Céline Cléber: « Le milieu politique commence à penser que nous allons vers un dénouement violent »

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Dans un entretien explosif accordé sous pseudonyme à Putsch, Céline Cléber, haut fonctionnaire au cœur du pouvoir et auteur de Douce France, démonte le déni des élites face à l’ensauvagement, aux émeutes en Suisse, aux blocages britanniques et à l’impuissance de la justice française. Une plongée sans concession dans ce pays qui sombre dans l’ultraviolence et le narcotrafic , réservée à nos abonnés payants.

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Les émeutes en Suisse montrent que même un pays prospère, sans passé colonial et réputé stable, n’échappe pas aux mêmes tensions que la France. Selon vous, qu’est-ce que cela révèle de la profondeur des causes de ces violences et du rôle joué par l’immigration et la délinquance dans des sociétés pourtant très différentes ?
Vous avez raison, les émeutes de Lausanne interviennent dans un pays très prospère. Je rappelle que le salaire mensuel moyen dans cette ville est de 4900€ ! Le quartier de Prélaz, où les heurts ont eu lieu, est loin d’être une zone délaissée : elle est proche du centre-ville, bien desservie, dispose de bonnes infrastructures et d’un tissu d’employeurs dense. Si on fait une rapide comparaison, en 2022, le taux de chômage était de près de 20% à Clichy-sous-Bois. Il atteignait à peine 4,3% à Lausanne. On ne peut donc lier de manière simpliste cette violence urbaine à la pauvreté, au chômage ou à la déshérence de quartiers oubliés. Cette explication sociologique à la petite semaine, typiquement bourdieusienne, ne tient pas. Les causes de cette violence sont donc à trouver ailleurs.
De même, une « explication » fréquemment entendue en France sur la violence des « cités » serait qu’elle représenterait une réaction face à un État systémiquement raciste qui n’aurait pas rompu avec ses pratiques coloniales. Deux élus LFI ont récemment avancé ce narratif, très présent à gauche. Aly Diouara a ainsi affirmé: «Oui, LA POLICE TUE ! […] Et elle tue souvent les mêmes. Par choix, par racisme et par nostalgie coloniale. ». Tout y est. Mais pschitt ! Le cas de Lausanne fait voler en éclat cette fantasmagorie. Car la Suisse n’a aucun passé colonial, aucune histoire de « domination » raciale !

 

« Les causes de cette violence sont donc à trouver ailleurs : dans leur refus de s’adapter aux règles communes et leur propension à s’affranchir des codes culturels et juridiques des pays d’accueil.- »

Dernière galéjade typiquement française : les « jeunes » se défendraient contre des élus locaux de droite, racistes et bourgeois. Mauvaise pioche : Lausanne est une des villes les plus à gauche de Suisse. Aujourd’hui, plus des deux tiers de ses conseillers municipaux sont à gauche et son syndic (son maire) est à gauche depuis…1990.
La vérité est que le déclencheur a été la mort d’un individu d’origine nigériane, pris en chasse par une patrouille de police, et qui a perdu la maîtrise du scooter qu’il avait volé. Ce n’est donc pas un « dominé » qui est mort mais bien un délinquant, qui à l’égard du propriétaire du scooter était un « dominant ».
La réalité oblige donc à dire que c’est l’absence d’assimilation des populations à la culture civique locale qui est la principale cause des désordres. Elle engendre des mécanismes de défiance réciproques entre population suisse, population immigrée et entre celle-ci et les forces de police. Les émeutes de Lausanne démontrent que les violences urbaines sont liés non pas au comportement supposé de l’État, à l’abandon dans lequel serait laissé les émeutiers, mais dans leur refus de s’adapter aux règles communes, dans leur propension à s’affranchir des codes culturels et juridiques des pays d’accueil.
Un dernier point est marquant à Lausanne : la réaction des « élites progressistes » y est la même que chez nous : le déni. Le point de départ est un vol doublé d’une conduite dangereuse en ville et d’un refus d’obtempérer. Pourtant, la première réaction de la municipalité est de brocarder la police, accusée de racisme. Sa première décision a été d’annoncer « une réforme en profondeur de la culture de travail au sein de la police municipale ».

 

« Les émeutes de Lausanne démontrent que les violences urbaines sont liés aux refus de s’adapter aux règles commune »

 

En Grande-Bretagne, on assiste à un réflexe identitaire marqué : dans de nombreuses villes, les drapeaux britanniques et anglais fleurissent aux fenêtres et aux balcons dans un contexte de fortes tensions sur l’immigration. Pensez-vous que la France, confrontée à l’ensauvagement et au sentiment de dépossession, puisse connaître une dynamique similaire de réaffirmation identitaire populaire ?
La réaction des Britanniques est effectivement très marquante et commence à avoir un impact dans la vie politique. Même le Premier ministre travailliste affirme vouloir « reprendre le contrôle des frontières » et souhaite réduire « significativement » l’immigration légale, limiter la délivrance de visas et faciliter l’expulsion des personnes condamnées. Ce qui signifie que le peuple peut infléchir les orientations politiques en se mobilisant.
Pour autant, la France me semble plus cadenassée par l’oligarchie, avec des médias qui lui sont très largement acquis, un système institutionnel plus distant des volontés populaires et une Éducation nationale qui nous a appris à nous livrer à l’État. Par ailleurs, une de nos spécificités est la résurgence du bolchevisme dans ce qu’il a de plus extrême avec LFI et tout un écosystème associatif et syndical qui lui sert de vivier et de caisse de résonance. Cette présence est de nature à troubler les engagements populaires, voire à les faire dérailler : cela a été le cas des Gilets jaunes qui se sont progressivement gauchisés.
On pourrait croire que l’existence en France d’un Rassemblement national à plus de 30% (37% au second tour de 2024 contre seulement 14,3% à Reform UK de Nigel Farage la même année) faciliterait les choses chez nous. Il n’en est rien, car cette force conduit à une coagulation des autres partis qui font cause commune pour leur survie. En dehors même des questions idéologiques et d’ego, c’est une des raisons de l’impossibilité actuelle d’une union des droites par les partis : comment voulez-vous que LR, dont la base électorale ne doit pas excéder 14%, puisse s’associer avec le RN ? Ce serait un absorption pure et simple. Je suis donc assez dubitatif. Cela étant, les échos que j’ai du milieu politique, que j’ai décrit dans Douce France et dans lequel je baigne, me laissent penser que ce milieu commence à penser que nous allons vers un dénouement violent avec, par exemple, un second tour des présidentielles LFI-RN.

 

« Je suis assez dubitatif : tout laisse penser que nous allons vers un dénouement violent, avec par exemple un second tour des présidentielles LFI-RN. »

Le projet de loi présenté par Gérald Darmanin comporte des mesures qui pourraient séduire de nombreux Français – comme la réduction du sursis ou la limitation des aménagements de peine – mais il ignore des réformes structurelles essentielles : simplification du code de procédure pénale, délais de jugement, ou encore rapprochement entre magistrats et citoyens. Est-ce, selon vous, une stratégie politique d’évitement ou une incapacité réelle à s’attaquer au cœur du problème ?
Il faut bien dire, à la décharge de Gérald Darmanin, comme de tous les ministres, qu’ils n’ont pas tous les leviers en main avec un président erratique et sans aucune vision du domaine régalien, l’absence de majorité parlementaire et un Gouvernement fait de bric et de broc.
Dans ce type de contexte, la tentation est toujours de lancer des mesurettes en parlant de « révolution » à leur propos. M Darmanin parle de « révolution pénale ». Je connais bien le ministère de la Justice. Il souffre de la trop grande présence de magistrats au sein de son administration centrale. Or les magistrats ne sont pas des gestionnaires et leurs réflexes sont très marqués par un corporatisme frileux très hostile aux innovations et un souci de l’indépendance qui est une source constante de blocage. Parallèlement, ils sont en nombre insuffisant dans les tribunaux, ce qui ne permet pas un traitement fluide et rapide des affaires.
Cela étant, il faut prendre ce qui est bon dans les propositions : la réduction du sursis, les restrictions aux aménagements de peines…Mais Gérald Darmanin aura-t-il une majorité pour voter cela ?
Au-delà, le problème de la justice est un problème de robinet et de culture. Pour le robinet : il faut que, tout au long de la chaîne judiciaire, l’écoulement des affaires puisse se faire avec célérité, sans goulot d’étranglement. Aujourd’hui ces goulots sont partout : des services enquêteur débordés avec une filière de police judiciaire boudée par les policiers et un code de procédure pénale de 1500 pages illisible et source de délais et d’erreurs, des parquets totalement débordés aux effectifs calés sur une délinquance d’il y a 30 ans, des structures judiciaires dépassées avec une crise des audiencements (1) catastrophique… Je cite 2 titres de chapitre du rapport officiel sur le sujet (2) : « L’émergence, dans certaines cours, d’un point de rupture à compter duquel elles ne seront plus en mesure de juger les accusés détenus dans les délais légaux » et « Des juridictions correctionnelles à bout de souffle, contraintes de dégrader la qualité de la réponse pénale afin de juger les faits les plus graves dans des délais raisonnables ». Tout est dit !

 

« Dans ce type de contexte, la tentation est toujours de lancer des mesurettes en parlant de “révolution” à leur propos. »

 

Pour la culture, il faut en finir avec l’excuse, la gentillesse et aussi avec quelque chose de très ancré dans la mentalité des magistrats, que j’ai voulu décrire dans Douce France : l’individualisation des peines. Dans bien des cas aujourd’hui, nous sommes face à des actions collectives qui sont proches ou, en réalité, constitutives d’insurrections, certes localisées mais bien réelles. La justice sanctionne, modérément, des «violences aggravées» ou des «destructions ou dégradations de biens», là où elle devrait frapper la « participation active à un attroupement armé », la « rébellion », voire des « mouvements insurrectionnels », avec à la clé des peines beaucoup plus lourdes, quitte à ce que le législateur fasse évoluer le code pénal.
Autre élément de culture professionnelle, l’indépendance poussé aux limites de l’absurde : j’ai entendu des magistrats dégainer leur indépendance dans des questions purement financières ou logistiques. Il faut remettre la justice sous l’autorité de la nation et le parquet sous l’autorité du Gouvernement, c’est-à-dire du peuple. Une première tâche serait d’abroger la disposition de la loi Taubira du 25 juillet 2013 qui interdit au ministre de la justice d’adresser aux procureurs de la République des instructions individuelles et revenir à la loi du 9 mars 2004 qui maintenait les instructions individuelles et étendait les prérogatives du Garde des Sceaux à la conduite de l’action publique. Le ministre pouvait ainsi saisir le parquet pour demander d’activer une enquête préliminaire, d’ouvrir une information judiciaire ou de poursuivre, de requérir un non-lieu, une relaxe, une peine particulière ou encore un appel. Mais il y a bien d’autres choses à faire en ce domaine.

Vous soulignez l’absence de réforme de l’administration pénitentiaire. La prison reste-t-elle selon vous un impensé politique en France ? Et sans un plan sérieux sur les conditions de détention, la réinsertion et la construction de places nouvelles, tout projet sécuritaire n’est-il pas condamné à l’échec ?
Nous en restons encore à la prison comme cause de délinquance, pensée typiquement post-soixantehuitarde. Il y a peu, Laure Beccuau, procureure de Paris, affirmait : « pour la petite délinquance de droit commun, il ne faut plus penser la prison comme la peine de référence ». Mais la vérité est que les voyous n’ont pas besoin de la prison pour s’enraciner dans la violence, le groupe, la bande, la rue, si prégnants aujourd’hui, sont là pour ça. La vérité est aussi que la prison est d’abord le moyen de protéger la société et les individus en mettant hors du circuit social des individus dangereux. La prison n’a pas pour but premier de réinsérer ou d’éduquer. Si elle y parvient, tant mieux, mais c’est très rare. Il s’agit de mettre hors d’état de nuire des nuisibles, point ! Les magistrats qui rejettent la prison font tout simplement peser sur leurs concitoyens un risque pour leur intégrité. A mon sens, ils engagent leur responsabilité et celle de l’État.

 

« La justice sanctionne modérément des violences aggravées là où elle devrait frapper des mouvements insurrectionnels, avec des peines beaucoup plus lourdes. »

Un des scandales qui trouble la population, c’est que, désormais, notamment pour le narcotratifc, la prison ne parvient plus à enrayer l’activité criminelle des détenus eux-mêmes. C’est un point majeur d’échec pour la justice. Nous le voyons avec la prison dite de haute sécurité de Vendin-le-Vieil, l’un des seuls moyens d’y remédier est de durcir les conditions de détentions, notamment en matière de conception des cours de promenade, de fouilles, de visites…Les droits des détenus ne doivent pas pouvoir faire obstacle à l’arrêt de leur activité délinquante.
L’autre difficulté, bien connue, est que nous manquons de places de prisons. Il faut construire vite et bien, ce qui exige des crédits et une simplification des normes en la matière. L’article 90 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a apporté un progrès mais encore insuffisant. Il nous faut un texte ambitieux à l’image de la loi du 22 juin 2023 qui a permis l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires. Et, au passage, suivons, une fois n’est pas coutume, les propositions d’une macroniste, Caroline Abadie, rapporteure de la commission d’enquête parlementaire visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française : osons «repenser l’absolu de l’encellulement individuel » (3).

 

« La prison n’a pas pour but premier de réinsérer ou d’éduquer : il s’agit de mettre hors d’état de nuire des nuisibles, point ! »

J’irais même plus loin : je m’interroge sur la pertinence de rattacher les prisons au ministère de l’Intérieur, comme ce fut le cas dans le passé. Il a une culture de la sécurité et de l’administration beaucoup plus développée que celle du ministère de la Justice. Cela permettrait de créer, enfin, une police pénitentiaire, à l’instar de l’Italie, qui offrirait aux agents pénitentiaires comme aux policiers, de nouvelles perspectives de carrière.

Enfin, face à l’ensauvagement et aux colères populaires, Bruno Retailleau multiplie les prises de position fermes. À vos yeux, incarne-t-il une réponse crédible et structurée sur ces sujets ou son action demeure-t-elle cantonnée à une posture d’opposant, sans prise réelle sur la politique menée ?
Je crois Bruno Retailleau sincère et conscient des enjeux de la délinquance. C’est pour moi un des rares hommes de valeur dans le vivier politique actuel. Mais il est bien seul au sein de ce Gouvernement. Le président de la République et le Premier ministre ne se sont jamais intéressés à la sécurité des Français, le Garde des Sceaux est avant tout un tacticien qui ne traite pas les questions de fond et il n’y a pas de majorité à l’Assemblée pour une politique solide de lutte contre la délinquance et l’immigration. Dans ces conditions, il ne peut pas faire de miracles.

 

« Nous n’obtiendrons pas de résultats probants sans une profonde remise à plat de la justice pénale, impossible tant que nous restons soumis aux diktats du Conseil constitutionnel et des instances européennes. »

Je le redis, aujourd’hui, le blocage principal n’est pas du côté des services enquêteurs, même si des choses sont à améliorer, mais c’est celui de la Justice. Nous n’obtiendrons pas de résultats probants sans une profonde remise à plat de la justice pénale.
Ce qui est compliqué, c’est que cette remise à plat sera pratiquement impossible si nous ne nous libérons pas des diktats du conseil constitutionnel et des instances européennes, cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui ne cessent, depuis des années, d’empêcher de mener la politique nécessaire au pays. Il suffit pour en prendre conscience d’examiner les décisions du conseil constitutionnel qui ont largement neutralisées les lois récentes sur la justice des mineurs, le narcotrafic ou l’immigration.

(1) L’audiencement est le processus par lequel une affaire est programmée pour être examinée par un tribunal.

(2) Rapport de la mission d’urgence relative à l’audiencement criminel et correctionnel, mars 2025.

(3) Rapport n° 4906 sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, janvier 2022.

 

Céline Cléber, Douce France, Editions – Editions de l’Artilleur

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