Bruno, pouvez-vous nous parler de votre rapport à la Guerre d’Espagne ? Car on croit savoir que ce n’est pas votre premier ouvrage sur ce sujet.
Depuis trente ans, je m’intéresse à la guerre d’Espagne, depuis ma rencontre avec Gema, ma compagne, dont le père avait combattu contre Franco en 36. Cette tragédie m’a toujours parue injuste pour le peuple espagnol, j’ai voulu comprendre et à l’époque j’ai lu tout ce que je trouvais sur le sujet. Je déroulais l’écheveau et je découvrais les mécanismes implacables qui sont venus à bout de la république. L’envie de liberté de la classe laborieuse mettait en péril les possessions du grand capital mondial et ne réjouissait nullement Staline pour qui le modèle Espagnol de Communisme libertaire n’était pas acceptable… L’espoir, comme le nomme Malraux, c’est celui de transformer réellement la société, de la rendre plus équitable. Bref, ce bel été 1936 me subjuguait et j’écrivis ma première BD, Ermo, l’histoire des anarchistes Catalans vue aux travers des yeux d’un enfant et ceux d’une troupe de cirque, genre de conte politique basé sur le réel et emprunt de poésie et de mélancolie… Depuis 2006, il y eu 6 tomes, se déroulant pendant les 5 premiers mois du conflit.
Pourquoi avoir choisi d’évoquer la Guerre d’Espagne sous le prisme des souvenirs d’une vielle dame au crépuscule de sa vie que sa fille tente de déchiffrer ?
C’est une réflexion plus profonde que pour Ermo, où je décris le quotidien des gens pendant une période historique. Pour Dolorès, il s’agissait de faire un parallèle entre mémoire collective et mémoire personnelle et le travail pour ne pas oublier. Les maladies comme Alzheimer, ressemblent, à beaucoup d’égards, à la mémoire collective qui risque de s’effacer si nous ne faisons pas un véritable travail de recherche et d’archivage.
En plaçant le récit de nos jours, je voulais amener le lecteur à se poser lui même les questions sur notre époque, le regard sur le passé doit enseigner pour l’avenir.
Vous avez également cherché à lier dans votre récit la Guerre d’Espagne aux événements actuels des mouvement sociaux – on pense à l’émergence du parti Podemos – dans l’Espagne d’aujourd’hui ? De quelle façon cela s’est imposé à vous ?
Ma façon de travailler pour écrire le scénario n’est pas habituelle. C’est un reportage fiction-réel ! J’ai en premier lieu, inventé des personnages et une situation de départ… Ensuite je me suis glissé dans la peau de mon héroïne et je n’ai fait que marcher dans ses pas. Si je parle de Podemos et des mouvements sociaux d’aujourd’hui ce n’était pas prévu initialement dans le scénario, mais j’écrivais ce récit à Madrid en Mai 2015 et j’ai simplement décrit ce qui se passait au quotidien, mes rencontres, la rue, les places, les évènements, tout ce que je vivais la journée devenait les éléments de mon scénario… Mais aujourd’hui tout me parait logique, c’est les photographies des deux époques comparées.
Pourquoi ce choix d’un ton uniforme dans le coloriage sans distinction d’époque, d’espace ni de lieux ?
Le choix de la couleur, c’est plutôt un non choix, je ne voulais pas favoriser une époque par rapport à une autre, le bistre me paraissait convenir à l’idée de souvenirs…
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos rencontres qui sont devenues des personnages de votre bande dessinée ?
La première semaine passée à Madrid fût une semaine de doute, je n’arrivais pas à écrire, il ne se passait rien d’intéressant. La rencontre avec Nestor fût décisive. Il me fit confiance et commença le récit de sa vie, mes notes devenaient le scénario et mes croquis se transformaient en pages avec une facilité incroyable. Notre relation était forte et intense et lors de mon départ pour la France nous bûmes un dernier verre les larmes dans les yeux… Puis il y eu d’autres rencontres, comme celle d’Hellia, dont l’enfance me rappelait par certains côtés celle d’Ermo… Une femme formidable dont l’histoire à elle seule mériterait une BD complète. La plupart du temps ce fût des rencontres avec de belles personnes… Dolorès n’aura pas de suite mais je me promets de retourner les voir.
La mère de Nathalie n’incarne t-elle pas quelque part la transmission de souvenir lorsque la grande Histoire se mélange avec l’histoire personnelle. Plus précisément, est-ce que la fin de vie de Dolores ne représente t-elle pas le risque que les souvenirs de cette époque ne survivent pas avec les jeunes générations ?
C’est exactement ça, la BD Dolorès est pour moi comme une bouteille à la mer… Car attention, dans quel monde voulons -nous vivre ? Le passé doit être un modèle d’erreurs à ne plus commettre pour l’avenir.
Selon vous, quelle est la chose essentielle que Nathalie apprend de ce parcours initiatique en Espagne ?
Nathalie apprend surtout à aller voir ailleurs et à ouvrir les yeux sur son époque. Mais c’est aussi la relation avec sa mère qui lui apparait differente et plus intense.
Quel regard portez-vous sur l’Espagne d’aujourd’hui, Bruno Loth ?
J’ai un grand espoir en la jeunesse espagnole. Il y a eu des avancées contre la corruption par exemple et cela a mobilisé et uni les gens. En France, le mouvement Nuit Debout pourrait être ce mouvement fédérateur, mais les vieux hommes politiques ont plus d’un tour dans leurs manches pour conserver le pouvoir… Et la question que je me pose : aurons-nous la possibilité de transformer notre société (en France ou en Espagne ou ailleurs) où la finance est devenue le maître incontestable ?
Personnellement, je ne crois plus aux hommes politiques des partis traditionnels, je souhaite un renouveau de tout ça, une démocratie directe.
Quels sont vos futurs projets graphiques ?
D’autres projets avec mon éditeur, La Boite à Bulles, qui sait encore être un éditeur engagé, pour la défense du livre et de ses auteurs…
En fait, il est un peu trop tôt pour moi pour évoquer mes projets actuels, mais je peux vous dire que je travaille avec un scénariste pour la première fois, et que c’est une experience intéressante et agréable…
Dolores
Editions la Boîte à Bulles
Scénariste et dessinateur :
Bruno Loth
Le site de Bruno Loth
www.libredimages.fr