Entre taureaux imposants, paysages mystiques et cris de rage qui transcendent la peur, elle nous emmène au cœur d’un affrontement entre la force brute de la nature et la complexité des rapports homme-femme.
Vous mentionnez que Fragile et Animale explorent tous deux la “fragilité masculine” dans des genres opposés. Comment avez-vous abordé cette thématique dans un style inspiré du western, et comment cette approche influence-t-elle la représentation de la puissance féminine dans Animale ?
Le western est un genre dit majoritairement masculin au sens où les histoires tournent le plus souvent autour de personnages masculins avec des problématiques liées à la violence, au territoire, à l’argent. Il y a quelques exceptions, dont une que j’aime particulièrement, qui est le film Johnny Guitar de Nicholas Ray, que je considère comme un chef-d’œuvre avec deux femmes puissantes qui s’affrontent. Pour moi, il s’agissait dans Animale de représenter une héroïne qu’on voit peu dans ce genre-là, et de s’interroger sur notre rapport à la violence. Il s’agissait aussi de parler des rapports homme-femme au cinéma et avoir une femme qui a envie d’aller dans l’arène et qui ne considère pas que c’est un problème parce qu’il n’y a que des hommes, ça me semblait une représentation puissante. Mais il se trouve qu’autour d’elle, il y a des masculinités différentes, certaines fragiles, d’autres plus dans le contrôle ou dans la violence sourde. Pour moi il y a surtout de l’ambivalence.
L’aspect animiste de la culture camarguaise semble jouer un rôle central dans votre film. En quoi cet “animisme” a-t-il enrichi votre vision de la course camarguaise et influencé la manière dont vous avez filmé le taureau et les paysages ?
Avec le chef opérateur Ruben Impens, et Donatienne De Gorostarzu, on a voulu, dans les choix de mise en scène, très clairement faire du taureau un vrai personnage du film. Il est central dans l’histoire, il est toujours présent. Moi-même, j’ai été, ado, fascinée par cette bête et attirée par sa puissance. Il représente l’ancrage, la force, mais aussi le danger. On a d’ailleurs bossé avec les taureaux de Renaud Vinuesa, et c’était un bonheur d’en retrouver certains dans des scènes. Les taureaux sont des animaux sauvages, donc il y a beaucoup de scènes qui étaient complexes à faire, et nous n’avions d’ailleurs aucune référence avec Ruben. On se disait : comment arriver à filmer ça ? On discutait avec le manadier (Renaud) et on essayait de trouver des solutions à chaque plan. Les bêtes, on attendait chaque jour qu’elles nous donnent quelque chose. Et on devait parfois attendre patiemment. On a fait aussi le plan de travail en fonction de la pleine lune pour des questions d’éclairage… On dit qu’en Camargue il y a plus d’animaux que d’habitants, c’est aussi les animaux qui ont dicté beaucoup de choses… Et c’était beau, car on ne pouvait pas être dans le contrôle, mais il fallait être alerte à la moindre « improvisation » de l’animal, être en caméra très légère embarquée sur un pick up et planquée en attendant quelque chose…
Vous avez choisi d’inverser le “cri” traditionnel féminin vu dans des genres comme le giallo et Scream, en le transformant en un cri de puissance et de rage. Qu’espérez-vous que ce cri provoque chez le spectateur, et comment avez-vous travaillé ce moment sur le plan technique et émotionnel ?
Oui tout à fait… Voir des femmes crier, mais parce qu’elles en ont marre, qu’elles disent stop. C’était important. Je voulais renverser l’idée de la peur aussi. Que ce ne soit plus un cri de peur ou d’horreur, mais un cri animal qui justement appelle à la puissance. J’aimerais que le spectateur ressente ça. Cette puissance.
Pour le côté technique, cela a été très compliqué, car le cri était long, et ne pouvait pas se faire en temps réel. On a fait plusieurs essais avec le monteur son Gert Jannsen et Paul Jousselin le sound designer, pour tenter de trouver la bonne hybridité… Puisqu’en même temps que le cri, il y a le passage de l’animal à la femme. Donc, il y a un mélange du cri de Nejma et de ceux de taureaux qui donnent la vraie longueur, et aussi cette sensation que la nature arrive et vient l’entourer.
Nous avons aussi tourné entre chien et loup, car on voulait que ce soit dans ce moment bleuté du lever du jour qu’a lieu cette re-transformation. C’était très technique, car nous avions 25 minutes pour le tourner sur deux jours. On n’a pas fait beaucoup de prises, Oulaya a tout donné sur le moment, et les gardians à cheval ont été d’une grande aide. C’était un beau moment, mais très enthousiasmant aussi pour les multiples défis qu’on devait relever.
Vous avez évité les oppositions caricaturales en présentant un personnage masculin qui soutient le parcours de la protagoniste. Pensez-vous que cette figure masculine bienveillante aide à renouveler la dynamique homme-femme dans le cinéma de genre ?
Cette figure masculine existe déjà dans plusieurs films de genre, notamment Ginger Snaps que j’aime particulièrement ou encore The Faculty. C’est ce que j’aime dans le genre, cette amitié. Face au monstre, à la menace, on est tous ensemble. Je pense surtout qu’elle est importante, car elle permet d’avoir un vrai soutien, une aide, une écoute. Et que je crois que l’amitié nous aide bien évidemment dans notre humanité, surtout.
Comment vos origines et votre connaissance intime de cette région ont-elles influencé votre vision des traditions camarguaises, et quel regard personnel avez-vous voulu transmettre à travers Animale ?
J’ai grandi à 45 minutes des décors où j’ai tourné. Et j’aime cette région, car elle est unique, sauvage, intense, magique… Je n’ai pas vraiment les mots pour la raconter. Elle a une part de mystère qui m’emmène toujours là où je ne m’y attends pas. J’ai fait Animale pour raconter quelque chose que j’avais besoin de dire, et j’aime profondément les bêtes. Je ne sais pas si ce sont elles qui m’ont influencée… je plaisante à moitié… mais surtout c’est aussi l’aide de mes acteurs, tous du coin et en lien avec le monde du taureau, de Renaud Vinuesa le manadier qui a les taureaux qu’on voit dans le film, Claude Chaballier qui joue Léonard, qui m’ont aussi appris, écouté, guidé. J’ai eu de la chance de les avoir pour essayer de transmettre un peu de cette Camargue si inexplicable à l’écran et d’essayer d’y dégager toute la force fantastique qu’elle possède.
( Crédit Photo – Studio Vigerie X)