Entretien du dimanche avec Philippe Duboé-Laurence, directeur commercial aux éditions Leméac.
Vous avez décidé de vous installer à Montréal au printemps dernier? Est-ce l’amour de l’hiver ?
Philippe Duboé-Laurence : Très juste mais enlevez « hiver »…
À vrai dire, je connaissais déjà un certain nombre de Québécois qui, tous, m’avaient bien prévenu des nombreuses particularités auxquelles je devais m’attendre à mon arrivée à Montréal. Effectivement je suis très surpris mais c’est de ne pas sentir ces différences. Peut-être cela viendra après mon « initiation », il ne faut jurer de rien.
En revanche, la qualité des relations humaines est bien plus évidente qu’à Paris. Tout est plus simple, moins alambiqué et surtout moins agressif. Mais les Français ne sont pas si épouvantables que ça ? Rassurez-moi !
Non. J’avais lu quelques livres de Ducharme, d’Anne Hébert évidemment, et je connaissais le nom de Michel Tremblay. En fait je connaissais, sans les avoir lus, les auteurs publiés chez des éditeurs français. Mais comme vous le constatez, j’ignorais tout de cette littérature.
À vrai dire, j’imaginais une littérature trop axée sur son particularisme, ne s’occupant que de son autonomie par rapport à la littérature française. Vous voyez comme j’ignorais tout. Je constate, depuis mon arrivée, qu’elle est bien vivante et surtout très diverse, qu’elle est influencée, elle aussi, par des courants américains, caraïbéens mais aussi européens.
Aujourd’hui, à chaud, quelle est votre perception de la littérature québécoise, sa singularité, ses forces / ses faiblesses ?
Je dois préciser que mon expérience « québécoise » est toute récente. Je ne peux pas avoir d’affirmations définitives sur cette littérature. Ce que je ressens c’est un foisonnement, une profusion de jeunes auteurs qui veulent raconter des histoires, comme leurs aînés, et non pas les autofictions chères aux auteurs français. Cela dit, tout existe. Autre singularité, c’est l’incroyable richesse du domaine théâtral et depuis longtemps. C’est un domaine déshérité en France et un bouillonnement au Québec.
Diriez-vous aujourd’hui que la littérature québécoise est une littérature francophone parmi d’autres / qu’elle est une littérature américaine parmi d’autres ?
Je pourrais bien évidemment la définir par le terme de littérature américaine d’expression française, ce qu’elle est à coup sûr. Mais je ne la ressens pas comme cela. Toutes les influences s’y retrouvent, il y en a pour tout le monde. Mais n’est-ce pas là l’objet de la littérature : exprimer la singularité de ses auteurs, au Québec comme ailleurs ?
Quel est l’intérêt de se définir par opposition à une autre littérature ? Que l’on combatte l’omniprésence ou la suffisance d’une littérature était justifié mais cela a déjà été fait par la génération précédente. Chaque auteur québécois, du moins ceux qui ont quelque chose à nous dire, nous entraîne dans un univers qui est le sien. Pas besoin de vouloir s’opposer, et à qui d’ailleurs ?
Je crois que malheureusement, dans le passé, le fait de vouloir être classé comme littérature spécifique a provoqué beaucoup de malentendus en Europe, particulièrement en France. Un écrivain belge ou suisse se sent avant tout écrivain sans se revendiquer forcément le représentant d’une littérature à protéger du parisianisme. La France ayant toujours eu l’habitude de s’attribuer tout ce qui parle ou s’écrit en français, l’origine des auteurs n’y a pas d’importance. Mais est-ce si important pour un auteur de se définir québécois, belge, suisse ou français ? Il a son monde, voilà ce qui nous importe et si ce monde est québécois, il nous le fait connaître, aimer ou détester c’est selon…
Je ne remets pas en cause l’identité québécoise ou autre. Ce que je veux expliquer c’est l’attitude du lecteur français, ce qui n’est pas lui donner raison. Il est comme ça et si l’on veut être lu en France autant le savoir.
Vous avez quitté le groupe Gallimard doté d’une longue expérience. Comment résumeriez-vous ce que vous en avez principalement retenu ?
C’est de ne pas s’occuper uniquement du goût du jour. Publier ce que l’on croit «bon ». Et tout faire pour permettre à chaque livre de trouver son lectorat.
Un premier roman ou un roman très littéraire, expérimental, ne peut pas espérer un public très large. En revanche nous nous devons de toucher les 300 lecteurs au Québec qui peuvent s’y intéresser. Et pourquoi pas, c’est notre but, augmenter ce lectorat. Ceci dit, tous les titres ont une vie différente, à nous de la prolonger.
Leméac est une maison où la notion de fonds, non seulement existe, mais est essentielle, comme chez Gallimard. La maison vit par ses auteurs, ce qui semble évident et immuable, mais aussi pour ses auteurs, ce qui est la moindre des choses.
Comment définiriez-vous, de votre point de vue, la spécificité de Leméac par rapport au milieu éditorial québécois ?
Mon arrivée est trop récente pour me permettre de juger ce qui se fait ailleurs. Mais l’image de Leméac doit être corrigée : on en fait une maison traditionnelle de grande qualité littéraire et classique, ce qu‘elle est heureusement toujours, mais cette qualité littéraire se retrouve chez quantité de jeunes auteurs, sa rentrée littéraire 2009 en étant la preuve éclatante.
Quels sont vos objectifs précis à votre poste de directeur commercial ?
Développer la maison en respectant sa personnalité, aider les auteurs à trouver le plus grand lectorat possible et pénétrer enfin les marchés francophones à l’extérieur. Cela existe déjà puisque nous avons des accords de coédition avec Actes Sud, mais notre but c’est d’accroître la présence de nos auteurs sur ces marchés. Et nous y arriverons.
Je parle ici d’édition littéraire. Bien sûr il existe des moyens de « provoquer » un succès commercial, à quoi serviraient les services commerciaux et marketing des grandes maisons. J’ai en tête le lancement du premier roman d’Hédi Kaddour, Waltenberg, chez Gallimard. Livre touffu, réservé a priori à un public « averti ». Le service commercial s’en est emparé après une lecture enthousiaste. Les attachés de presse aussi. On décida véritablement d’en faire un succès. Le faire savoir d’abord, le faire lire et apprécié ensuite. Les libraires ont fait de même, le public a suivi. Je vous parle là de succès mais combien de bons livres n’ont pas eu, malgré les efforts, la réussite escomptée.
Au Québec la situation est la même. Un grand livre lu avec enthousiasme chez Leméac, des journalistes passionnés par le roman et des libraires qui décident de s’emparer du livre et d’en faire un succès : voilà ce qui explique la belle carrière de La foi du braconnier de Marc Séguin. Michel Tremblay, lui-même, ne manque jamais de rappeler l’importance des libraires qui soutiennent ses livres, avec le succès que l’on sait.
Malheureusement non, comme on le sait bien. Mais le succès d’un beau livre est la part la plus passionnante de notre métier, celle qui console des échecs. Et puis le fond d’une maison littéraire se constitue année après année. Certains livres ont une carrière plus longue à se dessiner mais rencontrent peu à peu leur public. Une maison d’édition se doit de faire exister ce fonds, elle y a même tout intérêt .
Selon votre expérience, quelles sont les composantes indispensables pour qu’un roman remporte un succès public ?
Un livre, un auteur, un éditeur, des journalistes et des libraires pour le faire connaître. Après le public suivra ou pas. Comme vous le constatez ce n’est pas une recette mais la base même de notre métier.
Finalement quels conseils donneriez-vous aux acteurs de la littérature d’ici, auteurs et éditeurs ?
Je viens d’arriver au Québec et me garderais bien de donner des conseils. Je suis là pour aider Leméac grâce à l’expérience que j’ai acquise dans une grande maison parisienne. Ces deux maisons ont la même ambition littéraire, et là, je me retrouve parfaitement.
Nous sommes en pleine préparation du programme de rentrée et je ne peux pour le moment vous en parler plus précisément. Mais rassurez-vous nous aurons un nouveau livre de Michel Tremblay pour la fin d’année. Nous explorons un nouveau domaine, le roman pour adolescent : deux titres sont à paraître en février, deux en août. Notre but est de trouver ainsi un lectorat nouveau qui, nous l’espérons, nous suivra plus tard et découvrira nos auteurs.
Par Aline Apostolska, correspondante du BSC NEWS MAGAZINE à Montréal