Elie Robert-Nicoud : King Gong ou un certain portrait de l’Amérique des années 70
Quel rapport entre le match Mohamed Ali/ Jerry Quarry, un soir de 1970 à Atlanta, et le piège tendu aux fleurons de la pègre noire, qui se retrouvèrent entièrement nus, entrelacés dans une cave ?
L’anecdote est savoureuse. Elle n’est pourtant qu’un dommage collatéral, une péripétie de l’effervescence fabriquée autour du retour sur le ring de l’ex-Cassius Clay, après la perte de sa licence pour avoir refusé de rejoindre l’armée américaine engagée dans la guerre du Viêt Nam. L’entourage du champion a choisi de l’opposer à un adversaire que l’histoire retiendra comme le poids lourd s’étant retrouvé le plus souvent au tapis. Mais les inconditionnels n’en ont cure, qui acclament tous les coups d’Ali, même quand ils ratent leur cible. Chemin faisant, Robert-Nicoud redessine un certain portrait de l’Amérique des années 70, de la condition des Noirs, des implications politiques et sociales du règne de Mohamed Ali. Le récit est foisonnant, supérieurement documenté, mené tambour battant dans un style précis comme un crochet au foie et incisif comme un uppercut. On croise des personnages inquiétants ou insolites, du sulfureux Don King à la veuve de Martin Luther King. Le racket, la drogue, les paris illégaux gangrènent l’aura du noble art. Le rêve américain frôle le caniveau ; la déchéance guette la pluie de dollars. Comme celle de Jerry Quarry, qui gagna 2 millions de dollars pour mendier un dernier combat à 1050 billets verts, lors duquel son adversaire lui cassera les dents et la mâchoire. Au soir de sa vie, à cinquante-trois ans, il ne pouvait plus manger ni se laver sans l’aide de quelqu’un. Qu’importe, la magie du ring continue d’opérer.
« Deux Cents Noirs nus dans la cave », Elie Robert-Nicoud, Rivages, 17 €
Du même auteur « Scènes de boxe », Rivages/Noir Poche, 2019