Jean-Christophe Camus, comment s’est articulé votre travail de scénariste avec Didier Convard ?
Après avoir conçu ensemble le pitch de l’album, nous nous sommes vus régulièrement pour des séances de travail pendant lesquelles nous faisions un découpage détaillé de chaque page. L’un de nous rédigeait ces pages avec un premier jet de dialogues et l’autre reprenait et finalisait. C’était une sorte de Ping pong permanent qui fonctionnait parfaitement. Didier et moi-même nous sommes habitués à travailler à plusieurs sur le scénario.
Hervé Boivin, comment avez-vous appréhendé l’univers graphique pour les 7 frères ? Qu’est ce qui vous a plus dans ce projet ?
Je sortais de la réalisation de deux albums qui se déroulaient à une période similaire (la Seconde Guerre mondiale). Je bénéficiais donc d’une documentation et d’une expérience dans le traitement de cette époque. Pour ce qui est des années 50, j’ai cherché l’inspiration dans des films des années cinquante dont le cinéma français ne manque pas. Mon dessin se situe dans un registre classique et réaliste, mais j’aime particulièrement travailler mes personnages, tenter de leur donner le plus de profondeur possible.
C’est d’ailleurs ce qui, entre autre, m’a plu dans ce projet, des personnages peu communs et très bien décrits par les scénaristes. Ajoutons à ça la qualité d’écriture et le challenge de me confronter à un contexte original qu’est la franc-maçonnerie.
Jean-Christophe Camus, le travail de recherches pour cette bande dessinée a du être important, d’une part sur l’univers de la franc-maçonnerie et d’autre part concernant le cadre historique du récit. Comment se sont orientées vos recherches ? Concernant la franc-maçonnerie, au vu de son décorum et de ses codes, qu’est ce qui vous a paru important de montrer et de mettre en exergue aux yeux des lecteurs dans ce projet ?
Plus que le décorum et ses codes, il nous importait de montrer que la franc-maçonnerie et les francs-maçons étaient des cibles privilégiées du régime de Vichy. Les francs-maçons français, mais aussi allemands ont payé un lourd tribu pendant la guerre. C’est d’ailleurs depuis cette période qu’ils sont discrets sur leur appartenance. Nous voulions également montrer que cette fraternité initiatique n’a pas de frontière.
Hervé Boivin : Cette enquête est portée par le dynamisme du dessin qui retranscrit parfaitement l’intensité de l’enquête. Quel a été le fil rouge dans votre travail de dessinateur pour coller au plus près du scénario ?
Merci pour le compliment. J’en reviens encore aux personnages, j’ai essayé de les rendre crédibles et vivants, ce qui forcément apporte du dynamisme, mais je pense que les cadrages y sont également pour quelque chose, car j’ai favorisé les contre-plongées et j’ai varié le plus possible les points de vues . J’ai essayé d’avoir une mise en scène cinématographique.
Jean-Christophe Camus, comment s’est passée l’intégration des 7 frères dans la Collection dirigée par David Chauvel ? Quels étaient les modalités à respecter pour cette insertion dans cette collection ?
Didier est un ami de longue date et nous avions envie de travailler ensemble. Nous avons proposé ce one shot à David Chauvel qui a accepté avec enthousiasme. La seule contrainte était d’avoir sept personnages principaux, après, nous étions libres de les animer comme nous le souhaitions. La difficulté et le challenge de cette série était de parvenir à installer sept personnages tout en les intégrant dans une intrigue sur un nombre de pages réduits. C’est un exercice très excitant surtout avec Didier !
Hervé Boivin, le dessin a du demander beaucoup de précision pour le découpage de l’histoire. Quel angle avez-vous choisi ?
Le découpage m’est proposé par les scénaristes, ce sont donc eux qui choisissent l’angle pour raconter l’histoire. À partir de là, je réalise le «story-board», qui est une interprétation de ce découpage, mais mon objectif principal est d’être le plus fidèle à leur vision, tout en y apportant évidemment ma «patte», comme le suggère une interprétation… Après validation, je passe à la mise au propre, mais l’essentiel est déjà présent dans le story-board.
Jean-Christophe Camus, l’histoire a t-elle évoluée de l’idée même de sa conception jusqu’à son achèvement ? Avez-vous abandonné des éléments pour en insérer de nouveaux ?
Nous connaissions la fin de l’histoire, mais certains éléments sont venus se greffer au cours de l’écriture. Par contre, le coupable, lui, n’a pas changé !
Vous avez travaillé à l’aide de couleurs sobres pour la trame et vous avez opté pour un gris noir sur les flashbacks. Est-ce une marque de fabrique de votre travail ou vous adaptez-vous à chaque projet pour vous rapprocher au mieux de l’essence du scénario ?
Hervé Boivin : Pour ce qui est des couleurs, le mérite en revient à Delf, la coloriste. Personnellement je ne donne pas énormément d’indications, j’aime laisser le champ libre au coloriste, d’autant plus quand c’est une coloriste en qui on fait entièrement confiance. J’ai déjà travaillé avec elle et je savais que son traitement des couleurs et sa palette serviraient au mieux le dessin, ainsi que l’histoire. Pour le choix des valeurs de gris dans les flashbacks, il fallait qu’on puisse différencier facilement les deux époques, et c’est Delf qui a opté pour le camaïeux de gris, ce qui nous a entièrement satisfait.
Jean-Christophe Camus & Hervé Boivin, comment avez-vous travaillé tous les deux sur le projet ? Avez-vous partagé vos travaux respectifs de façon régulière ou avez-vous privilégié un travail séparé jusqu’à une mise en commun finale pour lisser les 7 frères ?
Hervé Boivin : Didier Convard Jean Christophe Camus ont gardé secret le coupable pendant la réalisation d’au moins la moitiée de l’album, afin que dans la création de mes personnages, je n’ai pas d’à priori, et que je ne sois pas influencé par la chute, un challenge très intéressant. Je soumettais donc régulièrement mon travail aux critiques et aux modifications souhaitées part les scénaristes. Je pense que c’est de cette manière-là qu’il est le plus simple de travailler.
J.C Camus : Nous avons livré le scénario en plusieurs parties. Nous avons proposé de ne pas donner le nom du coupable à Hervé Boivin afin de ne pas l’influencer dans la composition de ses personnages. Il n’a connu le nom du traite qu’au milieu du scénario. Il a été très surpris car ses doutes se portaient sur un autre protagoniste !
Questions pour les deux : qu’est ce qui est le plus excitant dans vos domaines respectifs concernant la création d’un huis clos comme les 7 frères ?
Hervé Boivin : Mettre en scène un huis-clos est quelque chose de très compliqué car plein de contraintes, d’autant plus quand on a affaire à une tenue de Francs-maçons, ou les places des personnages doivent être respectées et ne vont pas forcément dans le sens d’une mise en scène facile. Personnellement il a parfois fallu que je me surpasse pour réussir à trouver les angles de vue qui permettaient à la narration de se faire… Mais c’est aussi ce qui a rendu ce projet très intéressant.
J.C Camus : C’est de parvenir à donner vie et corps à sept personnages en si peu de pages. Il est essentiel que le lecteur ait de l’empathie pour chacun des sept frères, avec leurs forces et surtout leurs faiblesses.
7 frères
Scénario : Didier Convard & Jean-Christophe Camus
Dessins : Hervé Boivin
Collection Conquistador
Edition Delcourt
© Éditions Delcourt, 2016 – Convard, Camus, Boivin
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