Annick Charette : « Dans les médias québécois, la captation des revenus publicitaires par les géants du web a mis en péril le modèle basé sur la propriété privée des médias donc la quête de profit »

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Annick Charette, présidente de la Fédération nationale québécoise des communications et de la culture (FNCC-CSN) dresse un constat alarmant des baisses d’emplois dans le secteur de la presse et de la culture au Québec. Licenciements massifs, précarité, période post-covid, arrivée massive de l’intelligence artificielle et prédominance américaine dans le secteur audiovisuel qui annoncent des jours sombres pour la presse et la culture au Québec.

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Quels sont les facteurs principaux ayant conduit à la réduction de 16 % du nombre de salariés dans l’industrie de la culture et des communications au Québec entre 2018 et 2023 ?

Indéniablement, pour ce qui est de médias la captation des revenus publicitaires par les géants du web a mis en péril le modèle existant qui est basé sur la propriété privée des médias donc la quête de profit. Pour répondre à l’exigence de produire des dividendes pour les investisseurs, les médias ont rationalisé leurs processus internes et ont procédé à des coupes de personnels. Certains ont simplement mis la clé dans la porte. Au Québec, entre 2010 et 2023, nous avons perdu 2 quotidiens et plus de 80 hebdos principalement liés à l’information locale. C’est grâce à la mobilisation des syndicats et de la société civile qu’une coopérative a pu être créée pour sauver de la faillite déclarée les 6 plus grands quotidiens régionaux dont certains étaient centenaires. Les médias électroniques que sont la radio et la télévision ont rejoint la presse écrite dans le camp des déficitaires. Les annonces de mises à pied se succèdent depuis un an. Du côté de la culture, les facteurs sont multiples.

 

« Au Québec, entre 2010 et 2023, nous avons perdu 2 quotidiens et plus de 80 hebdos principalement liés à l’information locale »

 

Pourquoi le secteur de la presse écrite a-t-il été particulièrement touché par les pertes d’emplois, et quelles en sont les conséquences pour ce domaine ?
En quelques chiffres, les quotidiens ont perdu 71% de leurs revenus en 10 ans, les hebdomadaires 56 %, les magazines 85% (et pour ne pas être en reste, la radio 22% et la télévision 17%). Pour ce qui est de la presse écrite, le modèle d’affaires est brisé. Si, avec les gouvernements, nous ne trouvons pas rapidement un moyen pérenne de soutenir la production de l’information, tant régionale que nationale, nous allons dans un mur. Nous sommes, à la FNCC, en pleine campagne d’information à cet égard. Pour solliciter la population qui doit jouer son rôle pour influencer les décisions gouvernementales. Nous ne pouvons nous permettre, comme société, de laisser se créer des déserts informationnels ou de remettre aux réseaux sociaux la responsabilité d’informer la population et de fournir de l’information vérifiée, documentée et répondant à un code d’éthique professionnel. Car c’est un grand risque pour la démocratie. Nous savons tous où les dérives de la désinformation et des fausses nouvelles peuvent mener. Nous avons des choix à faire et le temps presse..

Comment la pandémie a-t-elle impacté les salles de spectacle et le secteur des arts vivants, et pourquoi le nombre de travailleurs n’a-t-il pas encore retrouvé son niveau d’avant COVID-19 ?
La crise de la pandémie a impacté de façon significative ce secteur qui peine encore à retrouver ses marques d’avant l’épidémie. Les salles sont moins pleines, il y a moins de productions mises en chantier tant du côté du théâtre que des autres arts vivants, les événements tels les festivals et autres ont de la difficulté à boucler leur budget. Pendant les restrictions pandémiques, les consommateurs de culture ont aussi changé leurs habitudes. D’autre part, les travailleurs du monde culturel en ont un peu marre d’être les derniers servis (et souvent les premiers coupés) dans la chaine alimentaire de la culture. Une étude récente situe le revenu moyen des travailleurs de la culture à environ $22 000 (14 700 euros) par année. Il y a un certain désengagement de la part des travailleurs envers le secteur. Les gens sont hyper dédiés, mais le bonheur de participer à une œuvre et de faire ce que l’on aime ne suffit malheureusement pas à payer le loyer. Et au Québec comme au Canada, aucun filet social de type sécurité du revenu ne soutient les travailleurs de la culture qui vont de contrat en contrat, sans émoluments entre les deux.

 

« Les travailleurs du monde culturel en ont un peu marre d’être les derniers servis (et souvent les premiers coupés) dans la chaine alimentaire de la culture »

 

Quelles raisons expliquent la croissance initiale puis le récent fléchissement de l’emploi dans le secteur de l’audiovisuel au Québec ?

Il y a eu un boom de production à la sortie de la pandémie. Ce qui avait été mis sur la glace à ce moment-là a été mis en chantier à la sortie de crise. Ce qui a même provoqué un certain manque de main-d’œuvre les mois qui ont suivi la reprise. Cependant cela s’est depuis essoufflé. Actuellement, nous sommes dans une période de transition pour la production audiovisuelle. Une nouvelle loi qui impose certaines conditions aux diffuseurs en continu tel Netflix (la loi sur la diffusion en continu) vient d’être édictée. Elle crée notamment l’obligation pour les diffuseurs en continu de participer à l’écosystème de production canadien par le biais de contributions au financement et par l’utilisation de ressources canadiennes. L’obligation du recours aux travailleurs et talents canadiens est cependant encore sur la table quant à la définition exacte de la « canadienneté » d’une ressource et de place qu’elle doit occuper. Notre inquiétude est de voir cantonner les travailleurs et créateurs dans des postes d’exécution laissant l’orientation artistique, la créativité, les postes de direction et même ultimement le choix de ce qui sera prioritairement mis en production aux décideurs américains qui ont les moyens financiers d’orienter les choses. Cela peut grandement affecter notre capacité, au Québec notamment, de maintenir notre spécificité culturelle de francophones en Amérique du Nord. Notre vision des choses et du monde n’est certainement pas la même que celle de nos voisins du sud, mais se distingue aussi de celle du Canada anglais. Survivrons-nous à la mondialisation des marchés en matière de production audiovisuelle? C’est notre défi des prochaines années.

 

« Survivrons-nous à la mondialisation des marchés en matière de production audiovisuelle? C’est notre défi des prochaines années »

 

Comment le virage technologique vers le numérique a-t-il transformé l’industrie de la presse régionale, et quels types de postes ont été affectés par cette transition ?
Traditionnellement les journaux étaient « l’agora » où ce qui se passait dans les communautés était reflété. Décès, naissances, petites annonces, publication officielle d’avis, etc. Il n’existe pratiquement plus de personnel lié à la vente des espaces publics dans ce secteur, car les réseaux sociaux et les transformations technologiques ont rendu la population et les institutions autonomes à cet égard. De même, le développement de logiciels performants a réduit ou facilité, dans plusieurs tâches, le recours à la main-d’œuvre humaine. Comme celui de la révision et de la correction, ou de la recherche d’images notamment. Comme il n’y a plus d’impression papier, tous les travailleurs liés à la composition, aux presses et à la distribution ne sont plus de la partie. Les logiciels de mise en page électronique sont de plus en plus faciles d’utilisation. Notre plus grande inconnue actuellement qui est aussi une préoccupation de premier plan est l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la recherche, dans la composition d’images et dans la rédaction. C’est un dossier chaud sur lequel nous nous attardons avec beaucoup de vigilance.

 

« Notre plus grande inconnue actuellement qui est aussi une préoccupation de premier plan est l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la recherche, dans la composition d’images et dans la rédaction »

 

En quoi la grève des acteurs et des scénaristes à Hollywood a-t-elle influencé le nombre de travailleurs dans les industries du film et de la vidéo au Québec ?
Il y a eu des projets de productions qui ont été reportés, tronqués ou simplement abandonnés pendant la grève. Nous avons au Québec un nombre certain de tournages de séries et films en provenance de Hollywood. Ça a certainement impacté les travailleurs québécois qui supportent ces productions. Mais d’un point de vue global, cette grève (même si aucune grève ne se fait sans douleur) soulevait des enjeux qui nous importaient grandement et desquels nous allons nous inspirer pour interpeller nos gouvernements. Il est impératif de protéger nos créateurs et acteurs du point de vue du droit d’auteur notamment. Ce sera un grand chantier dès cet automne.

 

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