Pierre Drieu la Rochelle : archange des désenchantements
Par Marc Emile Baronheid – En 1923, Desnos disait de celui qui s’était battu à Verdun « Sa liberté d’esprit blesse la droite. Son aristocratisme inquiète la gauche. La généralité ses méprend sur ses intentions ». Le temps a-t-il fait son œuvre, dans la juste perception de Drieu ? Rien n’est moins sûr.
Le récit commence le 5 août 1944. Pierre Drieu la Rochelle assiste à la messe d’enterrement de Ramon Fernandez, frappé d’infamie pour commerce idéologique avec l’ennemi allemand. Drieu l’envie d’être mort à 50 ans, échappant à la décrépitude du vieillard et au châtiment annoncé par les vainqueurs. C’est ce moment que choisit Aude Terray pour raconter les derniers mois de Drieu, en lequel elle voit « L’amant, l’intellectuel tiraillé entre la littérature et la politique qui n’approfondit ni l’un (sic) ni l’autre, le paresseux hédoniste qui médite et lit le matin en robe de chambre, l’écrivain qui doute et rêve de succès littéraires, qui se raconte indéfiniment dans ses livres et bâcle ses derniers chapitres, le littérateur d’alcôve parfois décevant pour ces dames et qui dépend de la générosité de ses riches maîtresses, le mondain qui traîne son ennui à la moue boudeuse dans les salons, l’éternel insatisfait de lui-même et des autres, le pessimiste désinvolte et grave aux multiples emballements et volte-face ».
C’est le morceau de bravoure d’un livre qui oscille du comprendre et ne pas juger cher à Simenon au « Juger, c’est évidemment ne pas comprendre, puisque, si l’on comprenait, on ne pourrait plus juger », cher à Malraux. Un Malraux présent par défaut, au même titre que bien d’autres, convoqués par celle qui a notamment signé une biographie de Madeleine Malraux. Quand il croira entendre sonner l’hallali, Drieu redeviendra l’homme couvert de femmes qui s’ingénieront à le préserver de ses tendances suicidaires et à le soustraire aux génies de l’épuration. Ses errements, ses erreurs, son tortueux cheminement intellectuel sont relatés sans longueurs mais sans approximations. Il a collaboré à remettre en selle, le 1er décembre 1940, avec l’assentiment de l’occupant, la NRF des éditions Gallimard. On le lui a violemment reproché. Drieu est mort en 1945, dans le mauvais camp. Depuis 2011, il existe à Paris une rue Gaston Gallimard. L’année suivante, Pierre Drieu la Rochelle entrait au catalogue de la Bibliothèque de la Pléiade. De quoi rejoindre l’opinion de François Nourissier, persuadé de la supériorité de la littérature sur tous les avatars politiques. Chardonne a écrit de Drieu qu’il était « un romantique d’une nature singulière ». L’honneur n’est pas une science exacte …
« Les derniers jours de Drieu la Rochelle »
Aude Terray, Grasset
18 euros
« Romans, récits, nouvelles »
Pierre Drieu la Rochelle, Gallimard
Bibliothèque de la Pléiade, 72,50 euros. Ce volume contient Etat civil, La Valise vide, Blèche, Adieu à Gonzague, Le Feu follet, La Comédie de Charleroi, Rêveuse bourgeoisie, Gilles, Mémoires de Dirk Raspe, Récit secret.
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