Le voyage de Cilka est en avant-première au sein du club France Loisirs jusqu’à fin mars 2021. L’histoire? Cecilia Klein a 16 ans quand elle entre à Auschwitz-Birkenau. Remarquée par les officiers nazis pour sa beauté, elle échappe à la mort en cédant son corps aux désirs d’un officier nazi. En 1945, quand les soviétiques viennent de libérer les camps d’extermination, elle est accusée par le gouvernement russe de trahison. Condamnée de façon expéditive à 15 ans de travaux forcés, elle est envoyée au goulag de Vorkouta en Sibérie. Inspirée de faits réels, ce roman bouleversant sur les violences sexuelles subies par les femmes en temps de guerre, retrace le destin d’une femme déterminée à survivre au cœur de l’horreur.
Pourquoi avez-vous choisi d’écrire un roman sur Cilka ?
Lale Sokolov, le tatoueur d’Auschwitz, m’a souvent raconté que lui et moi ne nous serions jamais rencontrés sans Cilka, la personne la plus courageuse qu’il n’ait jamais connue, et comment elle lui avait sauvé la vie à Birkenau. Il m’a demandé d’écrire l’histoire de Cilka, de la raconter au monde, mais seulement après avoir raconté son histoire à lui, bien sûr.
Lale m’a beaucoup parlé de Cilka ; son épouse, Gita, est restée amie avec elle toute sa vie après son retour en Slovaquie. Elles ont entretenu une correspondance et, à plusieurs reprises, lorsque Gita se rendait en Slovaquie pour voir ses frères, Cilka l’a accueillie chez elle. En 2005, j’ai engagé des professionnels pour rechercher des informations sur son séjour à Auschwitz-Birkenau. J’ai également travaillé avec des professionnels à Moscou afin de trouver des documents, des photos, des témoignages sur le goulag de Vorkouta, le camp sibérien où Cilka a vécu pendant dix ans. Je me suis rendue deux fois à Kosice, en Slovaquie, où j’ai pu rencontrer des amis et des voisins de Cilka qui m’ont raconté ce qu’ils savaient d’elle, de sa vie.
Je voulais aussi écrire une histoire qui mette en lumière les violences sexuelles subies par les femmes en temps de guerre et de conflits. Ces violences ont été ignorées trop longtemps.
« Je voulais aussi écrire une histoire qui mette en lumière les violences sexuelles subies par les femmes en temps de guerre et de conflits. Ces violences ont été ignorées trop longtemps. »
Comment vous êtes-vous documentée ?
À partir des photos, des documents, des témoignages que j’ai reçus, et des informations de première main que j’ai recueillies auprès des amis et voisins de Cilka. Découvrir la réalité des violences sexuelles subies par les femmes à Auschwitz et à Vorkouta, puis les décrire, a été une expérience douloureuse.
Quelle est la part de la réalité et de la fiction dans ce roman ?
Les détails de la survie de Cilka à Auschwitz-Birkenau sont réels. Elle a réellement été déportée au goulag de Vorkouta. Pour raconter sa vie à Vorkouta, j’ai trouvé des documents et des témoignages qui m’ont permis de brosser un tableau réaliste et atroce de ce qu’elle a dû endurer. J’ai modifié le nom de l’homme qu’elle a rencontré au goulag, avant de l’épouser et de passer le reste de ses jours avec lui. Le médecin qui l’a aidée a existé, mais aucun des amis de Cilka ne connaissait son nom, alors je lui en ai créé un. On m’a rapporté qu’après sa libération, Cilka lui avait rendu visite en URSS à plusieurs reprises. J’ai romancé certains des événements que Cilka a vécus sur la base des témoignages d’autres femmes de Vorkouta.
« Raconter l’histoire de gens ordinaires qui ont vécu et survécu à des temps extraordinaires est pour moi un honneur et un privilège »
Qu’est-ce qui vous fascine dans les histoires de survie et de résilience ?
Raconter l’histoire de gens ordinaires qui ont vécu et survécu à des temps extraordinaires est pour moi un honneur et un privilège. Les historiens et les universitaires nous parlent des horreurs de l’histoire telles qu’elles ont été subies par les populations dans leur ensemble, et c’est leur rôle. Les histoires personnelles créent un autre rapport : le lecteur découvre un individu à qui il peut s’identifier, avec qui il peut entrer en empathie.
J’aime le fait que les histoires de survivants apportent de l’espoir à des lecteurs qui eux-mêmes traversent une période difficile ou tragique de leur existence. Je sais que mes livres, Le tatoueur d’Auschwitz et Le voyage de Cilka, ont apporté de l’espoir : des milliers de lecteurs m’ont écrit pour me le dire.
« J’ai appris à ne jamais juger les décisions des autres sans savoir ou comprendre les circonstances qui les ont poussés à les prendre. J’ai eu honte de dire à Lale à quel point je vivais dans l’ignorance de la Shoah »
En quoi votre rencontre avec Lale Sokolov a-t-elle changé votre vie ?
Quand j’ai rencontré Lale pour la première fois, j’ai vite compris que je me trouvais face à un morceau d’histoire vivante. Découvrir son histoire, devenir son ami pendant trois ans, tout cela m’a ouvert de nouvelles perspectives sur l’acceptation de la différence et le besoin de tolérance envers les autres. Plus important encore, j’ai appris à ne jamais juger les décisions des autres sans savoir ou comprendre les circonstances qui les ont poussés à les prendre. J’ai eu honte de dire à Lale à quel point je vivais dans l’ignorance de la Shoah.
J’avais 65 ans quand Le tatoueur d’Auschwitz, mon premier roman, est sorti. À l’époque, je me préparais à ma vie de retraitée : j’allais apprendre à jouer au golf, voyager, devenir la meilleure des grand-mères. Deux de ces vœux se sont réalisés – voyager et adorer être grand-mère – mais le golf devra encore attendre. J’aime à penser que ma vie a été profondément changée, pour le mieux, par mes voyages et mes nombreuses rencontres avec tous ces individus qui ont des histoires formidables à raconter.
« Le voyage de Cilka », d’Heather Morris (Charleston).
(Arek Rainczuk : Copyright photo)