ancienne : contrebasse, piano, guitare mais avec une écriture toujours moderne, mélodique, où l’acoustique et l’improvisation prennent le dessus. J’ai toujours eu comme influence Herbie Hancock. On parle souvent aujourd’hui de Robert Glasper et de son inspiration hip hop. J’aimerai faire se rencontrer ces univers avec celui de Nat King Cole. Avec Waxx Up on finit le cycle de la voix d’une superbe manière, je veux à nouveau prendre le contrepied et partir dans une toute autre direction, j’aime cette contradiction.
(Photos : Philip Ducap).
Eric Legnini
Waxx Up ( Deluxe Edition )
Lire aussi dans nos interviews jazz :
François Poitou : Funambule, un album aéré et suspendu
Marialy Pacheco : la pianiste cubaine qui porte fièrement sa féminité musicale