Tënk : une plateforme de documentaires d’auteurs à la demande

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Par Romain Rougé – Née cet été, la plate-forme digitale Tënk et son offre de films documentaires d’auteurs ont aiguisé notre curiosité. L’automne sonne la rencontre avec Pierre Mathéus, le directeur général qui veut réveiller « la belle endormie », soit ranimer l’intérêt pour ces œuvres singulières.

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Pouvez-vous nous présenter, en quelques mots, la plate-forme Tënk ?
Le principe de Tënk est simple et nouveau : proposer sur internet des films documentaires d’auteurs sur abonnement. La comparaison est souvent utilisée à juste titre avec Netflix : pour 6 euros par mois – avec le premier mois à un euro – ou 60 euros par an et sans engagement, nous proposons à nos abonnés un choix de plus de 70 films documentaires d’auteurs sans cesse renouvelés.
Chaque vendredi, une dizaine de nouveaux films font leur entrée sur le site et restent accessibles pour deux mois. Un seul mot d’ordre : la qualité des documentaires choisis. Nous voulons nous différencier de ce que propose la télévision, des contenus qui manquent à nos yeux d’audace et qui ne prennent plus de risques depuis longtemps. Notre programmation est élaborée par des professionnels du documentaire d’auteur avec qui nous sommes en contact étroit. Ces derniers nous font part de leurs coups de cœur, nous aiguillent sur les documentaires à ne pas laisser passer.


Comment est née l’idée de Tënk ? Quelles ont été les étapes de la création de la plate-forme ?
Il y d’abord eu une grande envie, une conviction un peu folle que le moment était propice pour bousculer, chambouler le réel. C’est passé par la création de cette nouvelle plate-forme dédiée au documentaire. Ici à Lussas (où a lieu les Etats généraux du film documentaire, ndlr), depuis plus de trente ans, le souffle de la création documentaire trouve un lieu pour s’exprimer et des personnes pour l’incarner. La création de Tënk est donc pour nous une suite logique, elle s’inscrit dans le désir de partager encore et toujours notre passion pour le documentaire d’auteur. En 2015, nous avons lancé un appel sur Ulule, qui nous a permis de lever les fonds nécessaires pour pouvoir nous lancer dans l’aventure. Depuis le 15 Juillet 2016 nous sommes opérationnels. Vous pouvez vous abonner et découvrir, chaque semaine, les dix nouveaux films documentaires dénichés par nos programmateurs.


Vous qualifiez la plate-forme de « projet politique ».

D’après vous, est-ce une nécessité aujourd’hui de « politiser » les citoyens à travers des documentaires que vous proposez ?


Si vous entendez par « politiser » le fait d’éveiller une conscience, ou plus modestement de nourrir notre regard sur le monde, le changer, lui donner plus de champ, alors oui, nous pensons que c’est une nécessité.
Avec Tënk nous participons à nourrir les questionnements, à donner envie d’en apprendre toujours plus sur l’Humanité, sur nos manières de vivre et sur notre rapport aux autres. Notre vocation est d’interpeller le spectateur, de l’intriguer et de le bousculer dans ses convictions. Et même si nous n’avons pas la prétention de changer le monde, changer notre regard sur ce monde serait déjà beaucoup !


« Notre vocation est d’interpeller le spectateur, de l’intriguer et de le bousculer dans ses convictions »

Tënk, le nom choisi pour la plate-forme, est un mot wolof qui signifie « résume-moi ta pensée ». D’après vous, le citoyen d’aujourd’hui a-t-il du mal à l’exprimer ? Pourquoi ?


Je ne dirais pas qu’on rencontre une difficulté à s’exprimer aujourd’hui, mais plutôt qu’il existe une très grande diversité et une multiplicité des supports possibles d’expression, au risque de devenir inaudible pour qui souhaite se faire entendre. C’est pour cela que la création documentaire incarne pour moi une forme d’expression idéale. A une époque d’uniformisation de l’information, où l’image est omniprésente, où tout va vite, le documentaire d’auteur laisse le champ libre à l’interprétation. Et donc à la réflexion.



Les documentaires et les films d’auteurs, comme vous le dites, sont un peu l’apanage des festivals et des initiés. Comment envisagez-vous d’intéresser le grand public à votre plate-forme ? Quels objectifs vous êtes-vous fixés ?
C’est justement pour cela que nous avons créé Tënk ! On s’adresse à ceux qui aiment le documentaire certes, mais nous voulons aussi aller chercher d’autres publics, qui vont nous connaître par le biais des partenariats que nous avons tissés, en dehors des limites de la sphère documentaire. Par exemple, nous avons Mediapart, Arrêt Sur Images et Alternatives Economiques comme partenaires. Via leur abonnement à ces sites, de nouveaux publics viennent à nous, sans forcément être attirés par le documentaire à l’origine mais en souhaitant creuser un sujet. Ces sites leur proposent d’aller sur Tënk où, justement, notre programmation peut faire écho à leur curiosité.
Nous sommes aussi en train de développer des partenariats avec les écoles d’art ou encore de cinéma : autant de pistes qui vont nous permettre enfin de décloisonner le film documentaire !


Concrètement, quels types de documentaires allons-nous trouver sur cette plate-forme ? Est-ce qu’il y a des sujets qui vous tiennent particulièrement à cœur ?

Les documentaires sont choisis par des professionnels qui, de part leur métier et leur passion, ont vu énormément de films et continuent à en découvrir en parcourant les festivals… Ensuite, l’équipe éditoriale constitue chaque semaine une programmation qu’on va pouvoir retrouver dans des « plages » thématiques intitulées « Coup de cœur », « Histoire et politique », « Ecoute », « Ecologie », « Fragments d’une œuvre », « Brouillon d’un rêve », « Festivals », « Cité », « Docmonde », « Premières bobines » et « Arts ». Les documentaires sont sélectionnés pour leur qualité. De toutes origines et époques, de documentaristes connus ou moins connus : ce seront des contenus quasi-exclusifs, des films de patrimoine qui tranchent avec l’offre « mainstream ».
Même si nous classons ces films par plage, on ne peut pas dire que nous avons des sujets de prédilection, car sur Tënk, c’est l’œuvre entière qui compte : la forme, le montage, la narration, le regard de l’auteur, plus que le sujet seul.
À l’avenir, nous souhaitons nous positionner également sur tous les sujets, élargir nos plages actuelles en ajoutant par exemple la jeunesse et la science.



« A nous de révéler des publics qui s’ignorent et ignorent tout du documentaire d’auteur ! »


Vous insistez beaucoup sur cette notion de « réel ». Mais quelle est la différence entre un documentaire d’auteur et une autre œuvre relatant cette « réalité » (reportage vidéo ou papier, magazine, etc.) ?


Le documentaire documente donc instruit. Contrairement à l’information, qui elle, donne des nouvelles du monde. Pour un auteur de documentaire, trouver son sujet, le tourner, le monter, réussir à le produire peut prendre plusieurs années. Ces contraintes inhérentes au documentaire sont aussi sa force : l’œuvre devient alors une pensée à plusieurs pour donner un objet en léger décalage avec l’immédiat.
La télé veut toujours le même ton, car elle sait ce qui marche ou ne marche pas. Elle montre aux gens ce qu’ils aiment (guidés par les résultats de Médiamétrie). Alors qu’à Tënk nous faisons le pari de vouloir montrer aux gens ce qu’ils pourraient aimer.

Est-ce qu’aujourd’hui, selon vous, la reconnaissance et la « médiatisation » de ces documentaires passe forcément par le canal numérique ?
Le documentaire n’a pas attendu l’ère numérique pour être connu et plébiscité par le grand public. Dès le début des années 90 et notamment avec la création d’Arte, il a connu son âge d’or avec des programmations audacieuses et assumées.
Aujourd’hui, devant l’abandon des chaînes télé à l’égard du documentaire d’auteur, la voie est libre pour souffler sur les braises et réveiller la belle endormie… A Tënk, nous ne souhaitons rien de plus qu’ouvrir les fenêtres numériques pour laisser entrer la lumière des œuvres. Et en cela les rendre accessibles à des milliers de personnes qui ignorent jusqu’à l’existence de ces œuvres. A nous de révéler des publics qui s’ignorent et ignorent tout du documentaire d’auteur !


De nos jours, les plates-formes comme les vôtres ou les médias indépendants se développent grâce au crowdfunding. Vous avez vous-même fait un appel aux dons via Ulule. Quel regard portez-vous sur ces nouveaux modes de financements ?


Nous avons lancé un appel sur Ulule en 2015 et cela nous a réellement permis d’aller au bout de l’aventure. Le crowdfunding est vraiment une opportunité pour tester si une idée, un projet, recueille le soutien d’un public. Pour notre campagne, le montant récolté a été aussi important que le nombre de contributeurs. Avec près de 1000 contributeurs qui nous ont rejoint en deux mois, nous nous sommes dit qu’il y avait une réelle attente, que notre projet répondait à une envie d’un public latent.
Parallèlement, heureusement que des institutions et des collectivités nous ont aussi accompagnées. Nous ne serions pas nés sans leur aide. Mais je vois aussi les limite du crowdfunding, dans la mesure où il risque de déresponsabiliser les institutions qui aident les projets culturels à naître et se pérenniser.


Avez-vous un documentaire en particulier que vous conseilleriez au néophyte, de manière à donner envie au public de se connecter sur Tënk ?


Question difficile ! Nous sommes justement en train de travailler sur notre nouvelle programmation du mois de novembre, et donc si vos lecteurs avaient l’envie d’aller voir un film sur Tënk, je leur conseillerais Le Glaneur et la glaneuse d’Agnès Varda, qu’ils trouveront dans notre plage « Ecologie », dès le 28 octobre. C’est pour moi un grand film, d’une cinéaste reconnue, qui aborde avec poésie et humour la question de la surconsommation. Vous verrez un documentaire surprenant, dans sa forme, hétérogène, et très personnel… Vous ne verrez plus les pommes de terre du même œil après avoir vu ce film !
Mais je vous conseille également River Rites de Ben Russell, dans notre plage « Fragments d’une œuvre ». Le temps d’une bobine de caméra 16mm, Russell filme des enfants et des jeunes qui s’amusent dans les eaux d’une rivière du Surinam. Projetés à l’envers et accompagnés par une bande son rock et répétitive, les gestes du quotidien prennent une valeur de rythme pur et deviennent une véritable danse. Un documentaire fascinant de poésie et de beauté, qui sera sur Tënk dès le 18 novembre.
Et je ne peux qu’encourager vos lecteurs à aller faire un tour sur notre site en novembre car nous proposerons, pendant toute la durée du mois du film documentaire, un film à regarder gratuitement sur Tënk.fr.

Tënk : plate-forme digitale de films documentaires d’auteurs
www.tenk.fr

A propos de Pierre Mathéus : Economiste, spécialisé dans les projets de développement territorial, Pierre Mathéus est depuis 2013 le coordinateur du Village documentaire de Lussas. Il participe à la définition et la mise en œuvre de projets collectifs au sein de ce pôle culturel entièrement dédié au documentaire d’auteur. C’est ainsi qu’avec l’appui de 64 professionnels, la SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) Tënk a été créée.

( Credit image -Laurette Iragne )

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