Le printemps des livres : bonnes surprises et déceptions
Par Emmanuelle de Boysson – Pas facile de passer de Stendhal et Balzac aux romans du printemps. Parmi les romans de femme à paraître pour les beaux jours, de bonnes surprises mais aussi des déceptions. A croire que les éditeurs ne prennent pas le temps de faire travailler leurs auteurs, que les correcteurs laissent passer clichés, lourdeurs et coquilles !
Quoi de neuf pour la saison ? Jean Echenoz, Patrick Rambaud, Camille Laurens, Philippe Claudel, Sylvie Germain et Marie Nimier sont de retour. Jean-Marc Parisis, ancien auteur de Stock et de Flammarion, publie chez J-C Lattès un récit sur son enfance des années 60 au milieu des années 70 : « A côté, jamais avec ». Chez Gallimard, Pierre Assouline raconte l’histoire de Gustav Meyer, grand maître d’échecs, soupçonné du meurtre de sa femme. Dissimulé sous une autre identité, il erre au cœur de la vieille Europe, deux femmes à ses trousses. Une véritable enquête policière qu’Assouline mène avec talent. Editeur chez Gallimard, Jean-Marie Laclavetine publie dans cette maison : « Et j’ai su que ce trésor était pour moi » : Pour réveiller Julia, hospitalisée, Marc raconte et nous précipite avec elle dans un torrent de récits dont celui de l’amour. Superbe. Jean d’O est sur toutes les ondes. Les médias adorent sa bonne humeur, son humour, sa culture, son esprit, son goût du bonheur. « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle » a quelque chose à voir avec la libre conversation de Diderot, cette gaîté, cette liberté de chroniqueur amusé passant de Zweig à Bossuet, de Morand à Aragon, de son père à l’Académie. Un délice. Il était invité à La Grande Librairie avec Edouard Louis qui publie « Histoire de la violence », (Seuil). Après avoir survécu à la brutalité d’un homme, le narrateur tente d’échapper aux discours des autres. Une magnifique quête de vérité. Après « En finir avec Eddy Bellegueule », ce deuxième roman autobiographique impose ce garçon de 24 ans dans le paysage littéraire. « La renverse », d’Olivier Adam (Flammarion) déçoit. L’auteur s’inspire d’un fait divers : l’affaire George Tron qui fut accusé d’agression sexuelle par deux employées. Si le texte pèche par trop de clichés, de maladresses et de lourdeurs, ce qui lui manque surtout est l’émotion : le personnage s’avère si distant, si froid qu’il nous est impossible de nous identifier à lui.
Revenons à Gallimard, à un de ses auteurs mythiques. A 79 ans, le péruvien, Mario Vargas Llosa est le premier étranger à entrer de son vivant dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade. Huit de ses romans seront publiés le 24 mars en deux volumes dans une traduction révisée sous le titre « Œuvres romanesques », tomes I et II. Seuls seize écrivains ont connu avant lui cette consécration. André Gide fut le premier à rejoindre de son temps la collection, en 1939. Plus récemment, le poète Philippe Jaccottet, en 2014, et l’Académicien Jean d’Ormesson, en 2015, avaient reçu le même honneur. Depuis sa création, en 1931, la collection s’est vendue à plus de 20 millions d’exemplaires. Elle compte près de 600 titres, de 200 auteurs différents, dont Tolstoï, Balzac, Zola, Rimbaud et Proust. Mario Vargas Llosa, marquis de Vargas Llosa, né Jorge Mario Pedro Vargas Llosa le 28 mars 1936 à Arequipa, au Pérou, fait partie des grands auteurs de la littérature latino-américaine des années 1960. Journaliste, romancier, essayiste politique, il est auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont « La Ville et les Chiens », « La Maison verte », « Conversation à la cathédrale ». En 1958, il décide de se consacrer à sa carrière d’écrivain, il se lie à Gabriel Garcia Marquez. Mais en 1976, les deux amis se brouillent. Tenté par le communisme, Vargas Llosa se tourne vers le libéralisme par déception face aux dérives de la révolution cubaine menée par Fidel Castro. Il fonde le mouvement de droite démocratique, Libertad, et se présente en 1990 à l’élection présidentielle péruvienne, sans succès. En octobre 2010, il reçoit le prix Nobel de littérature. Dans son dernier roman, « Le Héros discret », paru en juin 2015 (Gallimard), il dresse un portrait amusant du Pérou contemporain. Le 17 septembre, alors qu’il est fait docteur honoris causa de l’université de Salamanque en Espagne, le Prix Nobel évoque dans un discours les raisons qui l’ont amené à écrire : « Si nous nous appliquons à créer des univers de fiction qui rivalisent avec la réalité véritable, c’est, semble-t-il, parce que le monde réel, d’une certaine façon, ne nous suffit pas, incapable qu’il est de satisfaire nos appétits et nos rêves. Il y a entre celui qui écrit et le monde où il vit une certaine incompatibilité ou, disons, une défiance, une césure, un abîme qu’il tente de combler fictivement par un autre monde qui, en somme, complète et élargit la réalité objective. »
Cette belle citation plaît sûrement à deux écrivains fraîchement entrés au sein du jury du Goncourt : Emmanuel Schmitt qui prend la place d’Edmonde Charles-Roux et Virginie Despentes, celle de Régis Debray. L’élection de Virginie Despentes, 46 ans et prix Renaudot pour « Apocalypse bébé » (Grasset), est une vraie surprise : la romancière avait rejoint le jury concurrent du prix Femina l’an dernier. Ne pouvant siéger dans les deux jurys, l’auteure de « Vernon Subutex » (Grasset) devrait donc démissionner du Femina. Agé de 55 ans, Eric-Emmanuel Schmitt est un boulimique de théâtre et de littérature. Normalien, il a appris à «avaler dix ou quinze livres en une semaine» a-t-il affirmé récemment. Agrégé de philosophie, titulaire d’un doctorat à 27 ans et «totalement étranger au monde du théâtre», il se lance en 1991 avec une première pièce, « La nuit de Valognes ». Il avait reçu le prix Goncourt de la nouvelle en 2010 pour « Concerto à la mémoire d’un ange » (Albin Michel). Membre du jury Goncourt depuis 1983 et présidente de cette institution de 2002 à 2014, Edmonde Charles-Roux, âgée de 95 ans, laisse sa place pour raisons de santé. Régis Debray, 75 ans, avait annoncé sa démission du Goncourt en novembre invoquant son âge et ses «obligations de travail». L’académie Goncourt est composée de 10 membres. Elle est présidée, depuis 2014, par Bernard Pivot.Espérons que les jurys s’intéresseront à d’autres maisons d’éditions que « Galli-gras-seuil » (Gallimard-Grasset-Le Seuil). Parmi celles qu’il faudra suivre, le Rocher. La vieille maison, récemment au bord du dépôt de bilan, fait peau neuve. Large format pour faciliter la lisibilité, bandeau illustré de photographies, maquette modernisée en trois déclinaisons : roman, récit, nouvelles, la collection littéraire des éditions du Rocher va accueillir au fil des prochains mois de jeunes talents ou des auteurs confirmés dans une nouvelle présentation. Discrètement posée sur la couverture, on retrouve la griffe aux trois traits de couleur imaginée par Jean Cocteau pour les ouvrages littéraires de l’après-guerre. Un signe pour renouer avec la tradition littéraire des éditions, qui ont marqué à la fois l’histoire de la maison et de la littérature de ces soixante dernières années, et saluer sa renaissance au Rocher. Prochaines parutions : « Morphine Monojet », de Thierry Marignac, le 25 janvier. Le sujet : fin des années 1970, trois mousquetaires fauchés s’engouffrent dans Belleville, haut lieu du commerce de l’héroïne. Leur expédition crépusculaire a pour but d’obtenir du crédit auprès de leur dealer. A paraître à la même date : « Toutes nos vies », de Stéphane Guibourgé. Une lettre d’amour d’un homme à la femme qu’il aime. Une façon de célébrer la liberté, le bonheur avant qu’il ne s’enfuie, de tourner le dos à la colère et gagner enfin la sérénité. S’en suivront : « Bonbon désespéré » de Vincent Ravalec / « Madame est servie » de Thomas Morales. « Souriez, vous êtes ruiné » de Yves Bourdillon / « Au Fond » de Denis Vauzelle. « Enfilades » de François Marchand. « La guerre en vacances » de Bernard du Boucheron ; « Le sérieux bienveillant des platanes » de Christian Laborde et « La Concordance des temps » de Vladmir de Gmeline. Beau programme ! Douze bibliothécaires brésiliens se sont fait photographier nus dans un calendrier sexy dont les ventes serviront à ouvrir… une bibliothèque. Ca devrait donner des idées aux libraires ! Ca bouge dans la BD ? Le prix Artemisia de la BD féminine a été décerné à Sandrine Revel pour « Glenn Gould, une vie à contretemps » (Dargaud). Michel-Edouard Leclerc lance une maison d’édition. Diffusée par Flammarion, MEL Publisher éditera quatre titres par an autour de la BD. Jeanne Benameur a reçu le Prix du roman Version Fémina pour « Otages intimes » chez Actes Sud qui publie deux bons romans : « Illetré », de Cécile Ladjali et « Les vieux ne pleurent jamais », de Céline Curiol. Belles lectures à tous !
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