Pouvez-vous nous donner en quelques mots la définition de Callipolis ?
C’est un mot Grec qui vient que lon trouve chez Platon et qui désigne la «cité heureuse «
D’où vous est venue cette idée de créer Callipolis ?
L’idée a germé en fait pendant les représentations du «Dernier Contingent» à cause et provoquée par les discussions avec les lycéens et les adultes, bref l’ensemble des spectateurs rencontrés chaque soir après le spectacle et ce constat doublé de cette sensation indescriptible que j’avais d’une rupture de pensée selon que les gens étaient jeunes ou qu’ils étaient adultes . Cela abouti à la décision d’un spectacle sur «L’utopie» et la question des Utopies aujourd’hui . Celles des jeunes gens. Dabord la question elle même m’a valu de longues semaines et mois de lecture des ouvrages de la philosophie et de la littérature. Puis après avoir dessiné comme souvent je fais pour mes créations ce que serait le spectacle. Comme on me disait que la vision que j’avais de la jeunesse dans « le dernier contingent» était sombre, je répondais : nous sommes sombres et nous les enfermons dans des séries de dispositifs dont ils ne cherchent qu’à s’échapper parce qu’ une cage n’est pas faite pour un homme et encore moins lorsque l’adolescent le champ des possible devrait s’étendre à perte de vue . Alors je suis allé pour le vérifier presque le prouver, je suis allé à la source de la pensée des jeunes gens. J’allais avec l’accord bienveillant des personnels enseignants des établissements, en compagnie d’une dramaturge a la rencontre des lycéennes et lycéens de la région Pyrénées devenus le «biotope» de cette enquête que je voulais mener.
Au résultat je me suis exclusivement consacré aux interviews (2nd 1ère et Terminale) qui sont devenues une somme d’enregistrements assez considérable sur leur sentiment du monde dans lequel ils vivent, leur espérances et projets de vies, la pensée de notre vie celle de leurs parents, leur projection dans un monde à construire et l’invention de leurs propres utopies.
Quel rapport entretenez-vous avec l’utopie, Jacques Allaire ?
Je crois l’utopie fondatrice de tout acte de création au même titre que le rêve, si ce n’est que l’utopie contient elle la critique de son temps dans son imaginaire, tandis que le rêve peut aisément n’être qu’une simple distraction.
On n’emprisonne pas les rêveurs mais les utopistes ont eux à de très rares exceptions toujours été emprisonnés ou éliminés . Aujourd’hui les démocraties libérales à défaut de pouvoir punir font précisément passer le utopistes pour des rêveurs ce qui signifie dans leur pensée: « des inutiles » .
« On n’emprisonne pas les rêveurs mais les utopistes ont eux à de très rares exceptions toujours été emprisonnés ou éliminés ». Jacques Allaire
Comment l’idée a t-elle germé de créer une pièce dans une salle de classe ?
Tout simplement c’est une commande comme tous mes spectacles . J’ai répondu à l’invitation qui m’était faite par Marie – Claire Riou qui m’a proposé d’être artiste associé au Parvis Scène Nationale de Tarbes – Pyrénées qu’elle dirige . Nous avons discuté de nos préoccupations communes . Je lui ai fait part de cette question qui me taraudait durant les représentations du Dernier Contingent dont elle était déjà coproductrice et elle m’a alors proposé de créer un spectacle sur cette question de «l’Utopie» dans les lycées les collèges et les classes. Son équipe a ensuite accompli un travail absolument remarquable pour d’une part rendre possible les interviews et d’autre part pour porter la production et permettre ainsi au spectacle de voyager et partir à la rencontre des lycéens . Ainsi sur cette seule saison 40 représentations ont déjà eu lieu uniquement dans les établissements du territoire de Tarbes, Pau, Lannemezan, Lourdes … Le spectacle sera en tournée les saisons prochaines en région et aussi nous l’espérons en France et au delà . Un calendrier est déjà en cours d’élaboration
La salle de classe est pour moi le lieu par excellence de la pensée ou disons le lieu où la pensée pourrait s’exercer alors que la classe est souvent réduit à un unique lieu de transmission du savoir ou d’éducation et aujourd’hui un endroit de validation par notation . Je désirai ramener et transformer la classe afin qu’elle redevienne ou soit le lieu de l’exercice de la pensée . C’est aussi une constante, une obsession … (je le realise avec cette question) de mes spectacles il y avait une salle de classée reconstituée dans «la liberté pour quoi faire ? « Et aussi à la fin de «Les damnés de la terre «
Vous avez choisi deux comédiens qui jouaient dans le Dernier Contingent. Comment avez-vous fait ce choix afin qu’ils se glissent dans cette pièce immersive ?
J’ai mis un long temps pour «Le dernier Contingent» mon précèdent spectacle à chercher et rencontrer les 6 merveilleux jeunes comédiens qui l’ont joué et j’avais le désir de poursuivre avec eux . Maus il n’y avait que deux rôles… Ainsi j’ai choisi d’engager Chloé Lavaud et Valentin Rolland parce qu’ils correspondaient parfaitement à cette possibilité de jeunes gens aujourd’hui et qu’il y avait suffisamment de différence entre eux pour donner vie au deux personnages qu’il me fallait écrire à partir des interviews. Une fois encore ce sont de magnifiques comédiens que j’aime et qui ont appris à parler «ma langue «, ils connaissent ma terre de théâtre, accepte mon exigence et nous travaillons librement et précisément à ce que nous cherchons sans être encombrés par les questions «psychologiques». Il est ainsi naturel pour moi de travailler avec eux . Ils sont une nouvelle fois fantastiques .
Quel est l’accueil des élèves sur des textes dont la matière première est constituée de leurs mots, leurs idées et leurs pensées ?
La plupart des représentations ils ne comprennent pas qu’il s’agit d’un spectacle. Ils sont stupéfaits , sidérés aussi par le niveau de reconnaissance : celui des corps de la langue et de la pensée.
Une pensée dont ils entendent les mots et qu’ils voient se déplier devant eux avec l’insolence de la liberté comme étant la leur.
Alors leur réaction : c’est d’être eux même et d’inter-agir avec Chloé et Valentin qui sont pour le spectacle Lycéens comme eux. C’est tellement vivant et surprenant qu’ils croient le texte complètement improvisé . Puis suivent discussion et échange: ils disent être heureux, ils disent «est-ce nos parents pourront voir ce qu’on pense» ; ils disent «est-ce que les politiques viendront voir ce que l’on pense … ». C’est un spectacle comme une agora devenu au fur et à mesure des représentations comme le drapeau d’une pensée (qu’on se plaît à croire inexistante ) et dont le voix se fait tonitruant et joyeuse d’être entendue .
Callipolis leur restitue d’une certaine manière le temps et l’espace de l’acte de penser en même temps que le partage de cette pensée .
Est-ce que Callipolis est-il la mise en forme en mots et en scène de cette «rupture de pensée» des jeunes dont vous parlez ?
Je pense que oui . On assiste à une pensée du monde qui n’est pas la nôtre. Ils nous regardent d’ailleurs, nous leur parents, avec amour certes mais avec désolation.
Quel est le rapport entre les philosophes de l’utopie dont vous parlez et la « source de pensée» de ces jeunes?
Durant les deux mois de l’année 2016 que j’ai interviewé les lycéens j’ai compris que le poids historique des penseurs de l’utopie condamnerait le spectacle au lieu de le servir si j’y faisais référence .
Et aussi que la comparaison n’aurait aucune valeur ou serait du fait de la notoriété des utopistes morts une condamnation et à nouveau une spoliation de la pensée des jeunes gens . Il n’y avait pas à justifier, ni les justifier, ni les ramener à un schéma éducatif .
Il fallait faire le pari d’une pensée en train de se faire et ne se consacrer qu’à celle ci et pour y parvenir créer les conditions de possibilité de la pensée en acte et ne produire aucun commentaire . Se plier à une discipline d’entretien socratique mais sans ironie. Nous avons donc exactement et totalement retranscrit la somme des entretiens (cest une des règles que je me suis imposé). Cette somme est devenu le matériau, puis la matière d’un texte que j’ai écris seul sur un long temps. Puis a suivi lent travail de répétition et l’écriture sur mesure pour l’espace salle de classe. Il s’agissait de respecter et restituer la pensée et la langue et inventer «Chloé et Valentin» – les personnages ont avec leur accord le noms des comédiens devenus les «modèles» comme on dirait en peinture.
Au bout du compte c’est ce que j’espérais une fiction sociologique et documentaire d’une pensée en train de se faire, la fiction des interviews de cette maieutique faite avec les lycéens sur leur vies, la vie de leurs parents, le politique et l’utopie. Je n’ai travailler à restituer que ce qui leur appartenait en commun , leur pensée commune je veux dire, et ca parceque je suivais un protocole stricte (sociologique et philosophique ) de questions toujours les mêmes et dans le même ordre et les interviewant seul ou par deux ou trois maximum.
Y-a-t-il des passerelles ou sont-elles totalement éloignées ou différentes ?
Il y a des ressemblances et des dépassement évidents mais surtout Toute utopie est utopie de son temps.
Callipolis est une Utopie de notre temps . Au même titre que l’on été pour leur temps toutes celles qui les ont précédées. Il n’y a pas de pensée figée . Penser est un verbe cest a dire un acte . Callipolis est l’acte de penser de ces jeunes gens dans le temps d’aujourd’hui et ils opèrent le travail essentiel de la philosophie quant bien même ils ont entre 14 et 18 ans. Et ça a aboutit à ce dont j’avais la sourde intuition : une espérance en même temps qu’une critique, un double portrait, celui de ces jeunes gens de 14 à 18 ans et en creux nôtre.
Avez-vous dans ce travail considérable décelé un fil rouge et une trame commune dans le schéma de pensée de ces jeunes?
Difficile de résumé sans caricarturer. Pour dire cela de façon brève il n’y a quasi pas d’utopie science fictionnelle dans les réponses et les constructions qu’ils ont inventés . La critique structurelle de la société actuelle est totale et il semble dépasser dans leurs propositions. Mais ce serait trop long à énumérer
En quoi ce spectacle est-il une agora ?
Il faut dire que le spectacle se joue pour deux classes donc pour 60 à 70 élèves dans une salle de configuration classique et se transforme littéralement. L’espace est transfiguré : les murs et le sol sont maculés d’écriture et de dessins et la parole circule elle des acteurs aux lycéens, je pourrai même dire entre lycéens . Chloé et Valentin sont absorbés et font eux même nombre . Il s’agit de fait d’une agora qui se poursuit après même la fin de la représentation .
Pour finir, est-ce que cette pièce est-elle une ode à la jeunesse après avoir été un champ d’étude ? Avez-vous confiance en cette jeunesse avec laquelle vous avez travaillée ?
Une ode à la jeunesse je ne sais pas… peut être ou faudrait-il dire «une Ode de la jeunesse «. Il n’ont pas besoin de ma confiance, ils ont besoin de pouvoir inventer le monde et d’y inventer leurs propre destination sans toujours devoir se soumettre aux diktats pretentieux de notre epoque qui se pose comme un sommet d’évolution lorsque nous ne sommes jamais qu’un temps historique appelé nécessairement a être dépassé, comme tout temps historique . C’est le sens de cette création.
CALLIPOLIS (une utopie)
Spectacle de Jacques Allaire
Avec Chloé Lavaud, Valentin Rolland
Assistant Franck Gazal / Dramaturge Olivia Barron
Production déléguée Le Parvis scène nationale Tarbes Pyrénées
Une fiction sociologique et documentaire sur une pensée en train de se faire à partir d’interviews de lycéens sur leur vies, la vie de leurs parents, le politique et l’utopie. Un double portrait, celui de ces jeunes gens de 14 à 18 ans et en creux le nôtre. Une espérance en même temps qu’une critique , ainsi que le sont toutes les pensées de l’utopie .
Contacts Production Diffusion
Le Parvis scène nationale Tarbes Pyrénées
( crédit photo Licino Da Costa )
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