En confrontant l’autorité du passé à l’incertitude du présent, la pièce questionne la stature du pouvoir et le poids de l’Histoire dans une France en quête de repères. Un duel oratoire où l’éloquence de l’ombre éclaire les doutes du pouvoir.
Votre pièce met en scène une rencontre improbable et intime entre deux présidents aux antipodes de la stature et de la pensée politique. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette confrontation entre Charles de Gaulle et Emmanuel Macron, et que vouliez-vous explorer à travers ce dialogue ?
Il me semble que le président Macron est obsédé par une certaine présence muette, mais active, opérante du général de Gaulle dans les murs de l’Elysée. Un grand portrait dans l’escalier en témoigne. Il y a une photo très frappante d’Emmanuel Macron descendant les marches sous ce portrait dans la pénombre qui en dit long. Il faut d’ailleurs remarquer qu’Emmanuel Macron est le premier Président de la Ve République à être né APRÈS la mort du Général de Gaulle. Tous les prédécesseurs, y compris de la IVe République, de l’Etat français, et d’une large part de la IIIe étaient des contemporains du Général. Pour Macron, cette absence d’intersection renforce sans doute la dimension mythique de la statue du Commandeur, et de son ombre portée.
Vous utilisez un ton à la fois humoristique et philosophique pour aborder des thématiques politiques et historiques. Pourquoi avez-vous choisi ce registre pour traiter des tensions entre passé et présent dans la politique française ?
Toute la question était de trouver le ton juste. Ni chansonnier évidemment, ni sentencieux, ni de débat télévisé. Je cherchais une certaine élégance ironique, à la Guitry. Et il me semble que je l’ai trouvé. Parce que de Gaulle avait beaucoup d’humour, de son vivant, alors de l’au-delà, a fortiori, évidemment. La première phrase donne le « la »: « Alors, c’est vous? Le jeune Président… »
La pièce interroge la continuité ou la rupture entre deux époques. Selon vous, quelle est la principale leçon que de Gaulle pourrait transmettre à Macron dans le contexte actuel de mondialisation et de crises multiples ?
L’expérience, hélas est la seule chose qui ne s’enseigne pas. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait, n’est-ce pas ? Le poids de de Gaulle, Macron ne pourra jamais l’acquérir. L’autorité découle de l’épaisseur de la vie, des hauts faits qui ont été accomplis, et d’une parole sûre, affermie, et qui porte. Emmanuel Macron a eu beaucoup trop de phrases malheureuses. À commencer, lors de sa première campagne, par son impardonnable : « Il n’y a pas de culture française ».
Alors, ce que de Gaulle peut lui transmettre, c’est d’avoir de la résistance, de la résilience, du courage, et de prendre non seulement du recul, mais de la hauteur par rapport aux événements et aux crises.
« Emmanuel Macron a eu beaucoup trop de phrases malheureuses. À commencer, lors de sa première campagne, par son impardonnable : « Il n’y a pas de culture française ». »
Le titre évoque une dimension onirique et presque mystique. Pensez-vous que la figure de de Gaulle hante encore aujourd’hui la politique française ? Et pourquoi Macron est-il selon vous un choix idéal pour ce face-à-face ? Votre dialogue regorge de références historiques et culturelles. Quel rôle jouent ces clins d’œil dans la pièce, et comment espérez-vous qu’ils résonnent auprès du public contemporain ?
Tous les problèmes que rencontre Macron dans son exercice du pouvoir me paraissent liés à sa jeunesse. Nous avons élu un jeune homme de 39 ans. Qu’est-ce aujourd’hui que 39 ans ? On sort à peine de l’adolescence. 2017 n’est pas 1917. Les hommes étaient plus madrés il y a un siècle. Or, dit l’Ecclésiaste, malheur à la cité dont le prince est un enfant. Freud ne dirait pas autre chose.
Dans les textes de Platon, Socrate fait la critique et l’illustration d’Alcibiade, qui le fascine et le consterne à la fois. Plus tard, Ciceron détaillera les exploits, les erreurs et les tares de Jules César, le chef d’état dont est le contemporain et dont il se fait chroniqueur. Alors, il manque à Macron l’épreuve d’une ou de plusieurs guerres (du Peloponnèse, des Gaules, d’Allemagne) pour lui donner la dimension de héros guerrier qui a fait Alcibiade, César, ou bien sûr de Gaulle. D’ailleurs la visite du Général fait passer sur lui un peu de ce grand vent héroïque qui lui aura manqué. Mais enfin, dans la paix et la conduite du pouvoir, il a quelques points communs avec les deux premiers.
Sans peut-être parler de l »hubris de Macron, encore qu’il y ait bel et bien dans sa dissolution ou certains de ses éclats et emportements des signes de démesure et de fascination pour le chaos, je préfère parler d’inconséquence, de désinvolture, ou de légèreté. Un chef d’entreprise me disait récemment de lui, « il a cassé le jouet, maintenant, que va-t-il faire? » D’où le ton ironique choisi.
« Sans peut-être parler de l »hubris de Macron, encore qu’il y ait bel et bien dans sa dissolution ou certains de ses éclats et emportements des signes de démesure et de fascination pour le chaos, je préfère parler d’inconséquence, de désinvolture, ou de légèreté »
On n’est pas dans le temps de la tragédie. Il ne s’agit pas du « monstre naissant » dont parle Racine à propos du jeune Néron dans Britannicus. Et Brigitte Macron n’est pas exactement Agrippine, même si son influence semble remise en question au fil de ce deuxième quinquennat. Et que l’on puisse songer à Burrhus en voyant Alexis Kohler.
Non, le projet de cette pièce serait peut être de lester Macron, de lui donner un peu du poids qu’il lui manque, de lui donner un sens et une perspective historique. De lui tailler une statue dans le bloc informe, changeant et insaisissable de l’actualité. Car enfin, il aura présidé aux destinées de la France pendant dix ans. Ce n’est pas rien, dix ans, dans l’histoire de France. C’est plus que Giscard, dont il partage tant de qualités et hélas de défauts.
La relation entre les deux personnages semble refléter des dilemmes modernes : autorité, souveraineté, et rapport au peuple. En quoi ce dialogue fictif peut-il éclairer les défis politiques actuels et nourrir le débat public ?
L’autorité et le rapport au peuple sont à peu près la même question, qui n’aura cessé d’échapper à Emmanuel Macron, présenté d’entrée comme le chef d’une petite bande de jeunes conseillers brillants et fringants, le cercle des « Macron boys ». Source d’envie et d’irritation. Tant les clubs et les cénacles déplaisent aux Français qui détestent les têtes qui dépassent. Ensuite, il y a cette image de « Président des riches », déconnecté du peuple et des souffrances des pauvres gens, dont il ne s’est jamais dépêtré. Et je ne parle pas seulement du fameux « Vous n’avez qu’à traverser la rue ». Les tirs de flashballs qui ont éborgné ou blessé des Gilets jaunes ont été plus dommageables encore que le mépris de Hollande pour les « sans dents ».
« Les tirs de flash balls qui ont éborgné ou blessé des Gilets jaunes ont été plus dommageables encore que le mépris de Hollande pour les « sans dents ». »
La pièce bien sûr, revient sur les Gilets jaunes et les réponses magiques apportées par le prestidigitateur (village meetings, cahiers de doléances). En matière de souveraineté, elle épingle l’échec de la France à fabriquer les deux totems du monde contemporain : les PC et les smartphones. Alors que de Gaulle avait jeté les bases avec son plan calcul, et imaginé les outils du futur. Si bien que le Général ne cesse d’interpeller Macron sur le thème « Qu’as-tu fait de ton talent? ». Enfin, métaphysique, oui. Écoutant le discours inaugural de Trump, on se prenait à penser qu’il fallait remonter à de Gaulle avec la France ou Churchill avec l’Angleterre pour entendre vibrer une telle foi dans la destinée chrétienne de sa propre nation.
Dans des discours donnés tout au long de la guerre, de Gaulle a régulièrement invoqué l’image de Notre Dame la France, d’une façon qui rappelait Péguy. Dans un entretien de 1941 au Journal d’Egypte, on lui demande de se définir. Sa réponse est éclairante: « Je suis un Français libre. Je crois en Dieu et à l’avenir de ma patrie. »Les trois piliers de la pensée gaullienne étaient Barrès, Péguy, et surtout l’immense Bergson. Il manque cruellement à notre jeune président d’avoir fréquenté et médité ces auteurs. « La vie est tragique, Macron! » peut lui lancer le Général.
De Gaulle apparaît en songe à Emmanuel Macron
Fantaisie politique de Jean-Marie Besset
A partir du 4 février – du mardi au samedi 20h30
Matinée : samedi & dimanche 16 h 00
Théâtre Dejazet – 41, boulevard du temple 75003 Paris
Auteur : Jean-Marie Besset – Metteur en scène : Lionel Courtot